09/24/2025
“La noyade silencieuse”
Je m'appelle Idriss, j'ai 41 ans.
Et si je vous raconte cette histoire, ce n’est pas pour chercher la pitié. C’est parce que j’ai appris, dans la douleur, que la foi n'est pas un concept religieux ou une idée abstraite. C'est un choix. Un refuge. Une force qu’on oublie… jusqu’à ce qu’on en ait désespérément besoin.
À 36 ans, j'avais ce que beaucoup appellent “une belle vie”. Un bon poste dans une boîte de conseil, un appartement dans le centre, une femme que j’aimais profondément, et un petit garçon de 3 ans. De l’extérieur, tout allait bien. Mais à l’intérieur, quelque chose clochait depuis longtemps.
Je n’ai jamais vraiment su comment me reposer. Mon cerveau tournait sans arrêt. Anticiper, prévoir, contrôler. Je pensais que si je pouvais tout maîtriser, alors rien de grave ne m’arriverait. Je passais mes journées à imaginer le pire pour mieux l’éviter. J’étais un expert en scénarios catastrophes. Et cette compétence, je la prenais presque pour une vertu. Comme si m’inquiéter, c’était être responsable.
Mais l’inquiétude n’est pas une stratégie. C’est un poison lent.
Tout a commencé à s’effriter la veille de mes 37 ans. Mon fils, Lounis, est tombé malade. Une simple toux, rien d’alarmant. Mais moi, j’ai paniqué. J’ai vu un hôpital, un diagnostic grave, une tragédie. Je n’ai pas dormi de la nuit. Je l’ai regardé respirer, en comptant ses souffles.
Ma femme, Hania, m’a pris la main au petit matin.
— Idriss, il va bien. C’est juste un rhume. Détends-toi.
Mais je ne pouvais pas. Je ne savais plus comment.
Après ça, tout s’est emballé. Chaque situation anodine devenait une menace. Un mail sans réponse ? Une catastrophe professionnelle en préparation. Un appel en absence de mes parents ? Un accident certain. Une douleur au ventre ? Un cancer foudroyant. Je riais encore aux blagues des autres, mais à l’intérieur, je suffoquais.
Je passais mes nuits sur Google. “Symptômes d’AVC silencieux”. “Comment détecter un cancer sans douleur.” “Crise économique 2025 : que faire ?”
Je collectionnais les réponses comme d'autres collectionnent les armes. Toujours prêt. Toujours en alerte.
Mais la peur… ne se rassasie jamais.
Hania a commencé à s’éloigner. Elle me disait :
— J’ai l’impression que tu n’es plus là. Même quand tu es là.
Je ne savais pas quoi répondre. Parce qu’elle avait raison.
Le point de rupture est arrivé un mardi matin. J’étais dans le métro, direction mon bureau, et j’ai senti mon cœur s’emballer. Mes mains sont devenues moites. Ma gorge s’est resserrée. J’avais du mal à respirer. Je croyais que je faisais une crise cardiaque.
Je suis sorti précipitamment, en sueur, en panique, j’ai pris un taxi pour aller aux urgences.
Après plusieurs heures d’attente, examens, ECG, prise de sang, le médecin est venu vers moi, calme.
— Monsieur, tout est normal. C’était une attaque de panique.
— Vous êtes sûr ?
— Oui. Mais il faut que vous consultiez. Ce n’est pas “juste” du stress. C’est une alerte.
Je suis rentré chez moi, honteux. Hania m’a regardé, épuisée. Et elle m’a dit :
— Idriss… tu es en train de te noyer. Et tu refuses qu’on te tende la main.
Je ne suis pas un homme religieux. Ou du moins, je ne l’étais plus. J’ai grandi dans une famille musulmane, pratiquante, avec des valeurs fortes. Mais en grandissant, j’ai rangé tout ça dans un coin de mon esprit, comme une boîte poussiéreuse. Je me disais : “Un jour, quand je serai vieux, j’y reviendrai.”
Mais ce jour est venu plus tôt que prévu.
Un soir, après une autre crise d’angoisse, je me suis effondré sur le sol de la salle de bain. J’ai pleuré. Comme un enfant. Les mains sur le visage, le cœur en vrac. Et j’ai dit à voix haute, sans réfléchir :
— Si quelqu’un m’entend… j’ai besoin d’aide. Je n’en peux plus.
C’était ma première prière en plus de 15 ans.
Rien de spectaculaire ne s’est passé. Pas de lumière divine. Pas de voix céleste. Mais… quelque chose a bougé. En moi. Comme une fine fissure dans un mur trop longtemps fermé.
Le lendemain, j’ai appelé un thérapeute. Et le surlendemain, j’ai ressorti le vieux Coran que mon père m’avait offert à 18 ans. Pas pour “redevenir religieux”, non. Juste pour lire. Pour chercher.
Et ce que j’ai trouvé, ce n’était pas des règles. C’était une direction.
Il y avait ce verset qui m’a bouleversé :
“Et c’est en Dieu que les croyants placent leur confiance.”
Et un autre :
“Après la difficulté vient la facilité.”
Des phrases simples, mais qui sonnaient comme des cordes jetées à un noyé. Pour la première fois, je me suis demandé :
Et si je n’étais pas obligé de porter tout ça, seul ?
J’ai commencé à ralentir. À respirer. À remettre du sacré dans mes journées. Pas par obligation. Par besoin. Un besoin vital de silence, de verticalité. J’ai appris à dire : “Je ne contrôle pas tout. Et c’est OK.”
C’était terrifiant au début. Mais aussi libérateur.
Petit à petit, mes crises ont diminué. L’angoisse n’a pas disparu, non. Mais elle avait moins de pouvoir. Parce que j’avais arrêté de me battre seul. Parce que j’avais compris que la foi, ce n’est pas seulement croire en Dieu. C’est aussi croire que la vie ne se résume pas à tout anticiper.
Un jour, après des mois de silence intérieur, j’ai emmené mon fils au parc. Il m’a regardé, souriant, et il a dit :
— Papa, tu rigoles plus maintenant. T’es guéri ?
Et j’ai répondu :
— Non, je ne suis pas guéri. Mais je suis en paix.
Hania est revenue vers moi, elle aussi. Plus douce. Elle m’a dit :
— Je suis fière de toi. Pas parce que t’as changé… mais parce que t’as accepté de lâcher prise.
Aujourd’hui, j’ai encore des peurs. Mais je ne leur obéis plus.
Je les écoute, puis je les laisse passer.
Et quand elles deviennent trop lourdes, je me rappelle cette phrase que je me répète en boucle, comme un mantra :
“Ce qui est écrit pour moi ne m’échappera pas. Et ce qui m’échappe… n’était pas écrit pour moi.”
Il a fallu que je touche le fond pour comprendre ça.
Mais parfois, on doit se noyer un peu… pour apprendre à nager avec confiance.
🧠 Leçon à tirer :
L’inquiétude est un piège subtil qui donne l’illusion de contrôle. Mais elle finit toujours par nous voler notre paix. La foi, elle, n’est pas une absence de peur — c’est une décision de croire que la vie a un sens, même quand tout semble flou. Parfois, ce n’est pas une solution qu’on cherche, mais une ancre. Et la foi peut être cette ancre. Quand tu n’arrives plus à tout tenir… lâche, et fais confiance. Tu n’as jamais été censé tout porter seul.