15/10/2024
La veille de son premier voyage pour poursuivre ses études en ville, une mère fait ses dernières recommandations à son fils. (Extrait du roman Le rescapé de la dépendance)
“ Lorsque je revenais de la do**he, je vis ma mère somnolente. Je lui fis savoir que j'étais revenu. Elle me demanda de m'asseoir auprès d'elle, sur une natte. Ce que je fis. Elle prit la parole en ces termes :
-« Ton oncle, mon frère Gnolé, qui va t'accompagner demain, m'avait une fois dit qu'il avait lu dans un livre d'un monsieur appelé Amadou Hâmpaté Bâ, ceci : « Si un jeune homme s'expatrie et qu'à l'étranger il ne trouve pas un père et une mère, c'est qu'il n'aura pas su être le fils qu'il faut. » Je te le dis pour que tu saches que c'est ton comportement qui déterminera ton avenir. La dame chez qui tu vas, même si elle est ta tante, vous n'avez jamais cohabité. Fais fi de beaucoup de choses si tu veux aller loin dans la vie. Saches qu'il est dit chez nous que si tu veux regarder dans l'oreille du cabri, tu ne mangeras jamais sa tête. Tu vas à la ville pour un objectif : celui de réussir tes études pour devenir un grand homme, un homme socialement accompli comme Dalato, le maire et mon grand frère Gavah, l'ingénieur. Tu connais mon problème : dès mon jeune âge, j'avais touché à un gris-gris dont le sort ne m'était pas destiné, mais qui m'a quand même, à la longue, donné une maladie de cœur qui ne cesse de ressurgir toutes les fois que je suis en contact avec le feu pendant un long moment. Les nombreuses charges de ton oncle Gavah ne lui donnent aucune occasion de se pencher sur mon cas pour m'administrer des soins adéquats. A partir d'aujourd'hui, je voulais que tu saches que tu resteras mon unique espoir. Va et reviens-moi avec le plus grand diplôme de nos universités, c'est lui seul, mon fils, qui t'ouvrira les portes auxquelles tu auras à frapper dans cette république des waliwahikô. L'expérience et l'observation m'ont fait découvrir que l'on ne gagne jamais en négligeant ce que l'on fait. Fais toujours entièrement, bien, et au moment où il faut, ce que tu dois. Refuse la procrastination. Accomplis tes tâches du jour en même temps sans jamais les remettre au lendemain, et ce, dans un souci d'efficacité. Ne confie jamais ton destin à ton ami. Aie toujours de la retenue. Lui dire la totalité de tes actes, pourrait mettre au grand jour son caractère démoniaque, s'il ne se découvre pas tes qualités. Lorsque tu donnes des informations sur toi à l'autre, il se sait, il te sait, mais toi, tu ne le sais pas. Et cela constituera ton point faible vis-à-vis de lui, car celui qui détient ton secret te tient ; il te manipulera à sa guise, et tu perdras toute personnalité en sa présence, de peur qu'il ne dévoile ton message que tu lui as délibérément confié. Sache que si le poisson ne dit pas qu'il a aussi chaud bien qu'étant dans l'eau, personne ne le saura. C'est ce que tu auras dévoilé qui sera su. Retiens que le péché se trouve aussi bien dans la pensée que dans les paroles. Use d'assez de prudence dans tes actes. Sache choisir tes amis. « Si la viande fraîche est tabou pour toi, ne te lie pas d'amitié avec la panthère », disaient nos aïeux. Attache-toi aux personnes qui peuvent t'aider à t'élever sur tous les plans. Fais toi des amis dans tous les secteurs d'activité de sorte que tu sois une personne de référence dans quelque assemblée que tu fréquenteras. N'oublie jamais que « le bœuf s'attache à du bois dur ». Suis les bons exemples et fais fi de ceux qui sont à proscrire. Sache amadouer les gens par des présents. Un homme, quel que soit son statut social, succombe toujours aux cadeaux. Fais-en ton cheval de bataille. Dans tes rapports avec ceux qui ont de l'argent, aie toujours ta part à apporter lorsqu'il s'agira de contribuer à une cause commune. Certains d'entre eux regardent comme des profiteurs ceux qui n'ont pas de grands moyens ; il faut donc prendre des initiatives lorsque tu es en leur compagnie sans jamais mettre ton intérêt en amont. Sinon, ils te retireront de leur carnet d'adresses sans te le signifier ; tu le sauras de par leur indifférence soudaine à ton égard. Ils n'auront recours à toi que pour te demander un service qu'ils te crois seul capable à pouvoir le leur rendre. Dans quelque groupe où tu te trouveras, n'opprime jamais les autres par ta position que tu y occuperas. Fais toujours comprendre tes idées à l'autre avec respect et considération. Cherche à convaincre par la force de tes arguments et non à t'imposer par la force des muscles ou par ton pouvoir. Ne permets jamais que ton image soit ternie pour quelque motif que ce soit. « On ne désigne jamais son village de la main gauche ». Celui qui le fait, perd toujours. Méfie-toi des femmes. Il y en aura qui te soutiendront dans ton combat pour la réussite sociale ; il y en aura qui te regarderont inactives, t'échiner à grandir et il y en aura qui se disposeront à venir profiter de ce tu as construit seul. Oui, épouse celle qui ne portera pas en bandoulière l'autonomie que donne l'école occidentale aux femmes, pour gouverner ton foyer. La bonne femme, c'est celle qui sait s'effacer au profit de son homme. Prends celle qui te respectera, qui aura la crainte de Dieu et que tu aimeras de tout ton cœur. Elle sera celle pour qui tu me quitteras, un jour, pour que vous deux vous puissiez former une seule chair. N'envie jamais la friandise de ton prochain. Tel l'arbre qu'on abat et qui tombe du côté sur lequel il se penche, l'homme se laisse toujours emporter par ses vices. Sache doser tes passions d'un peu de raison. Quel que soit le travail que tu feras, mon fils, sache que c'est de l'eau boueuse que tu auras trouvée. Cette eau dessèchera au contact des problèmes que tu rencontreras. Pour avoir l'eau pure, intarissable, source de vie à laquelle tu t'abreuveras et s'abreuveront les enfants de tes enfants, tu seras amené à percer le rocher qui fait barrière à la nappe souterraine. Et cet effort que tu fourniras n'est rien d'autre que l'investissement. Oui, la vraie acquisition de la fortune passe par l'investissement. Le salaire mensuel ne rend pas riche, mais on peut devenir riche à partir de lui. Ton oncle, Gnolé me disait aussi qu'un penseur appelé Robert Kiyosaki, affirmait : « le salaire mensuel est une solution à court terme pour un problème à long terme. » Cet homme n'avait pas tort. Dans la gestion de ton futur salaire, je te conseille de toujours t'adosser à un budget familial et de mettre essentiellement l'accent sur ce qui est important et non sur ce qui est urgent. Évertue-toi à lutter contre cette gangrène qu'est la pauvreté. Ne la souhaite jamais à quelqu'un, même à ton pire ennemi. Elle est source de conflit, de mésentente, de discrimination, de rébellion, de terrorisme, de guerre, de mort... dans le monde. Les véritables armes contre elle sont la force psychologique et l'esprit d'initiative. Un autre auteur que citait ton oncle, nommé James Baldwin, disait à propos : « Quiconque a lutté contre la pauvreté sait comment il est extrêmement coûteux d'être pauvre. » Mon garçon, sois soumis à ta hiérarchie dans quelque service où tu te trouveras. Sois humaniste envers ton prochain. Témoigne ta loyauté à ta patrie. Recherche toujours, dans tes actes, à remporter la palme de l'excellence ; le mérite ne se vend pas, il s'acquiert par l'abnégation et le dévouement à la tâche à rendre. Préfère toujours celui qui t'apprends à pêcher à celui qui te donne du poisson tout cuit. Fais ta propre expérience ; ne vis pas dans l'illusion de celle de l'autre, mais tu peux juste t'en inspirer. Évite d'être la risée des autres : sois propre, prends soin de ta famille, accorde à tes enfants toute l'affection qu'ils méritent. Donne toi les moyens de les scolariser . L'école est un investissement sérieux dont les fruits sont savoureux pendant les vieux jours. Beaucoup de pauvres ne le savent pas, c'est pourquoi ils ne se surpassent pas pour assurer avec aisance l'avenir scolaire de leur progéniture. Nombreux d'entre eux préfèrent, pour leur propre sang, des investissements de fortune et à court terme. A contrario, les riches, surtout ceux qui côtoient les