28/07/2025
NUMEN – The Outsider
Il est rare, très rare, trop rare qu’un Opéra-Rock présente une narration d’une telle tenue en parallèle d’une proposition musicale adaptée, diaprée, mouvante, émouvante, qui se donne les moyens d’une œuvre d’une telle ampleur.
Dans notre monde actuel, saturé de superflu, de promesses mensongères, se trouve Paul, homme sensible et intériorisé, profondément meurtri par les dépendances et les chimères. Coincé dans un bourbier existentiel dénué de sens, il se trouve au bord du l’abîme, incapable qu’il est de concilier son monde intime avec les nombreuses contraintes extérieures.
‘Overture’ présente musicalement toute la complexité émotionnelle ressentie par Paul.
‘Any Day on Uranus’ nous donne à voir une famille ordinaire, grise, engoncée dans ses habitudes. Paul, jeune enfant, observe les oiseaux et rêve.
Retour au présent, avec un Paul adulte, silencieux et défait. ‘Tears Don’t Fall’, nous le montre seul sombre, sans larmes pour adoucir un peu la douleur. La dépression s’installe.
Désespéré, il se laisse séduire par Satan (‘Temptation’), comme par le chant des sirènes: plaisir immédiat, succès vain, vie dénué de sens. Paul cède, croyant y trouver le bonheur qui lui a été refusé.
Sa soumission volontaire au vertige d'un monde superficiel, où chaque stimulus promet de combler le vide, mais ne fait que l'approfondir est narré dans ‘A Bad Feeling’.
Flashback: ‘Toys’ où on retrouve l'enfant qu'il fut autrefois: solitaire, bâtisseur d'univers de papier pour échapper aux cruelles réalités. Finalement séduit par la technologie, il rêve d'un avenir prometteur même s’il présente déjà des failles: déshumanisation, vide, silence émotionnel.
En pleine crise, Paul s'accroche à son «va mieux»: ‘PRISTIQ’ un antidépresseur qu’il consomme et aime. Sa dépendance le mène à un voyage «psychotropique» où Sophia lui apparaît: figure archétypale de la sagesse, de l'éternité et de la guérison.
Dans un moment de lucidité douloureuse, il affronte sa vérité (‘White Lies’). Il affronte les mensonges qui l'ont soutenu: son déni, sa bisexualité refoulée, son abandon de Steve – son véritable amour – au profit d'une vie avec Caroline, son épouse, qui, finalement, échoue.
Dans ‘Sophia’, elle l'appelle pour le qualifier d'«enfant éternel» et lui offrir un chemin vers la lumière. Paul est toujours prisonnier. Les chaînes de son passé, ses blessures, continuent de le tirer vers l'abîme.
La confusion s'intensifie dans ‘Two Natures In An Elevator’. Paul monte et descend les étages de son esprit dans cet espace clos. Sophia, Steve et Caroline semblent fusionner en une seule présence. C'est un moment de dédoublement, d'identité fracturée. L'ascenseur devient le symbole de son âme: prisonnière, oscillante, sans direction claire.
De l'autre côté de l'histoire, Caroline chante son propre mal. Dans ‘He Said No’, elle imagine une vie différente où la tendresse et la stabilité auraient triomphé du chaos.
Paul ne peut plus envisager cette possibilité. Son affliction l'a submergé. ‘Test the Wall’ marque son point de rupture. C'est un cri étouffé, une lutte acharnée contre le «mur» qui le sépare du monde et de lui-même. Ses peurs, ses enfers, ses voix intérieures le coincent.
La tragédie survient dans ‘How To Cut Your Throat While Shaving’. La scène est brutale, sans métaphores. Paul se donne la mort dans un acte intime, brut et silencieux.
Son âme se détache de son corps dans ‘The Abyss Of Non-Being’, plongeant dans une dimension inconnue, au-delà du temps, de la souffrance et du langage.
‘The Outsider’s Funeral’, est une cérémonie solennelle. La musique entoure ses adieux. Puis, face à Satan, apparaît une présence lumineuse, compatissante et universelle. Ce n'est pas un nom, c'est un symbole, qu’il se nomme Christ, Bouddha, Mahomet, ou l'essence pure de l'amour divin. Il est venu chercher Paul, non pour le juger, mais pour le guider.
L'œuvre culmine et se termine avec ‘Métamorphoseis’. La voix de Sophia revient, plus comme un guide, mais comme un portail. Elle invite Paul à se détacher du passé, à accéder à un plan supérieur. Son corps est mort, mais son âme – cette étincelle éternelle – entame un processus de transformation.
Avec «The Outsider» NUMEN innove et se donne les moyen de nous asséner une double album ambitieux, audacieux, excellent, exceptionnel.
L’arrivée d’Alba HERNÁNDEZ (chant) est une bénédiction tant sa voix est d’une beauté expressive qui donne vie au récit ET à ses personnages. A la guitare, Jorge CAMARERO, tient sa place avec panache.
Divers invités, et non des moindres, ont participé à l’élaboration de ces 101 minutes de musique/bonheur.
Chaque plage correspond idéalement à l’épisode dont il est question. Un très grand soin a été apporté à la composition et aux orchestrations. NUMEN s’est entouré d’une section de cordes et de cuivres, également une flûte, un hautbois, un basson, des percussions en plus des invités. Cet imposant dispositif offre un univers sonore foisonnant, dynamique, qui joue avec l’ombre et la lumière en suivant le fil narratif.
Steve ROTHERY apporte sa finesse mais aussi son souffle épique aux moments clés. Nacho MAÑÓ (Presuntos Implicados) intervient avec délicatesse et raffinement.
NUMEN vient d’effectuer sa mue – c’est la saison – pour notre plus grand bonheur. Leur univers musical est différent, présentant davantage d’ampleur, d’audace, d’innovation.
Les 16 pièces captivent, enchantent et promettent des écoutes ultérieures passionnantes tant les arrangements, peaufinés, classieux appellent à y revenir pour en capter toutes les subtilités.
La formation espagnole nous livre là une véritable masterpiece qui devrait laisser des traces!
Act 1: (60:41)
1. Overture (05:22)
2. Any Day On Urantia (08:27)
3. Tears Don't Fall (07:30)
4. Temptations (10:34)
5. A Bad Feeling (07:56)
6. Toys (08:51)
7. PRISTIQ (04:46)
8. White Lies (07:15)
Act 2: (40:49)
9. Sophia (03:23)
10. Two Natures In An Elevator (04:45)
11. He Said No (04:46)
12. Test The Wall (06:02)
13. How To Cut Your Throat While Shaving (05:17)
14. The Abyss Of Non-Being (03:11)
15. The Outsider's Funeral (06:54)
16. Metamorphoseis (06:31)
Total: 101:30
Line-up
Alba HERNANDEZ: chant
Jorge CAMARERO: guitares
Manuel MAS: claviers, voix, arrangements additionnels
Victor AARQUES: basse
Gaspar MARTINEZ: batterie
Avec:
Steve ROTHERY: guitare
Juan SAURÍN: guitar
Juanjo HERRERA: guitare
Alisa WUNDER: violon
Javier Aram FILIU: violon et violon alto
Romani CANA: violoncelle
Ana BELDA: flûte
Rafael SANCHIS: hautbois
Carlos Vicente MAS: saxophone, clarinette
Catalina PEREZ: basson
David MARTINEZ: trompette
Hector GONZÁLEZ: trombone
Dani GARCÍA: percussions
Digital et 2CD Astronomy Recording Music - ARMCD016 4 juillet 2025
