30/04/2021
Voici l'intégralité de l'interview de Patrice Talon à
Cotonou au micro de Christophe Boisbouvier de RFI et
de Marc Perelman de France 24.
RFI : Monsieur le président, le 11 avril vous avez été
réélu pour un second mandat de 5 ans, avec un score
de plus de 86%, dès le premier tour. Vous aviez face
à vous deux candidats peu connus au point que l’on a
évoqué une élection courue d’avance…
Patrice Talon : En effet les résultats de cette élection
donnent bien l’impression qu’en face les candidats
n’étaient pas peut-être à la hauteur. Mais je crois
que c’est une mauvaise lecture. Et vous savez le
Bénin vient de loin, et quand un pays en si peu de
temps s’est étonné lui-même, et a pu étonner même le
monde par ses prouesses, cela peut donner aux uns
et aux autres notamment dans le pays le sentiment
que ça y est, quelque chose se passe, et qu’il
faudrait que ça continue. Vous savez, souvent quand
un régime, un président est décrié, comme on l’entend
un peu partout, les électeurs peuvent voter contre
quel que soit celui qui est en face. Donc ce n’est pas
toujours en fonction de celui qui est en face que les
électeurs expriment leur choix. Parfois ça peut être
un vote sanction.
Là c’est un vote d’adhésion pour vous ?
Pour moi, c’est un vote d’adhésion.
Alors tout de même, il y a quand même un autre
chiffre qui est frappant, c’est qu’il n’y a que 50% de
participation, il y a donc un électeur sur deux qui
n’est pas allé voter, alors que lors de votre première
élection il y a 5 ans, le taux de participation avait
approché les 65%, c’est un net recul. Ça veut dire
qu’il n’y a pas eu le même engouement tout de
même ?
Nous avons, il faut l’avouer, participé à ces élections,
en tout cas les 3 candidats en lice, dans un
environnement assez mauvais, de menace, violence,
d’intoxication. C’est l’une des premières élections au
Bénin, soit la première élection au Bénin depuis le
renouveau démocratique où l’argent n’a pas été le
principal élément d’attrait pour les électeurs. Quand
on met tout ça bout à bout, on peut comprendre
qu’environ 10% des électeurs n’ont pas participé au
vote par rapport à nos habitudes, alors quand on a
quand même 50%, plus de 50%, parce que 51% des
électeurs qui se sont déplacés alors même que pour
certains la dynamique est fidèle, ce qui se passait si
bien qu’il faut impérativement que ça continue, que
pour certains il n’y a pas de raison que les électeurs
n’apportent pas leur soutien au candidat Patrice
Talon, vous comprenez ? Tout cela mis ensemble, a pu
contribuer à dégrader le taux de participation, et
50% pour moi c’est satisfaisant, dans ces conditions.
Alors il y a quand même quelque chose qui pose
problème, c’est qu’à l’exception de l’ancien président
Thomas Boni Yayi, tous vos principaux opposants sont
soit en exil, pour échapper à la prison, soit derrière
les barreaux ici au Bénin. On a l’impression que vous
avez cherché à faire le vide autour de vous, et que
répondez-vous à ceux qui disent qu’à cause de vous
la démocratie est en recul au Bénin ?
Qui sont les principaux adversaires candidats qui ont
été derrière les barreaux à l’avant des élections ?
Vous en connaissez derrière les barreaux ? Moi je
n’en connais pas, il y a des gens qui ont été appelés
à rendre compte de leur gestion, parce que nous
sommes dans un pays d’impunité totale depuis
longtemps, et que quand on décide que les choses
changent, les gens ne veulent pas répondre de ce
qu’ils ont fait, qui sont partis par eux-mêmes en exil,
qui ont refusé de répondre à la justice, mais sinon je
ne connais pas un acteur majeur de la politique
derrière les barreaux avant les élections.
Vous n’avez pas cherché à éliminer tous vos
adversaires pour gagner avec 86% ?
Je vais vous dire, ce qui se passe au Bénin, c’est dû
à nos gouvernants qui sont devenus au fil du temps
des prédateurs de leur pays, malheureusement a
l’instar de la plupart de beaucoup de pays africains.
