02/10/2025
APPEL PATRIOTIQUE AUX PARLEMENTAIRES DU TCHAD.
Monsieur le Président du Congrès,
Monsieur le Président du Sénat,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Chers collègues,
Je m’adresse à vous à la veille d’un vote qui engage l’avenir du pays.
Comme annoncé au début de la législature, nous ne nous inscrivons pas dans la logique d’une opposition vindicative, une opposition dogmatique qui rejette tout, qui insulte, et qui s’attaque sans discernement aux personnes et aux familles en raison des liens consanguins, comme le Tchad en a connue.
Nous sommes une opposition responsable mais exigeante et inflexible sur les valeurs.
Quand l’intérêt du peuple et du tchad le commande, nous disons oui et l’assumons. Mais quand la raison déserte l’hémicycle comme c’est le cas actuellement et que les intérêts privés et partisans priment sur la République, nous disons NON. Les discriminations, menaces incidieuses et autres intimidations n’y changeront rien.
Demain se tient le congrès des deux chambres réunies du parlement pour valider une révision inconstitutionnelle.
En effet, cette révision a déjà été adoptée par une majorité légale et écrasante des deux chambres. Cette séance de demain, n’est de ce point de vue, qu’une formalité institutionnelle de plus.
C’est pourquoi, en conscience et en ma qualité de SÉNATEUR Président du RNDT- Le Réveil, chef de l’opposition démocratique, j’élève une voix de vérité et de responsabilité, en ce jour, qui sera pour longtemps, un jour des lumières ou un jour des ténèbres, en fonction de ce que décidera le parlement réuni en congrès, au nom du peuple tchadien.
Nous sommes appelés à trancher en âme et conscience, en tout cas pour ce qui nous en reste encore : sauver la République ou la piétiner.
L’INCOMPÉTENCE DU PARLEMENT.
Le débat ne porte pas sur si oui ou non, la constitution est- elle révisable. Elle l’est, incontestablement. Même si en l’espèce, une révision d’une telle ampleur de la constitution, a moins de deux ans de son adoption polémique, est le miroir cruel de l’absence de vision de ceux qui ont brouillonné une loi fondamentale, aussi peu résistante à l’épreuve du temps. La constitution n’est pas un simple chiffon que l’on froisse suivant les humeurs du jour.
La question porte surtout sur la compétence du parlement à opérer une révision constitutionnelle de cette ampleur. Notre parlement est incompétent pour cette révision constitutionnelle profonde réservée par la constitution au référendum (article 282 al1).
Nous serons là, réunis demain, en congrès d’un parlement incompétent ; non pas comme des dignes parlementaires, mais comme des usurpateurs deconstituants.
C’est une brutale confiscation de la souveraineté du peuple.
ALIGNEMENT DE LA CONSTITUTION SUR LE RÈGLEMENT INTÉRIEUR D’UN PARTI(MPS).
Cette révision est un absurde alignement de la loi fondamentale du pays , sur le Règlement intérieur d’un parti qu’un vrai référendum rejetterait dans les abîmes de l’histoire. Une honte nationale !
UN PIÈGE TENDU AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE.
Mais je vous le dit ici, de façon solennelle et avec toute la gravité du jour :
la suppression de l’alinéa 2 de l’article 77 de la constitution aujourd’hui, ne corrige pas sa violation constitutionnelle depuis le 29 janvier 2025, qui a fait du président de la République le président du MPS.
En cela, cette révision est un piège tendu au Président de la République et le met à mal avec son serment.
En effet, cette révision ne corrige pas la violation de l’article 76 de la constitution par lequel le président de la République a prêté serment, de préserver, « de respecter, de faire respecter et de défendre la constitution ». Ce serment est immuable et court sur un mandat de cinq ans. Le serment n’est pas révisable et il porte sur toutes les dispositions constitutionnelles en vigueur au jour de la prestation de son serment, donc y compris les incompatibilités que le President a juré de respecter et de faire respecter.
La révision constitutionnelle actuelle ne peut avoir d’effets rétroactis d’une part, et elle n’annule pas le serment acquis du président de la république, d’autre part. Le président de la République a juré de respecter et de faire respecter le régime des incompatibilités pour la durée de son mandat de cinq ans. Ce serment reste valide pour la durée de son mandat ; la constitution n’ayant pas prévu une procédure de révision de serment. La révision constitutionnelle actuelle n’y change rien.
Nul doute que par votre vote, la constitution sera certainement révisée demain, mais le President de la République ne pourra pas pour autant mener des activités politiques partisanes ou syndicales pendant ce mandat, sans violer son serment initial inscrit dans le marbre.
Le débat ne s’arrête donc pas demain comme vous le croyez.
DÉMISSION DE LA PRÉSIDENCE DU MPS.
Je suggère donc très humblement au Président de la République, de respecter son serment qui court jusqu’à la fin de son mandat, et d’annoncer publiquement, en conséquence, sa démission de la présidence du MPS. Ça coule comme l’eau de roche. Et ça sera respecter le droit.
VERROUILLAGE INSTITUTIONNEL.
Chers compatriotes,
Derrière ce véritable coup de force institutionnel camouflé derrière une fausse « révision technique », c’est un projet de verrouillage institutionnel qui se déploie. Il s’agit de poser les fondations de l’autoritarisme politique : un régime politique sans séparation ni contrepouvoirs.
En ce jour grave, j’invite tous les parlementaires qui se réclament encore de l’opposition, et tous les parlementaires qui se réclament du peuple, de demeurer fidèles à leur engagement de défendre la justice, la liberté, la démocratie et le peuple. Restons du côté du peuple et de la vérité.
