
29/09/2025
PATRICK CASSE ancien directeur de l'Alcazar et tout-puissant délégué du syndicat FO force ouvrière , poursuivi pour harcèlement moral.
Ce mercredi 10 septembre, cet ancien cadre des bibliothèques de Marseille a été appelé à comparaître devant le tribunal correctionnel de Marseille pour des faits présumés de harcèlement moral. Plusieurs dizaines d'agents de la Ville pourraient se porter partie civile lors de l'audience définitive.
Longtemps, son nom était tu, ou prononcé à mi-voix, par celles et ceux qui le côtoyaient dans les couloirs de l’Alcazar. Son patronyme était synonyme de terreur et certains protagonistes ont, des décennies plus t**d, du mal à évoquer sans émotion la souffrance au travail qu’ils et elles ont subie. Cette réputation établie depuis plusieurs décennies contraste avec la silhouette tout en rondeur et le verbe chantant de Patrick Casse, discothécaire de métier.
Ce mercredi 10 septembre, l’ancien conservateur, poussé vers la retraite en 2022, est convoqué devant le tribunal judiciaire de Marseille. Il est poursuivi pour des faits présumés de harcèlement moral à l’encontre de Pierre Chagny, ancien directeur des bibliothèques de 2019 à 2023. Ces poursuites, confirmées par le parquet à Marsactu, pourraient concerner également d’autres agents des bibliothèques qui auraient eu à subir les agissements présumés de Patrick Casse, parfois durant de longues années. Selon nos informations, ils et elles seraient près d’une dizaine à vouloir se constituer partie civile pour être reconnus comme victimes dans le cadre de cette procédure.
Des dizaines de témoignages et d’auditions
Mais la vague pourrait être plus importante encore. Des anciennes collègues de Patrick Casse ont vu leur carrière stoppée, entravée ou ont été contraintes de quitter la Ville, du fait de l’influence de ce dernier dès les années 90 et au début des années 2000. Si le préjudice subi ne peut être retenu dans le cadre de cette procédure pénale en raison de la prescription des faits, ces personnes ont témoigné durant l’enquête préliminaire et pourraient le faire à nouveau lors de l’audience.
En 2021, quand Pierre Chagny prend la décision de dénoncer celui qu’il nomme “l’agent” dans un document détaillé de près de cent trente pages, il estime ne pas pouvoir passer par les voies administratives classiques. Il écrit ainsi en introduction de son alerte :
“J’ai aussi acquis la conviction que les protections et appuis dont dispose l’agent au sein de la collectivité m’empêchent de dénoncer de tels actes par les voies classiques du rapport disciplinaire, du signalement ou de l’information auprès de la hiérarchie et des services concernés.”
En parallèle de ce document remis à la cellule harcèlement de la Ville, le directeur en poste dépose un article 40, pour dénoncer des faits qu’il estime délictuels, notamment de “harcèlement moral”, mais aussi de “trafic d’influence” du fait du rôle que joue le mis en cause dans l’avancement ou pas de ses collègues.
L’ombre portée de Force ouvrière
Le pouvoir que confère à Patrick Casse son statut de cadre, patiemment obtenu par le biais des mécanismes de promotion interne, se double de l’influence issue de son mandat syndical au sein de Force ouvrière. Dans son rapport, rendu en juin 2022, l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, décrivait ce poids historique de FO, en recommandant à la municipalité d’y mettre fin :
“Les propos rapportés dans le rapport de 2012 et les articles parus dans la presse locale et nationale ont dévoilé les méthodes utilisées naguère pour promouvoir des agents alors même que leur responsable hiérarchique ne les avait pas proposés et que d’autres agents étaient soutenus par la direction de la bibliothèque. Ils ont démontré le rôle majeur joué par un syndicat et plus précisément par son représentant principal à la bibliothèque”.
“Aujourd’hui encore, Patrick Casse continue à suivre le sujet des bibliothèques pour FO en tant que retraité, ce que permettent les statuts de son syndicat”, indique un ancien collègue, sous couvert d’anonymat.
“Je me souviens de la première fois où j’ai été confrontée à lui, se remémore Véronique, qui a travaillé dans les années 90 et 2000 en tant que conservatrice d’État, détachée à Marseille. J’avais un tout petit service de cinq personnes, dont trois étaient encartées FO. Il m’a appelée et a déroulé mon CV, en m’expliquant qu’il allait m’empêcher d’agir. Et effectivement, c’est ce qu’il s’est passé. Parce qu’il couvrait des dysfonctionnements, au nom du fonctionnement structurel du syndicat FO au sein de la municipalité.” Elle finit par être exfiltrée des bibliothèques de Marseille, entamant une longue liste de fonctionnaires d’État poussés dehors par FO.