Mon pays, le Bénin était devenu l’otage de sa classe
politique, faite de toutes sortes d’individus y compris
même des trafiquants de drogue.
Alors vous nous demandez, qui était derrière les
barreaux au moment de la présidentielle du 11 avril,
l’un a été arrêté que quelques jours plus t**d, le 15
avril, c’est l’universitaire Joël Aïvo, il est accusé
d’atteinte à la sûreté et de blanchiment de capitaux, il
a essayé d’être candidat, il n’a pas pu. Qu’est-ce que
vous répondez à ceux qui disent : le président est en
train de régler son compte à quelqu’un qui a dit que
la présidentielle c’était Talon contre Talon et que les
résultats proclamés étaient truqués ?
Ah bon… pour vous ce n’était que ça ? Vous n’avez
pas entendu que ces gens-là ont dit que l’élection
n’aura jamais lieu ? Vous n’avez jamais entendu cela ?
Pourquoi en répétant les propos de ceux qui
paraissent être victimes des réformes au Bénin, vous
faites une sélection de leurs propos ? Tout le monde
a entendu, sur les ondes, partout, qu’ils ont dit que
l’élection n’aura jamais lieu dans ces conditions, s’ils
ne sont pas candidats, il n’y a pas élection.
C’est un opposant politique…
Bah alors, est-ce que dire que les élections n’auront
jamais lieu, et agir pour que ça n’ait jamais lieu, pour
vous est convenable ? C’est-à-dire au point de
recruter des mercenaires, des chasseurs, les armer
et amener ceux-ci à tirer sur les forces de l’ordre.
Monsieur Aïvo dont vous parlez, parlons-en, et même
plus que ça, Reckya Madougou, ça vous allez y venir !
Ils sont dans quel parti politique ? Ils n’ont pas de
parti politique. Une dame débarque, n’est pas membre
du parti, avec des valises d’argent, avec des
sponsors, des chefs d’Etats de pays voisins, avec des
opérateurs économiques…
Je veux préciser pour les gens qui nous écoutent et
nous regardent, il s’agit de Reckya Madougou qui
voulait être candidate, qui a été retoquée, elle a été
arrêtée le 3 mars.
Elle n’a pas été retoquée, l’information n’est pas
juste.
Elle a été arrêtée le 3 mars, elle est poursuivie pour
« financement du terrorisme ». Donc c’est un terme
grave, est-ce que ça veut dire qu’elle a fomenté des
attentats au Bénin ? C’est quand même une
accusation extrêmement grave, extrêmement rare, les
mots comptent…
On y vient… ces personnes débarquent et veulent
être candidats au titre des Démocrates. Ces gens-là
ont dit, après que le dossier ait été constaté non-
conforme, que l’élection n’aura pas lieu sans eux,
qu’ils empêcheront par tous les moyens, ils l’ont dit
publiquement, dans des conférences de presse, qu’ils
l’aient dit, ce n’est pas grave, qu’ils aient agi pour, là
ça devient sérieux. Alors quand des manifestations
avec violence ont lieu, quand on demande à des gens
de procéder à des assassinats aveugles pour que le
pays s’enflamme, pour qu’on observe ce qui s’est
passé au Burkina, au Mali, un peu partout, parce que
comme il y a des insurrections qui ont eu lieu en
Afrique et que ces insurrections ont parfois amené
des régimes à être balayés, c’est le cas du Mali, il a
été cité, le cas du Burkina a été cité, il faut que le
Bénin s’enflamme, il faut qu’il y ait de l’insurrection et
s’il y a des morts un peu partout, le pays s’enflamme,
des violences partout, le pays va s’enflammer, il y
aura une insurrection et le président du régime en
place va devoir tomber, il y aura assise nationale, il y
aura réconciliation, il y aura tout ce qu’on veut, donc
pour leur fin politique, ils ont planifié, recruté des
gens et mandaté des jeunes, des badauds, pour brûler
le pays et surtout pour tuer ou faire des assassinats
aveugles.
Vous avez des preuves de ça ?
Mais s’ils ont été interpellés, c’est parce qu’il y a des
preuves devant la justice.
