
11/06/2025
Armer la police municipale d’Amiens : entre réaction sécuritaire et nécessité d’une politique urbaine globale.
Face à une montée perçue des incivilités et des violences urbaines, la ville d’Amiens a récemment décidé d’armer sa police municipale. Cette mesure, qui s’inscrit dans un mouvement national plus large, interroge sur la pertinence des réponses exclusivement répressives à des phénomènes sociaux profonds. Est-ce vraiment une réponse adaptée à la complexité de la violence contemporaine ? Quelle place doit-on accorder à la prévention, à la compréhension sociologique, et à la construction d’une politique publique ambitieuse de la ville ?
Une montée en puissance du sécuritaire :
La décision amiénoise s’appuie sur une logique de dissuasion. Dans un contexte où les agents de police municipale se sentent parfois démunis face à des situations à risque, l’armement est présenté comme une réponse pragmatique pour « restaurer l’autorité » et « assurer la sécurité ». Pourtant, cette montée en puissance de l’arsenal sécuritaire ne règle pas les causes structurelles des tensions urbaines. Elle les déplace ou les masque.
Comme le souligne le sociologue Laurent Mucchielli, spécialiste de la sécurité et des politiques publiques, « la surenchère sécuritaire repose souvent sur une illusion d’efficacité immédiate ». Elle est une réponse au court terme, davantage dictée par la pression de l’opinion que par une analyse fine des situations locales. Elle peut même aggraver le climat de défiance entre institutions et populations, notamment dans les quartiers populaires.
Violence : symptôme d’un mal-être social :
La violence ne naît jamais ex nihilo. Elle est souvent l’expression d’un malaise plus profond : pauvreté, relégation sociale, discriminations systémiques, désœuvrement, perte de repères. La psychanalyste Caroline Eliacheff insiste sur l’importance de comprendre les ressorts psychiques de la violence juvénile, en particulier dans les territoires où l’absence de perspectives renforce le sentiment d’injustice. Elle parle d’une jeunesse « en souffrance, non écoutée, réduite à une image de menace ».
C’est pourquoi la seule répression ne suffit pas. Elle peut même renforcer le sentiment d’abandon ou de stigmatisation. Le philosophe et psychanalyste Paul-Laurent Assoun évoque la « tentation névrotique du tout sécuritaire », une stratégie défensive de la société qui masque son incapacité à penser l’origine des conflits sociaux.
Penser une politique préventive :
À l’inverse, une politique préventive exige du temps, de l’investissement et une vision. Elle s’appuie sur l’éducation, la culture, l’accès à l’emploi, l’urbanisme inclusif, la médiation. Le sociologue Jean Viard rappelle que « la ville est un lieu de frottement social, mais aussi de construction du lien ». Il plaide pour une « politique de la ville réenchantée », qui mise sur les ressources locales et les capacités des habitants à agir sur leur environnement.
Prévenir, ce n’est pas attendre, c’est anticiper. Cela nécessite d’associer les acteurs du territoire — travailleurs sociaux, enseignants, urbanistes, psychologues, médiateurs — dans une approche transversale. C’est aussi penser l’espace public non comme un lieu de surveillance, mais comme un espace de vie, de mixité, de présence humaine apaisante.
Ni tout-répressif, ni attentisme : une troisième voie à construire
Entre le tout-répressif et le tout-communicationnel, il existe une voie exigeante mais nécessaire : celle d’une gouvernance urbaine fondée sur la connaissance du terrain. Une réponse efficace aux violences suppose une analyse sociologique documentée. Comprendre les dynamiques locales, les réseaux de sociabilité, les trajectoires de marginalisation : c’est la base indispensable pour construire des politiques publiques éclairées.
Cela dépasse d’ailleurs les compétences stricto sensu des collectivités locales. Mais les villes, en tant que lieux où se cristallisent les tensions sociales, doivent impulser cette réflexion, interpeller l’État, s’allier avec les chercheurs, les associations, les citoyens. La politique de sécurité ne peut être isolée de la politique de la ville, de l’école, de la santé mentale.
Construire la paix urbaine, pas l’illusion de l’ordre :
Armer la police municipale peut répondre à une urgence, mais cela ne saurait être un horizon politique. Si Amiens, comme d’autres villes, veut faire face durablement aux défis de la violence, elle doit refuser la facilité du symbolique sécuritaire et investir dans une compréhension profonde de ses réalités urbaines. Il faut réconcilier la ville avec elle-même — non par la peur, mais par la justice sociale, la solidarité, et la reconnaissance mutuelle.
La paix urbaine ne se construit pas qu’avec des armes, mais surtout avec des projets. Et cela, seuls les politiques courageux et visionnaires peuvent en porter l’ambition, et je ne doute pas que le maire d'Amiens n’en soit pas