
09/28/2025
đłđ đđđđđ đđđđđđđđđ ? đ·đđđđđđđ đđđđđđđ
Par Samuel Rasmussen, publié sur Pilule Rouge.
Petit billet sur le libéralisme municipal à l'abri de la chapelle des cités
Les partis politiques municipaux sont des accessoires dĂ©coratifs dâune dĂ©mocratie locale qui devrait fonctionner au tournevis et au bon sens, pas au logo et Ă la ligne de parti. On nous vend ces banniĂšres comme des instruments de clartĂ© et dâefficacitĂ©; en pratique, câest une machine Ă slogans, Ă clientĂ©lisme et Ă paralysie. Ă Sherbrooke, on a nos chapelles; Ă MontrĂ©al, QuĂ©bec, Gatineau, Laval, LĂ©vis ou Saguenay, on a les leurs. Les couleurs changent, la logique reste: on plaque une idĂ©ologie sur des enjeux de trottoirs, dâĂ©gouts et dâurbanisme, puis on sâĂ©tonne que la ville patine. A-t-on vraiment besoin dâun manifeste pour ramasser les ordures et rĂ©parer un pont? Si lâon est rĂ©aliste, quâon prenne au sĂ©rieux la libertĂ© de jugement, la responsabilitĂ© individuelle et la subsidiaritĂ©: ce qui marche Ă lâĂ©chelle dâun quartier se rĂšgle entre adultes, au plus prĂšs du citoyen, sans chef de meute qui dicte la liturgie du mardi soir.
Le parti municipal promet de « structurer le dĂ©bat ». Traduction: rigidifier les positions, confesser le catĂ©chisme du moment et punir la nuance. Dans la vraie vie, la politique locale, câest un plombier qui ne vient pas, un contrat mal ficelĂ©, un carrefour mal dessinĂ©, un rĂšglement qui Ă©touffe les commerces, un permis qui nâarrive jamais. Face à ça, lâĂ©tiquette devient un handicap. Le conseiller qui porte lâuniforme doit approuver ce que le caucus a dĂ©cidĂ©, mĂȘme si le terrain crie lâinverse. Et si, par miracle, il rĂ©siste, on lâexcommunie par des procĂ©duriers qui transforment le conseil en tribunal. Regardez nâimporte quel conseil dominĂ© par une Ă©curie: on vote en bloc, on lit des fiches, on fait semblant de dĂ©libĂ©rer. Ce nâest pas de la gestion, câest du théùtre dâombres.
On me dira: « mais les partis donnent une vision! ». Oui, une vision en carton-plume, imprimĂ©e Ă lâavance, qui survivra exactement jusquâau premier nid-de-poule. Ă Sherbrooke comme Ă MontrĂ©al, le programme prĂ©tend rĂ©soudre simultanĂ©ment le logement, la mobilitĂ©, la fiscalitĂ©, lâurbanisme, lâenvironnement, la vitalitĂ© commerciale, la culture et la neige en moins de quatre ans, le tout sans augmenter les taxes ni contrarier les lobbys. On saupoudre des adjectifs vert, inclusif, ambitieux, rĂ©silient et lâon croit avoir fait le travail. Puis vient la rĂ©alitĂ©: lâappareil administratif, les appels dâoffres, la rĂ©glementation provinciale, les finances serrĂ©es, les voisins pas contents. La « vision » se disloque en promesses Ă©tirĂ©es; la ligne de parti, elle, reste. On garde la banniĂšre, on perd le service.
Et parlons du clientĂ©lisme, ce secret de Polichinelle. Un parti local, câest une petite entreprise Ă©lectorale: il faut lever des fonds, recruter, coller des pancartes, rĂ©server des salles, rĂ©compenser les loyaux. Qui paye, qui aide, qui promet ses rĂ©seaux? Les mĂȘmes qui, par un hasard galopant, auront besoin dâun coup de pouce le moment venu. Le clientĂ©lisme municipal, ce nâest pas la valise de billets; câest la faveur douce: un poste dans un comitĂ©, un contrat de communication, un projet « priorisĂ© », un dĂ©lai Ă©vaporĂ©. On y glisse « au nom de la communautĂ© » un paquet de dĂ©licatesses auxquelles il manque une seule chose: la transparence. Les indĂ©pendants nâen sont pas immunisĂ©s, mais le parti fabrique la logique de cour, dĂ©multiplie les loyautĂ©s et dilue la responsabilitĂ©. Ă la fin, tout le monde sert un drapeau, personne ne rĂ©pond clairement.