Monsieur le président, vous avez tout à l’heure au
détour d’une phrase, dit quelque chose que votre
ministre de la Justice avait aussi dit. Il avait affirmé à
la suite des déclarations de ce juge, qu’il y avait de
l’argent qui venait de pays voisins, vous l’avez déclaré
à propos de Reckya Madougou, on va appeler un chat
un chat, elle était connue comme conseillère du
président du Togo par exemple, est-ce que vous
voulez dire par là que son action violente telle que
vous la décrivez, a été financée par des chefs d’Etats
voisins, et par exemple le chef d’État du Togo ?
Vous convenez bien avec moi, qu’il ne serait pas bien
que je cite des noms.
Mais vous avez parlé de chefs d’État tout à l’heure…
Cela suffit. Des hommes d’affaires, des autorités, des
hommes d’États des pays voisins, et je sais de quoi je
parle…
Attendez parce que c’est quand même très important.
Vous dites que des chefs d’État de pays voisins ont
participé à une opération de déstabilisation du
Bénin ?
Ça c’est vous qui le dites, moi je n’ai pas dit ça. Est-
ce que quand des autorités étrangères, même des
chefs d’État appuient un candidat, financent même
éventuellement un candidat, est-ce que leur implication
va jusqu’aux actes criminels que ceux-ci pourraient
commettre ? C’est deux choses différentes.
Elle était financée par des chefs d’État ?
Si vous soutenez un candidat politique qui pour vous
peut-être peut faire une affaire quelque part, et que
cette personne dérape, et va commettre des crimes,
est-ce que vous êtes responsable ? Donc moi je n’ai
pas de preuve que ceux qui ont soutenu Reckya
Madougou l’ont mandatée à ce point.
Qui l’a soutenu ?
Est-ce que c’est de mon rôle, de ma fonction de vous
donner des noms ?
Mais des chefs d’État, on est bien d’accord ?
Je l’ai dit, il n’est pas nécessaire de le répéter, vous
comprenez ce qu’on voulait dire. Ce n’est pas un
secret.
Vous dénoncez monsieur le président les violences qui
ont éclaté dans votre pays notamment entre le 6 et le
9 avril, notamment dans le centre nord du pays. Le
fait est que de nombreux Béninois ont eu l’impression
de ne pas pouvoir s’exprimer dans les urnes, faute de
candidats importants représentant l’opposition, et
qu’ils sont descendus dans la rue pour manifester,
protester. Vous avez regretté vivement qu’il y ait eu
des blessés parmi les forces de l’ordre, mais vous
n’avez pas du tout parlé des morts dans la population
civile, est-ce que vous pouvez nous dire aujourd’hui
combien de personne sont décédées ?
Laquelle population civile ? Laquelle ? De quoi vous
parlez, de quelle population civile ? Il y a eu des morts
parmi les assaillants, parmi ceux qui ont tiré sur les
policiers ? Vous avez l’identité ?
Parmi les populations civiles comme à Savè, comme à
Tchaourou, est-ce qu’il y a eu des populations civiles,
est-ce qu’il y a eu des morts parmi les populations
civiles ?
Avez-vous, comme vous êtes journaliste représenté
au Bénin par des reporters, avez-vous vu des familles
qui ont présenté les dépouilles mortelles de personnes
que vous citez, donné leur identité ? Moi jusqu’à
maintenant en tant qu’autorité en charge de la
sécurité de tout ce qui relève de notre bien-être
ensemble, nous avons cherché à savoir qui sont ceux
qui seraient éventuellement victimes des coups de feu
de défense des forces de l’ordre, c’est important de
savoir, même pour les enquêtes ça a été nécessaire,
on n’a pas vu, nous n’avons même pas vu de
déclaration de décès.
Monsieur le président, je veux revenir aux réactions à
votre élection, et notamment à une réaction que tout
le monde a remarquée, celle du gouvernement
américain. Le département d’État américain a publié
un communiqué en date du 23 avril, je vais le citer
comme ça les choses seront précises : il affirme que
les États-Unis « notent avec inquiétude les
nombreuses arrestations de dirigeants politiques de
l’opposition », ils rappellent l’importance de la
présomption d’innocence, d’une justice transparente
et apolitique, et ils ajoutent qu’ils suivent de près les
actions du gouvernement du Bénin. Vous semblez donc
être dans le viseur de l’administration Biden ?
