11/07/2025
“COURBETTES A LA MAISON BLANCHE” OU DIPLOMATIE INDIGENTE ? POUR UNE REFONDATION DE LA POSTURE AFRICAINE SUR LA SCENE INTERNATIONALE
Par
Professeur Dédé Watchiba
Introduction : une photo de trop ?
La photographie a circulé abondamment sur les réseaux sociaux : Donald Trump, souriant, assis au centre du Bureau ovale, entouré de cinq chefs d’État africain, debout, visiblement mal à l’aise, en retrait. L’image a suscité une vague d’indignation, certains y voyant l’illustration crue d’un rapport déséquilibré, presque féodal.
Plus qu’une question de protocole, cette scène traduit une crise plus profonde, celle de la dignité diplomatique africaine. À travers les propos condescendants de Trump, les réactions parfois obséquieuses des chefs d’État africains et la scénographie même de la rencontre, s’est rejouée une séquence tristement familière de dépendance symbolique et stratégique.
Cette réflexion interroge les racines de cette posture, ses implications pour les jeunesses africaines, et propose des pistes pour une refondation de la diplomatie africaine sur la base de la gouvernance, de la souveraineté et de la dignité.
I. Une diplomatie du minéral : de la souveraineté au marketing extractiviste
La rencontre du 9 juillet 2025 à la Maison Blanche a été présentée comme une opportunité de valoriser le potentiel économique des cinq pays représentés (Mauritanie, Gabon, Sénégal, Libéria, Guinée-Bissau). Mais les discours prononcés par leurs dirigeants ont surtout révélé une logique mercantile étroite : vendre le sous-sol national au plus offrant. De l’uranium mauritanien au gaz sénégalais, en passant par le lithium, la bauxite ou encore les terres rares, les chefs d’État ont agi comme des agents commerciaux, parfois avec une rhétorique déconcertante jusqu’à suggérer à Trump d’investir dans un club de golf à Dakar.
Ce tournant transactionnel, encouragé par Trump qui a explicitement affirmé passer « de l’aide au commerce », n’est pas illégitime en soi. Mais la mise en scène et le contenu des échanges révèlent une asymétrie de pouvoir. Les États africains n’ont pas présenté une vision souveraine de leur développement, fondée sur la transformation locale des ressources ou sur des partenariats équilibrés. Ils ont plutôt cherché à séduire, à rassurer, à plaire, à tout prix. Or, la diplomatie ne peut être réduite à une opération de charme minéralogique.
II. Humiliations feutrées et mépris diplomatique : entre naïveté et résignation
Les remarques de Trump lors de cette rencontre relèvent moins du folklore que d’un discours problématique, porteur de relents paternalistes. Le président américain s’émerveille publiquement du niveau d’anglais du président libérien (« c’est un bel anglais ! Où avez-vous appris ? »), feint la surprise face à l’apparence juvénile du président sénégalais (« Vous avez l’air jeune… »), et interrompt sèchement le président mauritanien en lui lançant : « Soyez bref, allez droit au but. »
Ces propos ne sont pas anodins. Ils révèlent une perception biaisée et hiérarchisante des relations internationales, où l’Afrique apparaît comme une entité à contenir, séduire ou instrumentaliser, mais rarement à écouter en tant que partenaire stratégique. Le fait que certains chefs d’État aient, dans la même séquence, proposé Trump pour un Prix Nobel de la paix ne fait qu’amplifier le malaise. Il est le symptôme d’un tropisme ancien et dangereux, celui de la dépendance symbolique à l’Occident comme garant de la légitimité et de la réussite politique.
III. Le syndrome de la diplomatie de la mendicité
Le cœur du problème n’est pas la rencontre elle-même, ni même l’intérêt africain pour des partenariats économiques. Il réside dans la posture adoptée. Loin de porter une vision africaine de la coopération internationale, les cinq dirigeants ont incarné ce que l’on pourrait appeler une diplomatie de la mendicité, marquée par un déficit de souveraineté, une quête effrénée de validation extérieure, et une capacité limitée à négocier à partir d’une base stratégique propre.
Cette attitude trouve ses racines dans une gouvernance continentale encore trop dépendante de l’extérieur, peu soucieuse d’auto-détermination, et trop souvent préoccupée par la conservation du pouvoir plutôt que la transformation structurelle des sociétés. À cela s’ajoute une faiblesse chronique des institutions panafricaines, incapables d’offrir une voix collective, digne et respectée face aux grandes puissances.
IV. Restaurer la dignité africaine : gouvernance, souveraineté et leadership transformateur
La dignité diplomatique de l’Afrique ne se décrète pas, elle se construit. Elle suppose d’abord une révolution de la gouvernance interne. Aucun continent ne peut prétendre à la souveraineté s’il ne garantit à ses populations un minimum de justice sociale, de services publics dignes, et de perspectives économiques. Un continent où les élites politiques s’exilent pour se soigner, éduquer leurs enfants ou placer leurs avoirs, perd d’avance toute crédibilité à parler d’égalité entre États.
Ensuite, il faut refonder le leadership africain sur des bases éthiques et stratégiques. Il est temps de passer d’une diplomatie d’appoint à une diplomatie de proposition ; de chefs d’État “en représentation” à des dirigeants porteurs d’agendas structurants. Cela implique de se doter d’une doctrine africaine des relations internationales, cohérente, assumée et affirmée, au-delà des jeux d’allégeance et de survie politique.
Enfin, la jeunesse africaine doit être au cœur de ce sursaut. Elle a besoin de leaders capables d’incarner la fierté, la compétence et l’ambition du continent. Des leaders qui inspirent, plutôt que de donner le spectacle d’un continent à genoux.
Conclusion : “L’Afrique n’est pas un mendiant du monde”
Ce qui s’est joué à Washington est plus qu’une rencontre diplomatique ; c’est le miroir d’une Afrique encore à la croisée des chemins. Soit elle persiste dans une dépendance résignée et symboliquement mutilante, soit elle s’engage résolument dans la voie de la souveraineté, de la gouvernance responsable et de la diplomatie digne.
Il ne s’agit pas de refuser les partenariats. Il s’agit de les négocier avec lucidité, sur la base des intérêts réciproques, et dans le respect des peuples. Car la jeunesse africaine regarde. Elle juge. Et elle attend, avec impatience, une génération de dirigeants capables de faire mentir cette image d’un continent qui courbe l’échine là où il devrait se tenir debout.
Pour une analyse plus approfondie des dynamiques de domination symbolique dans les relations internationales et des pistes concrètes pour restaurer une diplomatie africaine souveraine, je vous invité à consulter l’ouvrage « Le Monde de demain – Regards croisés sur le nouvel équilibre géopolitique mondial » (Dédé Watchiba, Éditions Generis, 2024)