Jusqu’ici, la République reposait sur des fondements et des garde-fous constitutionnels :
un Président placé au-dessus de la mêlée, au dessus des partis, protégé des querelles partisanes pour mieux incarner l’unité nationale, et élu pour un quinquennat renouvelable une seule fois. Ce dispositif constitutionnel signalait que le pouvoir suprême est théoriquement accessible à tous, suivant un horizon, pas trop court pas trop long. La qualité du pouvoir ne se mesure pas à sa longueur.
Un Parlement et un pouvoir judiciaire séparés du pouvoir exécutif, pour limiter les abus de pouvoir, garantissant au moins en théorie l’équilibre des pouvoirs pour le bien du citoyen.
Ce fragile équilibre est aujourd’hui battu en brèche par un pouvoir à la recherche de l’absolutisme, qui se radicalise de jour en jour, poussé par une courtisanerie insouciante, érigée en système de gouvernement.
Le pouvoir absolu n’est pas une nouveauté. Il connu depuis des siècles. Il corrompt absolument a-t-on coutume de dire.
Aujourd’hui, vous êtes entrain d’inscrire dans la constitution la fin de la séparation des pouvoirs, qu’on constatait déjà dans les faits depuis l’avènement de la 5eme République.
La dérive autoritariste que nous dénonçons ici n’est pas virtuelle,elle n’est pas à venir, elle est la, factuelle.
DÉCHÉANCE DE NATIONALITÉ.
En effet, dans la longue chaîne innombrable des violations des droits, notre pays vient d’enregistrer une nouvelle dérive : la déchéance de nationalité.
Rien, ni personne, pour quelque motif que ça soit, ne doit être permis d’ ôter a un tchadien de souche, sa nationalité. On franchit là toutes les limites, jamais atteinte même enfant les heures les plus sombres de notre histoire.
CONFUSION DES POUVOIRS, ALERTE SUR LE POUVOIR JUDICIAIRE ET LA PROTECTION DES DROITS.
Sur un autre registre de recul du droit, jamais, l’on a vu le pouvoir judiciaire à l’initiative des lois comme c’est le cas avec cette révision inconstitutionnelle. Il suffit de se référer ici pour s’en convaincre, à l’exposé de motifs de la proposition de cette loi constitutionnelle, qui cite sans gêne , la Cour Suprême et le Conseil Constitutionnel comme initiateurs de cette révision constitutionnelle, en violation flagrante de ladite constitution.
Quand la Cour Suprême et le Conseil Constitutionnel sont eux mêmes à l’initiative de cette révision constitutionnelle, consacrant la fin de la séparation des pouvoirs, à quelle Institution les tchadiens doivent ils se référer pour soulever l’inconstitutionnalité de cette révision ?
Ici s’arrête la République !
ANGE DÉCRIÉE, ANGE PRÉSERVÉE.
Alors que l’Agence Nationale de Gestion des Élections(ANGE), elle aussi, prix Nobel de tripatouillage électoral, en héritage de la CONOREC, est décriée par tous les acteurs politiques, cette révision l’épargne comme le veut le pouvoir qui l’instrumentalise. S’il y avait une révision sérieuse de la Constitution, elle commencerait par la suppression de l’ANGE.
ABAISSEMENT DE L’INSTITUTION PRESIDENT DE LA RÉPUBLIQUE.
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mes chers collègues,
Quand vous aurez voté pour cette révision inconstitutionnelle,
vous aurez voté pour l’abaissement de l’Institution Président de la République, désormais rendu partisan et donc suspect pour incarner l’unité nationale. Le jeu politique n’aura dorénavant plus d’arbitre autre que le capitaine d’une des équipes en compétition. Pas drôle !
Ces changements n’ont qu’un seul fil conducteur : la confiscation du pouvoir, l’érection d’un pouvoir absolu et sans limite par l’affaiblissement des contre-pouvoirs, le verrouillage des élections et le prolongement indéfini des mandats par peur d’affronter le peuple censeur, que l’on croit à jamais vaincu.
En tant que Chef de l’opposition démocratique, je dis ici avec force : l’opposition démocratique refuse de servir de marchepied à l’édification constitutionnelle d’un pouvoir absolu sans limite. Nous refusons de donner notre caution à un verrouillage institutionnel et électoral.
Mes chers collègues,
Ne vous y méprenez point. Car en disant ces tristes vérités , il ne s’agit point de la recherche d’un quelconque héroïsme. Il s’agit d’un devoir de responsabilité assumé.
Si non, nous avons en partage avec vous la même peur que vous avez. Chacun a peur dans ce pays. Sauf que vous avez peur pour vous mêmes, nous avons peur pour notre pays.
Nous sommes comme vous, des êtres fragiles avec un estomac qui grouille et une bouche qui réclame pitance. Nous avons, vous et nous, le choix d’écouter notre ventre ou notre tête. Nous avons simplement fait le choix certes difficile, d’écouter notre pensée au détriment de notre panse, pendant que vous avez choisi le confort de l’écoute de votre panse au détriment de votre pensée. Vous savez que nous savons que vous pensez la même chose que nous.
C’est à ce petit effort que nous vous appelons, celui de lever un peu seulement la tête au dessus de ce mur épais de nos intérêts égoïstes qui voile notre vue, pour regarder juste de l’autre côté de ce mur, l’intérêt général, celui du plus grand nombre : le peuple.
Ce peuple est peut-être vaincu, mais pas convaincu. Il se réveillera un jour. Nul ne saurait quand et comment.
J’invite ici solennellement les parlementaires, au moins ceux qui se revendiquent de l’opposition à refuser d’assister impuissants, à cette messe de requiem par les fidèles fossoyeurs de la République.
Gardons foi en la République !
Je vous remercie.
SÉNATEUR PAHIMI PADACKÉ ALBERT,
Président du RNDT-Le Réveil,
Chef de l’Opposition Démocratique au Tchad.