Pas du tout. Toutes les fois donc qu’il y a des gens
qui portent la casquette politique qui sont interpelés,
ça soulève des inquiétudes légitimes, ça soulève des
interrogations, surtout quand c’est une, deux, trois,
quatre, cinq personnes c’est étonnant, c’est
inquiétant…
On a l’impression que c’est une dérive autoritaire,
disent les États-Unis…
Ils n’ont jamais dit ça.
Mais c’est l’impression qu’ils donnent…
Non, ils disent qu’ils suivent de près et tout le monde
est préoccupé y compris eux, et moi-même par une
justice transparente, qui ne soit pas à la solde d’une
classe politique, c’est légitime et c’est normal, vous
aussi, ce n’est pas seulement eux, que ce soient les
Japonais, les Chinois ou les Européens, tout le monde
dit toujours attention il ne faut pas qu’on utilise la
justice pour régler des comptes politiques, et cette
interrogation est légitime, cette préoccupation est
légitime, maintenant à la suite, on verra si ceux qui
ont été interpelés, ceux qui vont être condamnés sont
condamnés, parce qu’ils ont fait quelque chose avec
preuve ou non, il y en a qui seront peut-être libérés.
Vous avez dit lors de votre discours de victoire : « Je
m’emploierai à améliorer ma façon de diriger », est-ce
que vous êtes ouvert à un dialogue avec l’opposition,
comme celle-ci vous y invite ? Et est-ce que vous
envisagez un geste d’apaisement à l’égard notamment
de ces figures de l’opposition ?
Je n’envisage point l’impunité. Je n’envisage pas à
nouveau de fermer les yeux sur ce qui s’est passé ou
bien de gracier ou d’amnistier, parce que ça devient
récurrent. Il n’est pas envisageable qu’une fois
encore, les gens soient graciés de quelque chose qui
devient récurrent. On a arrêté des gens qui ont été
auteurs des actes en 2019 et qui ont récidivé. Vous
voulez les gracier à nouveau ? Ce serait une faute.
Monsieur le président, l’article 42 de la Constitution
stipule que nul ne peut exercer plus de deux mandats,
toute sa vie, à votre initiative, une réforme qui a été
adoptée en 2019. Vous contrôlez le parlement et
certains vous soupçonnent de peut-être vouloir
changer cette constitution pour pouvoir, comme un
certain nombre de chefs d’Etat, de la région ou un
petit peu plus loin l’ont fait, en disant finalement la
Constitution, c’est un bout de papier, le peuple me
réclame donc je reste. Alors est-ce que vous pouvez
nous dire oui ou non, est-ce que vous allez changer
cet article ?
Est-ce que le Bénin ne fait pas la différence depuis
un moment ? Quand vous observez le Bénin, vous ne
voyez pas que ça se passe autrement ? Est-ce que
cette phrase-là, quelqu’un l’a jamais mise dans une
constitution ? Déjà pourquoi vous ne reconnaissez
pas déjà l’importance d’une telle phrase, qui règle le
problème des constitutions nouvelles, des remises à
compteur à zéro, des troisième, quatrième, cinquième
mandats, ce sera ainsi, personne ne changera cela,
en tout cas pas moi, ni à mon initiative, je ne pense
pas que le Bénin changerait, les Béninois tiennent
beaucoup à la limitation des mandats. C’est pour ça
que nous avons fait ça, pour éviter toute tentation
de nouvelle constitution devant entraîner une remise
à zéro des compteurs, parce que ne pas le faire, ça
nous a empêchés de faire même des retouches
techniques à la constitution, par peur que ce ne soit
évoqué par quelqu’un pour s’éterniser au pouvoir.
Donc c’est votre dernier mandat ?
Bien sûr.
En 2026, Patrice Talon ne sera pas candidat ?
Monsieur Boisbouvier, je nous souhaite longue vie et
bonne santé, pour que nous puissions ensemble
constater cela.
Donc c’est un engagement ferme…
Il ne peut en être autrement.
Source : Rfi