28/06/2025
12 jours de guerre qui ont ébranlé Israël
Au cours des 12 derniers jours, j’ai documenté les scènes quotidiennes de frappes de missiles iraniens en Israël, qui ont eu lieu principalement de nuit. Je suis arrivé sur certains sites quelques minutes seulement après l’impact, alors que les incendies faisaient encore rage et que les blessés étaient extraits des décombres.
Arriver de nuit est toujours trompeur : on ne voit pas grand-chose à part les ambulances et les camions de pompiers. Peu à peu, dans les premières lueurs de l’aube, l’ampleur réelle du désastre se précise : combien de maisons, de véhicules et de fenêtres ont été endommagés, dans quel périmètre, s’il y a encore des personnes ensevelies sous les décombres. Quelques heures après l’impact, les habitants reviennent pour tenter de récupérer quelques-unes de leurs affaires, tandis que les voisins et les curieux arrivent pour constater les dégâts.
Sur les lieux désolants de Bat Yam, où neuf personnes ont été tuées, les équipes de secours ont œuvré pendant des jours pour déblayer les décombres et récupérer tous les corps. Les bâtiments effondrés, le cratère béant, les arbres et les voitures recouverts de cendres, les gens fuyant en pyjama avec leurs enfants et leurs biens dans les bras ressemblent étrangement aux images que les Israéliens ont vues provenant de Gaza au cours des deux dernières années, malgré l’autocensure des médias.
Contrairement aux scènes d’attaques à main armée ou de tirs de roquettes qui ont eu lieu dans le passé à travers Israël, où le slogan «Mort aux Arabes» est souvent omniprésent, je n’ai entendu aucun appel à la vengeance ni aucun chant de type «Mort aux Iraniens». C’est peut-être le choc, peut-être le rôle d’Israël en tant qu’instigateur de la guerre, ou peut-être une prise de conscience plus profonde des limites du pouvoir israélien. Après tout, il s’agit de la première guerre menée par Israël contre un État souverain depuis 1973, et la première qu’il a déclenchée contre un État depuis 1967.
Un cessez-le-feu fragile est en vigueur depuis le matin du 24 juin, mais pas avant qu’un missile iranien ait frappé un immeuble résidentiel dans la ville de Be’er Sheva, dans le sud d’Israël, tuant quatre personnes. Que le cessez-le-feu tienne ou non, le Premier ministre Benjamin Netanyahou peut déjà se targuer d’une réussite de taille : avoir anéanti le sentiment d’immunité des Israéliens.
En effet, cette guerre, qui a coûté la vie à au moins 28 personnes en Israël, a fait craindre pour leur vie des dizaines, voire des centaines de milliers d’Israéliens, en particulier à Tel-Aviv et dans sa banlieue. Pour certains d’entre eux, c’est la toute première fois.
La peur a toujours marqué l’histoire d’Israël, qu’il s’agisse de fusillades, d’attaques au couteau, d’intifadas ou de «cycles» de combats avec le Hamas et le Hezbollah. Mais cette fois-ci, c’est différent. Il ne s’agit pas seulement d’une angoisse existentielle, mais d’une peur subite et individuelle, en particulier dans le centre du pays. Les gens sentent la mort proche, dans le vacarme des missiles qui explosent et l’étendue des dégâts causés par les frappes non interceptées.
Ce qui pouvait auparavant être refoulé ou géré grâce à une certaine routine doit désormais être affronté de plein fouet. Les morts, la destruction des maisons et l’interruption de la vie quotidienne mènent tous à une même conclusion : la politique d’Israël rend le pays invivable pour sa propre population.
✅Une peur viscérale
Au-delà des dégâts matériels, le bilan psychologique est également lourd. Au cours des deux dernières années, les Israéliens se sont habitués aux sirènes et aux abris anti-bombes. Pourtant, lorsque les Houthis ont tiré des missiles et des drones sur Israël et émis des avis d’évacuation imitant ceux de l’armée israélienne à Gaza, de nombreux Israéliens se sont moqués d’eux.
Les roquettes du Hamas et du Hezbollah ont certes causé des dégâts dans le sud et le nord d’Israël, mais elles sont plus faciles à intercepter par les systèmes de défense antimissile de l’armée. Les missiles iraniens sont une autre paire de manches, et on le ressent. L’état d’esprit plombé de la population en témoigne. Les rues du centre de Tel-Aviv sont pratiquement désertes, des scènes qui rappellent l’époque du COVID-19, mais sans la sécurité offerte par l’air libre.
Et si la plupart des Israéliens juifs disposent d’abris anti-bombes dans leurs immeubles ou ont accès à des abris publics à proximité (les citoyens palestiniens, quant à eux, sont livrés à eux-mêmes, systématiquement laissés sans protection), beaucoup se sont plutôt réfugiés dans des parkings souterrains, sachant que tout ce qui se trouve au-dessus du sol peut être détruit par un tir direct.