Ajoutons le carriĂ©risme, maladie jumelle. Les partis municipaux attirent, câest mĂ©canique, ceux qui rĂȘvent dâun tremplin. La ville devient une rampe de lancement vers le provincial, le fĂ©dĂ©ral, des conseils dâadministration, des officines Ă la mode, peu importe. On vote alors moins avec nos rues en tĂȘte quâavec notre « futur moi » en bandouliĂšre. On prend les positions qui plaisent Ă la clientĂšle politique, au milieu militant ou Ă la presse du moment, pas celles qui rĂ©gleraient le problĂšme de lâheure. Et puisque lâĂ©tiquette offre une armure, lâĂ©lu sây rĂ©fugie: câest « la position du parti », pas la sienne; la faute devient distribuĂ©e, et la responsabilitĂ©, vaporisĂ©e.
La paralysie bureaucratique suit comme la nuit le jour. Avec un parti, chaque dĂ©cision doit faire son petit voyage rituel: comitĂ© politique, caucus, validations internes, alignements de communication. La salle du conseil devient le dernier arrĂȘt dâun train qui a dĂ©jĂ choisi sa destination. On y lit des notes, on y rĂ©cite des Ă©lĂ©ments de langage. Cela donne des soirĂ©es complĂštes pour reporter de trois mois la peinture dâune piste cyclable. Dans une ville, lâennemi nâest pas lâadversaire politique, câest le temps perdu. Quand QuĂ©bec demande dix parapheurs pour dĂ©placer une traverse piĂ©tonne, quand Gatineau polit trois communiquĂ©s avant de boucher un trou, quand Laval rĂ©vise quatre fois le mĂȘme rĂšglement de zonage pour plaire au caucus, le citoyen dĂ©croche. Le parti nâa pas ajoutĂ© de lâefficacitĂ©; il a ajoutĂ© une hiĂ©rarchie.
Et la proximitĂ©? Elle se dissout dans la discipline de parti. Le citoyen veut parler à « son » Ă©lu; il se retrouve face Ă une matriochka: attachĂ© politique, cellule de com, bureau du chef, comitĂ© thĂ©matique. Lâobsession de lâalignement Ă©touffe la conversation franche. LâĂ©lu indĂ©pendant, lui, nâa pas de ligne Ă avaler: il Ă©coute, il tranche, il sâexplique. La dĂ©mocratie locale nâa pas besoin dâorateurs en uniforme; elle a besoin de voisins compĂ©tents. On prĂ©tend que lâĂ©tiquette « aide Ă comprendre ». En rĂ©alitĂ©, elle abrutit le dĂ©bat: on classe le candidat dans une boĂźte et lâon arrĂȘte de lire le CV. RĂ©sultat prĂ©visible: le talent sâenfuit, la docilitĂ© prospĂšre.
Le plus ironique, câest que lâargument massue des partis « la cohĂ©rence » se retourne contre eux. Quelle cohĂ©rence y a-t-il Ă promettre partout la mĂȘme recette, des ruelles de Sherbrooke aux boulevards de MontrĂ©al, des quartiers de QuĂ©bec aux secteurs de Saguenay? Les villes diffĂšrent par leur tissu social, leur parc immobilier, leur topographie, leur budget, leurs contraintes externes. La subsidiaritĂ©, principe cardinal pour un libĂ©ral sĂ©rieux, exige lâadaptation locale et la responsabilitĂ© au plus bas niveau. Les partis municipaux imposent lâhomogĂ©nĂ©itĂ©: ils parlent le mĂȘme dialecte dâarrondissement en arrondissement et sâĂ©tonnent que la sauce ne prenne pas. On gouverne alors Ă distance, distance idĂ©ologique, des problĂšmes rĂ©els.
Je sais lâobjection: « sans partis, câest le chaos, la foire dâempoigne, lâincohĂ©rence permanente ». Comme si lâordre venait du logo. Lâordre vient des institutions: rĂšgles claires de convocation, de vote, de publication, de reddition de comptes; plans financiers rĂ©alistes; contrats lisibles; Ă©valuations publiques des projets; mandats limitĂ©s, renouvelables devant lâĂ©lecteur, pas devant le chef. Lâordre vient de procĂ©dures simples et dâune culture de la responsabilitĂ©, pas dâune discipline de parti qui transforme la ville en couvent de militants.
Quâon me comprenne: lâidĂ©ologie nâest pas un gros mot, elle devient toxique quand elle sert de substitut Ă la compĂ©tence. Une ville nâest ni un think tank ni un parlement miniature: câest une entreprise de services publics. Elle doit livrer â eau, voirie, sĂ©curitĂ©, collecte, permis, amĂ©nagement, avec parcimonie budgĂ©taire et exigence de rĂ©sultats. Au besoin, elle doit renoncer Ă certaines lubies rĂ©glementaires, ouvrir la porte Ă la concurrence privĂ©e, contractualiser intelligemment, rĂ©duire les dĂ©lais et cibler lâinvestissement. VoilĂ un terrain oĂč le libĂ©ralisme nâest pas un slogan, mais une mĂ©thode: coĂ»t-bĂ©nĂ©fice, incitations, transparence, libertĂ© dâinitiative. Aucune de ces vertus ne nĂ©cessite un parti municipal. Toutes rĂ©clament des Ă©lus libres.
