28/11/2025
PORT TOUS AZIMUTS DE LA TIARE À TROIS BECS DANS LA CHEFFERIE TRADITIONNELLE DU BÉNIN
Sont-ils tous « de l’ethnie » ou l’histoire est-elle entièrement oubliée ?
Depuis quelques années, un phénomène attire l’attention des observateurs de la vie socioculturelle au Bénin : la prolifération du port de la tiare à trois becs au sein de la chefferie traditionnelle. Jadis symbole distinctif, soigneusement encadré par des règles de transmission, cet élément de parure est devenu un objet d’affichage généralisé, parfois exhibé loin de son contexte historique, spirituel et culturel d’origine. Une question s’impose alors : assistons-nous à une extension légitime d’un héritage partagé ou à une perte progressive de sens, où la mémoire des peuples se dissout au profit de simples ornements ?
Historiquement, la tiare à trois becs n’était ni cosmétique ni décorative. Elle traduisait un enracinement lignager précis, un rapport particulier à l'histoire de la communauté Setto Hounvê-Tchinan, un ancrage dans une tradition spécifique dont chaque détail (forme, nombre de pointes, matériau, ornements) était codifié. Elle ne se portait ni par effet de mode ni par opportunisme identitaire, mais en vertu d’une légitimité que seuls les initiés, gardiens et détenteurs investis pouvaient revendiquer. Elle symbolisait un mandat, un devoir, une mémoire collective dont la fragilité commandait respect et prudence. Malheureusement, le constat actuel laisse néanmoins entrevoir un glissement. La tiare s’affiche désormais en tout lieu, dans toutes les cérémonies, par des acteurs parfois extérieurs à la lignée, parfois éloignés du rite, parfois ignorants des charges symboliques qui accompagnent ce port. L’objet, décontextualisé, semble changer de statut : d’attribut réservé, il devient presque un argument de représentation, un marqueur d’autorité sociale et politique plus qu’un signe authentique de gouvernance traditionnelle. Ce foisonnement interroge la fidélité à l’histoire et le rapport qu’entretient la société contemporaine avec sa mémoire profonde. Il serait pourtant réducteur d’accuser seulement la modernité ou l’ambition des individus. Car ce phénomène révèle aussi les fissures d’une transmission devenue fragile. Beaucoup de communautés ont vu leurs récits traversés par les migrations, les métissages, les brassages et les recompositions culturelles. D’autres ont simplement perdu, au fil des générations, le lien avec les versions originelles de leurs propres symboles. Les transformations sociales et économiques ont introduit de nouveaux espaces de pouvoir, où la légitimité traditionnelle peine parfois à s’affirmer, s’actualiser ou se défendre.
Dès lors, la multiplication du port de la tiare peut être perçue comme un symptôme : celui d’une société qui cherche à s’approprier des signes pour affirmer une identité, sans toujours en comprendre la portée. Ce n’est pas tant la question « Sont-ils tous de l'ethnie Setto Hounvê-Tchinan ? » qui se pose en priorité, mais plutôt : où se trouvent les cadres de régulation, de mémoire et d’éducation autour des symboles qui façonnent les traditions ? Car la véritable problématique n’est pas l’appartenance, mais la dérive qui guette toute tradition dont le sens n’est plus questionné. L’enjeu, aujourd’hui, est de restaurer les espaces où s’enseignent et se transmettent les codes : palais royaux, conseils de notables, autorités lignagères, maîtres de culte, historiens, anthropologues et détenteurs de la tradition orale. Ce sont eux qui détiennent encore la capacité de relier les générations aux fondements véritables des symboles, de clarifier ce qui relève de l’héritage, de l’initiation ou de l’usurpation, et de rétablir les frontières qui garantissent la cohérence interne des cultures. Car la tiare à trois becs n’est pas qu’un élément vestimentaire. Elle est une énigme ancestrale, un récit condensé, un contrat spirituel et politique de la communauté Setto Hounvê-Tchinan. Sa banalisation n’est pas un simple détail visuel ; elle met en jeu la profondeur de la tradition, l’intégrité de la chefferie et la fidélité aux peuples qui en sont les porteurs originels.
Ce débat mérite donc d’être ouvert, non dans une logique d’exclusion, mais dans une démarche de vérité : retrouver les repères, rétablir le sens, clarifier l’histoire. C’est à cette condition que la tiare continuera d’être un symbole vivant, et non un objet vidé de son âme. Car lorsqu’un peuple oublie le sens de ses signes, il commence, sans le savoir, à perdre le fil de son propre récit.
Tchékpémi Jacques AHOUANSOU