28/09/2025
Éric Neirynck nous entraîne avec Ma folie ordinaire dans les méandres d’une existence cabossée, oscillant entre confessions crues et digressions désabusées. Dès les premières pages, le narrateur — double de l’auteur — expose ses obsessions, ses dépendances et ses échecs, avec une sincérité brute qui interpelle. Le ton est direct, souvent provocateur, mais toujours traversé par une lucidité qui empêche le récit de sombrer dans la complaisance.
L’ouvrage se lit comme une succession d’épisodes intimes, où l’on suit un homme pris dans l’étau de ses tocs, de ses amours brisées, de ses déboires professionnels et de son rapport ambigu à l’alcool. Chaque chapitre devient le théâtre d’un combat intérieur où l’humour grinçant se mêle à la douleur la plus nue. Neirynck se met à nu sans filtre, et c’est cette absence de fard qui donne toute sa force au texte.
L’ombre de Charles Bukowski plane constamment sur le récit : on retrouve dans ces pages la crudité du quotidien, la fascination pour les bars et les marges, mais aussi l’évidence que la littérature peut jaillir du désastre. Céline n’est pas loin non plus, avec ce goût des formules percutantes et ce refus des convenances. Pourtant, l’auteur parvient à s’affranchir de ses modèles pour livrer un témoignage singulier, qui sonne juste parce qu’il s’enracine dans une expérience vécue.
À travers cette trajectoire marquée par la perte et la désillusion, se dessine une quête obstinée : celle de continuer à exister par les mots, même lorsque tout le reste s’effondre. L’écriture apparaît alors comme un acte de survie, une façon de mettre de l’ordre dans le chaos mental et affectif. Cette dimension confère au livre une authenticité bouleversante.
La lecture n’est pas toujours confortable : le langage cru, les images sexuelles ou les éclats de violence verbale peuvent heurter. Mais cette rugosité est inséparable de la vérité recherchée. En refusant l’édulcoration, Neirynck donne à voir ce que beaucoup préfèrent taire : la solitude, le désir, la honte, la dérive.
La langue, à la fois familière et tranchante, épouse parfaitement la subjectivité du narrateur. Elle avance sans détour, parfois brutale, parfois ironique, mais toujours incarnée. La narration, construite par fragments, épouse le rythme heurté d’une vie en morceaux. Ce choix donne au texte une énergie singulière, un mouvement qui captive malgré l’âpreté des thèmes. Ma folie ordinaire n’est pas un livre aimable, mais il est intensément vivant.
Victor De Sepausy dans Actualitté