09/10/2025
🔴Tchad🇹🇩 Tchadélec, la succession illégale d’un cadavre administratif
La Société Nationale d’Électricité (SNE) a été dissoute par une loi. Soit. L’État, dans son empressement à donner un nouveau visage au secteur de l’énergie, a créé dans la foulée une société dénommée Tchadélec. Sur le papier, l’initiative semblait louable dans la dynamique de moderniser, rationaliser et de relancer. Mais en pratique, c’est un naufrage juridique et institutionnel d’une rare gravité.
Car toute société dissoute doit passer par la procédure de liquidation, conformément aux règles élémentaires du droit des sociétés et du droit public économique. Cette étape n’est pas facultative. Elle vise à désintéresser les créanciers, apurer les dettes sociales, recenser les actifs et protéger les droits des travailleurs. C’est le liquidateur, officier de justice ou expert mandaté, qui en a la charge. Sans lui, toute opération subséquente sur les biens de la société défunte est entachée de nullité et d’abus de biens sociaux.
Or, ce formalisme, pourtant sacré, a été purement et simplement piétiné. Sans liquidateur, sans évaluation et sans inventaire, la nouvelle entité, Tchadélec, s’est arrogé le droit d’utiliser tous les biens matériels et immatériels de la défunte SNE, entre autres, machines, locaux, personnel et même contrats. Une véritable spoliation d’État, maquillée en continuité administrative.
Plus grave encore, le directeur général de Tchadélec, le général Saleh Ben Haliki, n’est autre que celui de l’ancienne SNE. Il agit donc en juge et partie, orchestrant une reprise sauvage des actifs dont il était le gestionnaire. En droit des affaires, cette situation s’appelle un conflit d’intérêts manifeste. Le bon sens juridique imposait que le nouvel organisme signe une convention de transfert avec le liquidateur de la SNE, s’il avait été nommé, pour définir la valeur des biens, le sort des créances et la compensation des travailleurs licenciés. Rien de tout cela n’a été fait.
Comme résultat, une société fantôme ressuscitée sous un autre nom, opère avec les biens d’une entité juridiquement disparue. En d’autres termes, Tchadélec fonctionne dans l’illégalité la plus totale. Et les consommateurs doivent savoir qu’ils ne sont tenus à aucune obligation de paiement vis-à-vis de Tchadélec. En droit, le contrat de fourniture d’électricité a été conclu avec la SNE, non avec son successeur de fait. Tant qu’aucune cession légale de contrat n’a été formalisée, aucune dette ne peut être exigée par une entité qui n’a pas la personnalité juridique issue de ce contrat. C’est le droit, froid, clair et implacable.
Ainsi, derrière les discours officiels du ministre Kanabé Passalet sur la réforme énergétique se cache un hold-up institutionnel. La dissolution de la SNE, au lieu d’ouvrir la voie à une gestion transparente, a engendré une continuité illégitime qui bafoue les principes les plus élémentaires de la légalité républicaine.
Steven Ngarhokarial, journaliste indépendant.