grands défis de leur temps, savent que l'école, la bonne école, celle qui soustrait l'enfant de la masse, est un sésame dans tous les domaines de la vie. Pour cela, ils ne font pas prier pour décaisser d'importantes sommes d'argent pour la formation de leurs rejetons dans de prestigieuses écoles et universités du monde. Retiens que si tu négliges l'avenir de tes enfants aujourd'hui, le temps te fera écho demain de ce que tu as manqué un impérieux devoir de père. Cherche à former des projets de vie et non de circonstance. Fixe-toi un objectif clair qui te permettra de forger un caractère d'homme. Pratique du sport et contrôle ton alimentation pour avoir une longue vie, pour ne pas être victime de ces maladies de derniers jours qui condamnent à résidence. Ta vie est entre les mains de Dieu, mais c'est toi qui la gère au quotidien par les actes que tu poses. Dans toute médiation, n'aie jamais de partie pris, mais cherche à être toujours du côté de la vérité. C'est ce qui te fera grandir, le contraire te rabaissera. Couronne tous tes actes par la crainte véritable de Dieu. Mets-le au premier plan sur tous tes agissements. Ne te fie pas à la magie déviationniste des devins. Devant chaque situation, entre en toi-même, en conformité avec le créateur suprême. Aucune religion n'est au-dessus de Dieu. Refuse de végéter entre les croyances, les doctrines, les idéologies des Hommes. Adopte-une, selon tes critères, mais sans oublier d'où tu viens. Sinon tu paraîtras un vase vide que l'on balance et contrebalance au gré des circonstances. Adore le créateur ; honnore-moi ta mère, ainsi que la mémoire de ton père ; respecte ton semblable ; accorde du prix à notre tradition et à nos us et coutumes. Le grand mal qui ronge les humains, c'est de ne pas savoir dire « non ». Mon gosse, apprends à ne pas t'associer à ce qui te contraindrait. En effet, « manger la canne à sucre avec la honte, c'est prendre le risque de salir ses habits de fête ». Sache aussi, mon fils, qu'il y a un grand bénéfice dans le don que l'on fait, surtout quand il est volontaire. La joie, le bonheur que tu crées dans le cœur de l'autre te reviennent sous forme de lumière qui éclaire ta voie. Contribue donc à ta façon à l'équilibre des choses à la cohésion sociale en pensant et en consacrant une partie de tes revenus aux orphelins, aux nécessiteux, aux veuves, aux grandes malades... Ce ne sera pas un investissement vain, la nature te le revaudra au moment venu. Ton oncle me disait une fois que selon un certain Napoléon Hill, « tout homme puissant, tire sa puissance de lui-même. » Instruits-toi aujourd'hui pour ne pas subir demain. Qu'aucun domaine n'échappe à ta connaissance. C'est à cette condition que tu défendras mieux tes opinions et que tu seras écouté, sinon tu ne vaudras pas un cafard. N'adhère jamais à l'idéologie de politiciens véreux qui ont tendance à clochardiser la jeunesse. Aie tes convictions profondes, et attache-toi à elles dans quelques circonstances qui se présenteront à toi. Use d'assez de tact dans tes rapports avec les hommes publics. Si tu n'as pas la compétence nécessaire pour leur apporter ton expertise dans un domaine précis, tu ne représenteras pas grand-chose à leurs yeux. Mon garçon, fais bon usage de ces conseils que je viens de te donner, grave-les sur la table de ton cœur, ne t'en departis jamais, ils seront le gage de ton existence heureuse sur cette terre des Hommes. Tu as toute ma bénédiction pour aller semer ces graines dans l'inconnu que tu embrasseras dès demain. Cette conversation est notre dernière et sincère entrevue ; je ne pense pas que je serai toujours présente auprès de toi pour t'orienter. Que Le-Pourvoyeur-De-Tout, qui est Celui-Qui-Donne, pourvoie à tes besoins et te donne ce que ton cœur désire. Tu réussiras, mon enfant.
« Tiens, il est deux heures du matin. Va dormir un tout petit peu ; ton oncle sera là à quatre heures trente pour que nous puissions nous rendre à la gare pour ta première aventure à la ville où tu épouseras l'idéologie d'une génération en pleine émergence. »”
, 141-147
Rapaotaaba