14/11/2022
Les tokpa tokpa, les rois de Cotonou
Ils sont intouchables. Des véhicules à qui l'on a donné une dixième vie. Au volant de ces engins, des jeunes arrogance à la bouche, souvent sans permis de conduire, parfois sous l'emprise de produits psychotropes, roulant comme s'ils n'avaient de compte à rendre à personne. Ça cogne sans ménagement, ça menace de précipiter au pays des morts tout audacieux qui se retrouveraient dans leurs trajectoires, les plus malheureux perdent la vie, dans les cas les plus heureux, une jambe. Il ne se passe pas une semaine sans que des victimes ne soient inscrites à leur tableau de palmarès.
Pourtant, Cotonou est une ville qui nourrit la formidable ambition d'être la vitrine du Bénin. Tout se fait d'ailleurs pour sa métamorphose. Infrastructures routières, marchandes, sportives et surtout touristiques. Mais en plus, le Littoral est à l'initiative et en pôle position de la mise en œuvre de certaines réformes importantes tels que le code de l'hygiène et surtout le port de casque pour passager et conducteur de véhicule à deux roues. La répression, nous annonce t-on, démarre le 15 novembre 2022. Mais il y a un domaine dans lequel Cotonou peine à transformer pour être en phase avec ses ambitions, le transport urbain, celui des tokpa tokpa, ces cousins des camions.
Il sert à quoi qu'on interdise la circulation des personnes sans casque sur moto, à raison, qu'on interdise la surcharge sur moto, et qu'on laisse les tokpa tokpa, ces autobus faucheurs d'âme, dans lesquels on entassent des béninois, chaque jour, tels des bêtes, rouler sans aucune restriction ? Porto-Novo, Bohicon, Parakou ont réglé la question des chargements hors parc ou des parcs clandestins. Pourquoi Cotonou serait-il impuissant face aux tokpa tokpa ? D'où tirent-ils ce zèle de se comporter au mépris de toute règle ? Jusqu'à quand allons nous continuer par laisser les béninois à la merci de ces semeurs de mort? S'il y a une chose que le drame du CNHU qui est encore dans tous les esprits nous a appris, c'est que nos manquements, nos lâchetés, la banalisation de nos responsabilités ont souvent des conséquences irréversibles.
On se souvient qu'un Préfet avait, par arrêté, voulu mettre de l'ordre dans le secteur du transport urbain comme c'est le cas dans les grandes villes africaines. Mais après deux jours où Cotonou a semblé respirer la fluidité et l'ordre, il a plu à un ministre de la République, aujourd'hui candidat aux élections législatives dont l'électorat est massivement dans cette activité de transport, d'arrêter la réforme pourtant opportune, jetant au passage à la vindicte populaire le représentant de l'État dans le département, pour qui au passage je n'ai pas grande sympathie, en faisant croire que son initiative était une action solitaire. Or, le dernier des cons sait dans ce pays le circuit par lequel un arrêté préfectoral transite.
Derrière, les tokpa tokpa se sont vus pousser des ailes et plus rien ne les arrête désormais. Ils foncent sur tout usager de la route qui se met sur le passage, même les policiers ne sont pas épargnés par leur outrecuidance. La ville leur appartient désormais. Quelques questions méritent cependant d'être posées pour mieux comprendre pourquoi ces ferrailles ambulantes qui roulent comme s'ils avaient le permis de tuer sont intouchables. A qui appartiennent ces véhicules ? Le statu quo sur le désordre qui règne profite à qui? Les calculs électoralistes permettent-ils de réformer vraiment le secteur ?
Toutes ces questions trouvent leurs réponses dans l'attitude de ces individus qui promettent la mort à chaque coin de rue ou carrefour. Il est important de rappeler au ministre Raphaël Akotègnon qui dans quelques jours sera en campagne électorale devant les béninois, qu'il est honteux de sacrifier des réformes utiles pour assouvir à la volonté des lobbies mafieux qui n'ont visiblement aucun intérêt à ce que les choses changent dans le secteur tout comme il est totalement scandaleux de torpiller une réforme pour des impératifs électoralistes. En tout cas le spectacle qu'offre Cotonou n'est pas digne de ses ambitions. Jusqu'à quand les tokpa tokpa seront-ils les rois de Cotonou ?
Fiacre Hotep Gbaguidi