Vers le milieu de la semaine dernière, le parking humide du centre commercial Dizengoff Center s’est rempli de tentes, de matelas, de chaises longues et de ventilateurs électriques. Une scène similaire s’est déroulée dans l’abri public d’une capacité de 16 000 personnes situé sous la gare routière centrale, dans le sud de Tel-Aviv, qui a été ouvert pour la première fois depuis la guerre du Golfe de 1990-1991.
«Je suis venue ici parce que les missiles iraniens sont beaucoup plus gros, plus bruyants, plus effrayants et plus destructeurs que ceux du Hezbollah et des Houthis», a déclaré Mali, 30 ans, qui s’était réfugiée avec son chat au niveau -4 du Dizengoff Center, au magazine +972. «J’ai pensé qu’il valait mieux se mettre en sécurité et rester ici».
Pnina, 46 ans, a déclaré s’être réfugiée dans le parking du centre Dizengoff parce que l’abri de son immeuble n’est pas sûr.
«Les dégâts causés ailleurs nous ont incités à venir ici», a-t-elle expliqué. «Des bénévoles nous ont apporté des tentes. Je rentre chez moi pour travailler et étudier pendant la journée, mais je passe toutes mes nuits ici».
La peur viscérale ressentie par les Israéliens n’est pas sans fondement. À la suite des attaques menées par le Hamas le 7 octobre, qui ont terrorisé des milliers d’habitants du sud d’Israël, Israël a mené une politique visant à rendre la vie impossible à tous ceux qu’il considère comme ses ennemis : destruction de Gaza, nettoyage ethnique en Cisjordanie, frappes aériennes au Liban, au Yémen, en Syrie et maintenant en Iran.
La «doctrine de Gaza» a été copiée-collée à l’Iran, avec des déclarations étranges du porte-parole de l’armée israélienne sur «l’évacuation» de quartiers entiers de Téhéran, ainsi que des justifications pour le bombardement d’une chaîne de télévision pour «incitation au génocide» et d’une université pour être «affiliée aux Gardiens de la révolution». Et les dommages collatéraux de cette soif de «victoire totale» ont rendu la vie des Israéliens ordinaires insupportable.
Comme souvent par le passé, ceux qui voient le plus clairement la situation sont ceux qui ont tout perdu, ceux qui perçoivent le désastre plus étendu à travers leur propre tragédie personnelle. L’avocat Raja Khatib, qui a perdu sa femme, ses deux filles et sa belle-sœur dans un tir direct de missile sur sa maison dans la ville du nord de Tamra, a déclaré à +972 après leurs funérailles :
«On arrête [les combats] à Gaza, puis on commence au Liban ; on arrête au Liban et on recommence en Syrie ; on arrête en Syrie et on recommence en Iran ; on arrête en Iran et on recommence une troisième ou quatrième guerre du Liban – nous ne savons même plus pourquoi nous faisons ces guerres».
Deux jours seulement avant la catastrophe, Khatib et sa famille étaient rentrés de vacances en Italie.
«J’ai une maison là-bas, au lac de Garde», explique-t-il. «Je vois bien comment les gens vivent là-bas : ils se réveillent le matin pleins d’espoir, plein d’amour pour les autres, en réfléchissant à comment bien vivre, gagner décemment leur vie, planifier leurs vacances. Et ici, à quoi avons-nous affaire ? Des guerres et des victimes. Croyez-moi : il ne doit plus y avoir de victimes. Arrêtez cette guerre maudite, par tous les moyens : asseyez-vous à la table des négociations, empêchez que d’autres personnes ne meurent».
✅Restrictions des libertés
Après le 7 octobre, la plupart de ceux qui ont quitté Israël n’ont pas fui l’attaque du Hamas elle-même, mais la réalité créée par la réponse d’Israël : une vendetta, l’abandon des otages et l’effondrement du contrat social entre le gouvernement et ses citoyens. Le gouvernement israélien a immédiatement lancé une répression sans précédent contre la liberté d’expression de ceux qui s’opposent à la guerre, en ciblant particulièrement les citoyens palestiniens d’Israël. Aujourd’hui, l’ensemble de la population subit une partie de cette répression.
La manifestation la plus évidente est l’interdiction de quitter le pays par voie aérienne et les avertissements extrêmes sur le risque de traverser la frontière terrestre vers la Jordanie ou l’Égypte, transformant de fait Israël en ghetto. Une autre manifestation a été l’attaque contre la liberté de la presse sous forme de directives officielles de la censure militaire israélienne interdisant la publication des lieux des frappes de missiles, conduisant les habitants et leurs proches à jouer aux devinettes au milieu d’un flot de rumeurs sur les réseaux sociaux.
Simultanément, l’incitation à la haine contre les médias s’est intensifiée. Les partisans de la droite poursuivent et harcèlent désormais les photographes et les équipes de télévision sur les lieux des frappes de missiles.