Alors, que fait-on? On renverse la logique. Dâabord, on institutionnalise lâindĂ©pendance: bulletins sans Ă©tiquette, ou Ă©tiquette « indĂ©pendant » par dĂ©faut, et fin des lignes de parti au conseil. Un Ă©lu peut Ă©videmment sâassocier, travailler en groupe, partager un programme ; mais lâassociation ne doit confĂ©rer aucun privilĂšge procĂ©dural, aucun strapontin de plus, aucune prioritĂ© de parole. Ă MontrĂ©al, comme Ă Sherbrooke ou Ă QuĂ©bec, lâassemblĂ©e doit ĂȘtre un marchĂ© dâidĂ©es, pas un concours de slogans.
Ensuite, on arme le citoyen: transparence intĂ©grale et proactive. Ordres du jour publiĂ©s en amont, documents bruts accessibles, budgets comprĂ©hensibles, contrats lisibles. Vote enregistrĂ© et traçable: chaque conseiller explique, noir sur blanc, pourquoi il a votĂ© pour ou contre. Indicateurs de performance publics: dĂ©lais de permis, coĂ»ts unitaires de travaux, satisfaction des usagers, entretien des actifs. Le tout comparable entre arrondissements et entre villes. La concurrence, mĂȘme symbolique, a des vertus colossales: quâun citoyen de Sherbrooke puisse voir, en une page, comment se comporte son quartier face Ă LĂ©vis ou Ă Laval, et vous verrez des miracles de frugalitĂ©.
TroisiĂšmement, on rĂ©habilite le mandat local comme un contrat personnel. Un Ă©lu se prĂ©sente sur un plan de quatre ou cinq prioritĂ©s concrĂštes et mesure, trimestre aprĂšs trimestre, ce quâil a livrĂ©. Sâil dĂ©vie, il lâexplique. Sâil rĂ©ussit, il est rĂ©compensĂ© par lâĂ©lecteur; sâil Ă©choue, il cĂšde la place. Pas besoin de mot dâordre, de caucus, de whip. La responsabilitĂ©, câest la libertĂ© avec facture: on vous laisse agir, mais on vous demande des comptes. La politique municipale devrait ressembler Ă une relation de service, pas Ă une croisade tribale.
QuatriĂšmement, on dĂ©graisse lâappareil politique pour prĂ©server lâappareil administratif. Moins de cabinets, moins de communicants partisans, plus de professionnels tenus Ă la neutralitĂ© et Ă la performance. Quâon paie correctement des directeurs gĂ©nĂ©raux compĂ©tents, quâon publie leurs objectifs, quâon les Ă©value. Et quâon cesse de confondre « politique » et « direction ». Les Ă©lus fixent des prioritĂ©s claires; lâadministration exĂ©cute; le public contrĂŽle; point final.
Enfin, on cesse de se raconter des histoires. Le parti municipal nâest pas un pont entre le citoyen et lâĂtat; câest un voile. Il a peut-ĂȘtre une utilitĂ© Ă©lectorale pour ceux qui tiennent au confort de la banniĂšre. Pour la ville, il est surtout une distraction coĂ»teuse. La vraie modernitĂ© municipale nâa rien dâexotique: elle tient dans trois mots que tout libĂ©ral reconnaĂźt â libertĂ©, responsabilitĂ©, proximitĂ©. LibertĂ© de jugement pour lâĂ©lu et lâentrepreneur local; responsabilitĂ© budgĂ©taire et politique, personnelle, traçable; proximitĂ© rĂ©elle avec les besoins, sans intercesseurs Ă plumes.
Nous nâavons pas besoin dâune « grande vision » municipale en sept couleurs, encore moins dâun brĂ©viaire Ă rĂ©pĂ©ter en caucus. Nous avons besoin de rues qui tiennent, dâeau qui coule, dâimpĂŽts qui nâexplosent pas, dâentreprises quâon nâentrave pas, de quartiers quâon Ă©coute. Tout cela exige de lâindĂ©pendance dâesprit, de la sobriĂ©tĂ© rĂ©glementaire et une obsession du rĂ©sultat. Rien de tout cela nâexige un parti. Au contraire: câest souvent malgrĂ© les partis que les villes rĂ©ussissent. Ă Sherbrooke comme ailleurs, lâheure nâest pas Ă choisir un logo, mais Ă choisir des gens; des personnes qui signent de leur nom des engagements concrets et qui acceptent dâen payer le prix, en toute lumiĂšre. Câest ainsi que renaĂźt la politique locale: quand elle cesse dâĂȘtre un sport dâĂ©quipe pour redevenir ce quâelle nâaurait jamais dĂ» cesser dâĂȘtre, un service rendu aux voisins.