Véronique a fourni un témoignage écrit dans le cadre de l’enquête préliminaire dont les investigations ont été confiées par le parquet de Marseille à un commissaire de réserve, à la retraite. “Il a pris le temps de me recevoir. Il était très précis dans ses questions, explique une autre bibliothécaire, forcée de quitter son poste en 2019 sous la pression de Patrick Casse. Il était extrêmement étonné qu’un cadre puisse agir aussi longtemps sans que l’administration réagisse.”
Réaction t**dive de la municipalité
Là encore, le fait est largement documenté. Dans son alerte éthique de 2021, Pierre Chagny rappelle les rapports successifs de l’inspection générale des bibliothèques qui, dès 2012, décrivent des faits relevant du harcèlement et de la souffrance au travail. “Pierre Chagny est le seul directeur qui a osé s’opposer à Patrick Casse et ça lui a coûté son poste, estime Chantal Langlais-Boller, ancienne secrétaire générale de la CGT, qui avait publié une lettre ouverte en soutien au directeur, en 2022. Un an après son alerte, rien n’avait bougé. Il a fallu qu’on saisisse la presse pour obtenir une enquête interne dont on n’a jamais eu les conclusions.” Plutôt que d’être mis à pied ou sanctionné, Patrick Casse est écarté des bibliothèques, avant son départ en retraite. Quelques mois plus t**d, Pierre Chagny n’obtient pas le renouvellement de son détachement à Marseille. Il va passer un an dans un placard du ministère de la Culture avant de retrouver un poste de direction, à Sète.
“Je me souviens avoir alerté les élus en CHSCT [comité d’hygiène, sécurité et condition de travail, ndlr] en 2022, s’emporte un représentant CGT. À l’époque, cela aurait déjà dû déclencher un signalement immédiat à la justice au titre de l’article 40.” La CGT réfléchit à se porter partie civile, en tant qu’organisation, “en soutien aux personnes qui envisageraient de le faire”, estime Chantal Langlais-Boller. Une manière également d’envoyer un message à la municipalité qui a trop t**dé, selon elle, à mettre fin à une situation de souffrance.
L’audience du 10 septembre est une audience relais qui vise notamment à fixer la date d’audience définitive et sa durée. Celles-ci pourraient évoluer en fonction du nombre de personnes qui décident de se porter partie civile, via une citation directe si elles estiment avoir été victimes durant la période retenue par le parquet. Contactés par Marsactu, ni Patrick Casse, ni Pierre Chagny n’ont donné suite à nos demandes d’entretien.
https://marsactu.fr/un-ancien-cadre-des-bibliotheques-de-marseille-poursuivi-pour-harcelement-moral/
A LIRE AUSSI :
- 2022
Dans les bibliothèques de Marseille, le patrimoine est « en grand danger »
Marsactu a consulté le rapport provisoire de l’Inspection générale de la culture, du sport et de la recherche sur les bibliothèques de la cité phocéenne. Celui-ci revient sur la faiblesse de l’offre, le mal-être des agents et souligne la situation de « grand danger » de certains fonds patrimoniaux.
https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/051022/dans-les-bibliotheques-de-marseille-le-patrimoine-est-en-grand-danger
- 2018
Les bibliothèques marseillaises sous la coupe réglée du syndicat Force Ouvrière
Ainsi un agent de la bibliothèque de l’Alcazar, également délégué FO, entré comme simple emploi aidé est devenu conservateur en chef sans jamais passer aucun concours
https://parisculturesociale.over-blog.com/2018/04/les-bibliotheques-marseillaises-sous-la-coupe-reglee-du-syndicat-force-ouvriere.html
À Marseille, les bibliothèques sont le symbole d’une gestion à la dérive
Régulièrement en grève depuis décembre 2017, les bibliothèques marseillaises souffrent d’un sous-effectif et d’une direction absente qui laissent le champ libre au syndicat majoritaire FO. À l’Alcazar, vaisseau amiral, la situation a provoqué le départ de nombreux cadres, ainsi que des cas de souffrance au travail.
https://www.mediapart.fr/journal/france/130418/marseille-les-bibliotheques-sont-le-symbole-d-une-gestion-la-derive
- 2016
Le Système G, un film impertinent sur la politique marseillaise
Découvrez qui est le véritable maire de Marseille ! De génération en génération, c'est lui, le système hérité de Gaston Defferre que l'on appelle le système G.