Sur le site de l’impact à Be’er Sheva, le 24 juin, plusieurs habitants se sont rassemblés autour d’un journaliste de Channel 13, l’accusant de travailler pour Al-Jazeera – une accusation devenue une insulte courante pour chaque média non aligné, en particulier depuis qu’Israël a interdit la chaîne qatarie. «Vous servez l’ennemi», m’a dit un commerçant voisin alors que je prenais des photos.
Samedi soir dernier, la police a fait une descente dans un hôtel de Haïfa utilisé par plusieurs chaînes de télévision et a confisqué les caméras de trois journalistes arabes travaillant pour des médias étrangers. Les agents ont vérifié leurs cartes de presse et les ont convoqués pour les interroger. Selon un témoin, les journalistes ont fait remarquer d’Al-Jazeera continuait à diffuser en direct malgré la saisie, mais la police a répondu : «Dites ça pendant l’enquête». Le matériel des journalistes n’a pas encore été restitué.
La veille, la censure militaire a émis des directives familières. Mais dans sa version anglaise, le Bureau de presse du gouvernement (GPO) a ajouté une clause controversée exigeant des journalistes étrangers une autorisation préalable du censeur pour tout ce qu’ils publient, une exigence qui outrepasserait les pouvoirs légaux du censeur.
Le ministre des Communications, Shlomo Karhi, a défendu cette mesure, affirmant que la sécurité nationale est prioritaire sur la liberté de la presse. Cependant, le procureur général Gali Baharav-Miara aurait émis des objections et demandé des explications aux ministres concernés. Les responsables ont affirmé en privé qu’il n’y a pas de changement majeur de politique, mais ont reconnu des incohérences dans l’application de la loi et ont conseillé aux journalistes de demander une autorisation préalable par mesure de précaution. Indépendamment des considérations juridiques, il est clair que l’incitation à la haine sur le terrain a un impact sur la liberté de la presse.
«Les gens pensent que nous sommes Al-Jazeera», a déclaré un journaliste arabe (qui a demandé l’anonymat par crainte de représailles) qui diffuse en arabe pour une chaîne internationale. «Ils disent : «On va vous décapiter»». Il a expliqué avoir même envisagé de porter un badge indiquant «Je ne suis pas d’Al-Jazeera» pour éviter les harcèlements.
«Les gens ont le sentiment d’avoir un ministre et la police derrière eux, et un État faible qu’ils doivent défendre», a-t-il poursuivi. En conséquence, a-t-il ajouté, les journalistes essaient désormais de limiter autant que possible le temps qu’ils passent sur le terrain.
Après avoir frappé l’Iran, le gouvernement israélien a interdit toute manifestation, la police réprimant systématiquement même les plus petites manifestations depuis une semaine et demie. Les manifestations pour un accord sur les otages, qui avaient cours depuis longtemps, ont été complètement interrompues, la restriction permettant commodément de faire disparaître la question de la conscience publique.
Dimanche dernier, une vingtaine de manifestants se sont rassemblés en silence avec des pancartes anti-guerre sur la place Habima à Tel-Aviv, en restant éloignés les uns des autres pour ne pas enfreindre l’interdiction des rassemblements publics. En moins d’une minute, une unité de police – aussi nombreuse que les manifestants – a fait irruption, a détruit les pancartes et procédé à des arrestations violentes.
Le lendemain, à Haïfa, la police a arrêté plusieurs manifestants, affirmant que leurs t-shirts anti-guerre sont illégaux. Plus t**d, la police a arrêté deux personnes pendant la nuit, dont l’activiste anti-Netanyahou Amir Haskel, qui se trouvait sur un trottoir à Tel-Aviv avec une pancarte sur laquelle on pouvait lire : «53 otages à Gaza – leur temps est compté». Le Fonds pour les défenseurs des droits humains a fourni une assistance juridique à 12 manifestants arrêtés depuis que Israël a frappé l’Iran pour la première fois.
Après 12 jours où de nombreux Israéliens ont craint pour leur vie, la population est épuisée. Les gens sont soulagés que le cessez-le-feu, s’il tient, leur permette de reprendre leur routine et marque la fin d’une guerre que beaucoup ont soutenue, mais aussi craint que Netanyahou ne la prolonge pendant des mois, voire plus, comme à Gaza. Certains, moins confiants dans le cessez-le-feu, ne rentrent pas encore chez eux, préférant rester en dehors du centre du pays ou à proximité des abris.
Même si Netanyahou déclare que les attaques contre l’Iran ont «éliminé une menace existentielle» pour Israël, le «quotidien» auquel reviennent les Israéliens reste celui d’une guerre perpétuelle, alors que leur armée continue de semer la désolation à Gaza. L’arrêt des missiles iraniens peut redonner aux Israéliens un sentiment de sécurité, mais le sentiment d’immunité dont ils jouissaient il y a deux semaines va mettre beaucoup plus de temps à se rétablir.