Comment un système aussi unanimement critiqué, peut-il se maintenir élection après élection ? A qui la faute ? Aux élus et à leurs électeurs ?à Gaston ? à ses héritiers ? G comme Gaston, Gaudin ou Guérini ?
G comme génération.
Trois jeunes auteurs-réalisateurs marseillais, F***y Fontan, Romain Fiorucci et Frédéric Legrand, prennent la caméra pour raconter leur ville.
Un film documentaire comme un scalpel pour ausculter un grand corps malade. Le «Système G » confronte le vécu et les analyses de deux types de Marseillais : ceux qui ont connu Defferre pour l’avoir aidé ou affronté et ceux qui vivent dans son ombre et cherchent à s’en dégager.
Élus, militants, syndicalistes, associatifs, chercheurs : 15 acteurs et témoins de la vie politique marseillaise ont accepté de confesser leurs expériences mais aussi leurs inquiétudes.
https://france3-regions.franceinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/metropole-aix-marseille/marseille/systeme-g-film-impertinent-politique-marseillaise-1139463.html
Film complet « Le Système G, un film qui sculpte au scalpel l'héritage politique de la cité phocéenne »
Clientélisme, absence de vision métropolitaine et stagnation économique : une génération de marseillais vit encore dans l’héritage de "Gaston" sans jamais avoir voté pour lui. Pour autant, "le maire illustre" est un bouc émissaire facile. Beaucoup de travers du système Defferre existaient avant lui et n’ont pas davantage été remis en question par ses successeurs. Ce documentaire propose de remonter le temps pour explorer les méandres de la politique de la cité phocéenne. De Gaston Deferre au règne de Gaudin, c’est 80 années de politique qui nous sont ici expliquées au travers de témoignages d’Élus, de militants ou de syndicalistes. Avant ou après Gaston, le vrai maire de Marseille, c’est lui : le Système G.
https://youtu.be/pIwJ-DZ3prA?si=M1VE-uHrQArmbf8w
- 2011
Il n'est plus possible de garder le silence. Il est plus que jamais nécessaire aujourd'hui de dénoncer la situation faite aux fonctionnaires en poste à Marseille dans le secteur culturel.
La démission forcée en décembre 2010 du directeur des bibliothèques de la ville, conservateur général d'Etat, est emblématique de cette situation, qui dure depuis des dizaines d'années, mais qui devient plus que préoccupante à l'approche de l'échéance de 2013, "Marseille-Provence capitale européenne de la culture". Ce directeur, responsable du livre et de la lecture pour les "manifestations 2013" avait initié de nombreux projets, désormais très incertains.
Vous pouvez partager un article en cliquant sur les icônes de partage en haut à droite de celui-ci.
La reproduction totale ou partielle d’un article, sans l’autorisation écrite et préalable du Monde, est strictement interdite.
Pour plus d’informations, consultez nos conditions générales de vente.
Pour toute demande d’autorisation, contactez [email protected].
En tant qu’abonné, vous pouvez offrir jusqu’à cinq articles par mois à l’un de vos proches grâce à la fonctionnalité « Offrir un article ».
https://www.lemonde.fr/idees/article/2011/01/20/marseille-gache-ses-talents-culturels_1467882_3232.html
La "cogestion" exercée à la mairie par le syndicat Force ouvrière, qui fait ici la pluie et le beau temps pour les nominations, avancements, et même pour l'orientation de la politique municipale des personnels, a été décrite depuis longtemps par Michel Peraldi et Michel Samson dans leur livre Gouverner Marseille (réédition La Découverte-poche, Paris, 2006), tout spécialement dans le chapitre : "Force Ouvrière et la Mairie : les liaisons dangereuses".
Il y est indiqué que ce syndicat qui, à la mairie, est un "syndicat-maison", exerce sur les carrières des agents un pouvoir qui oblige le personnel, s'il ne veut pas stagner complètement, à se plier à ses volontés : il doit, soit adhérer, soit, au minimum, se taire. Rien ne doit filtrer au dehors sous peine de sanctions et d'intimidations, déguisées ou non.
Dans ces conditions, il n'est pas difficile pour ce syndicat d'être encore majoritaire à la ville de Marseille (même si, par extraordinaire, il ne l'est plus à la bibliothèque). Chacun comprend que l'on ne peut demander aux agents de pratiquer "l'héroïsme" au quotidien ou de sacrifier leur avancement uniquement par conscience. Et pourtant, beaucoup l'ont fait et le font encore.
Vous pouvez partager un article en cliquant sur les icônes de partage en haut à droite de celui-ci.
La reproduction totale ou partielle d’un article, sans l’autorisation écrite et préalable du Monde, est strictement interdite.
Pour plus d’informations, consultez nos conditions générales de vente.
Pour toute demande d’autorisation, contactez [email protected].
En tant qu’abonné, vous pouvez offrir jusqu’à cinq articles par mois à l’un de vos proches grâce à la fonctionnalité « Offrir un article ».
https://www.lemonde.fr/idees/article/2011/01/20/marseille-gache-ses-talents-culturels_1467882_3232.html
- 2010
De plus les "opposants" clairement repérés sont, à longueur d'année, constamment empêchés dans leur travail, humiliés dans leurs compétences, et finalement dans leur dignité. Cela, comme on peut le penser, crée un climat détestable et une atmosphère de travail nuisible à la santé psychologique des agents. On ne compte plus les dépressions, et, de manière générale, le personnel souffre d'une fatigue nerveuse anormale.
Le conservateur général des bibliothèques, personnalité tout à fait reconnue dans la profession, en poste depuis septembre 2008, notamment pour préparer "Marseille-Provence 2013 capitale de la culture", avait proposé un nouvel organigramme des bibliothèques de la ville, validé dans un premier temps par sa hiérarchie administrative, et sur lequel le personnel avait travaillé pendant un an.
L'organigramme en question, sous la pression du "syndicat majoritaire" – qui avait déclaré ouvertement en réunion syndicale vouloir le départ du directeur – a été refusé par la ville. Le directeur a donc été contraint de partir, faute d'avoir les moyens de "gouverner". La sous-directrice de la bibliothèque de l'Alcazar, c'est-à dire de la bibliothèque municipale centrale inaugurée en 2004, a également donné sa démission (elle est conservatrice en chef d'Etat).
LES "PRATIQUES ORGANISATIONNELLES" DE LA VILLE
Ces derniers événements ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Ils mettent en évidence les "pratiques organisationnelles" de la ville. Michel Peraldi et Michel Samson avaient observé dans leur ouvrage que les cadres de l'administration étaient recrutés en majorité par concours ou par un avancement interne justifié.
Ce n'est plus tout à fait le cas à la bibliothèque de Marseille à vocation régionale (BMVR) qui souffre d'une "fuite des cerveaux" : désormais il n'y a plus, sur un total de 300 agents environ, que six conservateurs territoriaux et plus aucun conservateur d'Etat. Les chefs de service sont souvent des "bibliothécaires" sous payés compte tenu de leurs responsabilités car ils font en réalité un travail de conservateur.
La ville, lors de la construction de l'Alcazar (inauguré en 2004), avait fait un effort considérable en investissement et en personnel. En ce qui concerne le personnel, on assiste au contraire aujourd'hui à un désengagement massif, de la ville mais aussi de l'Etat, conformément aux économies de personnel partout appliquées actuellement.
Pour ouvrir l'Alcazar dans de bonnes conditions et à temps, le personnel s'était beaucoup impliqué. Trois ans à peine après l'inauguration de la nouvelle bibliothèque, unanimement saluée (5 000 entrées par jour), le directeur de l'époque, qui avait pourtant conduit sa réalisation, fut remercié.
La ville de Marseille a fait construire une bibliothèque municipale remarquable par son architecture extérieure et intérieure. Elle a fait renouveler entièrement son système d'informatisation et son catalogue informatique. Et pourtant…, le fonctionnement des bibliothèques de Marseille décrit plus haut n'est, hélas, qu'un exemple parmi d'autres de la "gouvernance marseillaise".
Quelle tristesse de voir, dans de telles conditions, des fonctionnaires dévoués s'échiner pour faire vivre, malgré tout, la culture à Marseille. Quelle tristesse de voir leurs carrières bloquées pour les plus "moraux" d'entre eux.
Marseille est, malgré ses difficultés, une ville pleine de vie, attirante, foisonnante de ressources et de talents qui ne demandent qu'à s'exprimer. Cela est particulièrement vrai dans le domaine culturel. Jusques à quand va-t-elle, par des "réflexes politiques" complètement périmés et datant de l'après guerre se suicider, gâchant les outils culturels dont elle avait su se doter, telle la bibliothèque de Marseille à vocation régionale de l'Alcazar ?
Art du MONDE de Michèle Coulet, conservatrice en chef d'Etat à la Bibliothèque de Marseille, à la retraite depuis février 2010.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2011/01/20/marseille-gache-ses-talents-culturels_1467882_3232.html