04/08/2025
Chapitre 13 – Lignes d’arrivée, lignes de départ.
Quand tout s’est arrêté, j’ai eu comme un vide. Ce vide profond, presque vertigineux, qui surgit quand la tension se relâche brutalement. La course de validation était finie, le podium redescendu, les moteurs définitivement éteints… et il ne restait plus que moi. Moi, dans ce silence d’après, ce moment suspendu où tout s’efface sauf les battements de mon cœur qui résonnent dans mes tempes. Ce silence que j’avais redouté, presque craint, comme si toute mon identité tenait dans la tension du départ, dans ce rugissement des lignes droites, dans chaque accélération.
Mais ce silence, ce vide, je l’ai accueilli, étrangement. Je n’ai pas cherché à le fuir. Il m’a semblé qu’il fallait faire face à ce moment, le traverser, pour avancer. Parce que dans ce silence se cachait une vérité, celle de ce que j’étais devenue, celle de ce que je pouvais être encore.
Les jours qui ont suivi, j’ai passé du temps à regarder en arrière. Pas seulement sur cette ultime course, mais sur tout le chemin parcouru. Chaque virage, chaque freinage, chaque ligne droite m’est revenu en mémoire comme une scène d’un film que je me repasse sans fin. Depuis ce dimanche après-midi d’innocence, installé sur le canapé avec mon père à mes côtés, regardant les monoplaces de F1 s’élancer dans la pluie battante. Ce moment simple, presque banal, où tout avait doucement commencé, où un rêve fragile s’était niché dans mon cœur.
Depuis, il y a eu tellement de choses… Les circuits régionaux où je me suis battue contre moi-même avant même de me battre contre les autres. Ces pistes qui sont devenues des terrains d’apprentissage, des lieux où j’ai laissé autant de sueur que de doutes. Les rivalités, ces flammes silencieuses qui brûlent sous la surface, parfois éclatantes, parfois sourdes, mais toujours présentes, et qui m’ont poussé à me dépasser. Les défaites, parfois cuisantes, qui m’ont plongée dans la remise en question et l’amertume, mais qui m’ont aussi appris la résilience. Les victoires, ces moments rares où la joie éclate, mais où la petite voix intérieure ne cesse de chuchoter que ce n’est qu’un début, qu’il reste tant à faire.
Et puis, il y a eu mon père. Toujours là, immuable, ce roc silencieux. Son regard posé sur moi, chargé d’une confiance profonde et d’une patience infinie. Ses paroles, parfois rares, parfois insistantes, m’ont guidée sans jamais m’étouffer. Son calme, cette force tranquille, était un refuge dans la tempête des émotions qui secouaient mon esprit. Son soutien n’était pas seulement un encouragement, c’était un pilier, une certitude sur laquelle je pouvais toujours compter.
Il y a eu Martin aussi. Ce garçon à la fois proche et distant, dont le regard changeait à mesure que je progressais. Une sorte d’admiration mêlée à une rivalité retenue, presque silencieuse. Cette façon qu’il avait de se tenir à mes côtés sans jamais trop en dire, comme s’il cherchait lui aussi à trouver sa place dans ce monde impitoyable. Et Zoé, toujours là, tranchante comme une lame, sa présence constante comme un défi lancé à chaque tour. Elle m’obligeait à repousser mes limites, à affirmer qui je suis, à ne jamais me relâcher, à ne jamais céder.
Puis il y a eu Senna. Enfin, sa trace. Pas celle que l’on voit dans les trophées ou les livres d’histoire, mais cette empreinte invisible, presque mystique. Ce souffle qui traverse les générations de pilotes, cette inspiration qui va au-delà des mots. Dans ma conduite, dans mes décisions, dans ce respect que j’ai appris à porter à chaque virage, à chaque freinage, à chaque accélération. Il n’a jamais été un modèle figé, un héros inaccessible, mais un guide intérieur, une voix dans le casque, un murmure qui me ramenait sans cesse à la beauté et à la fragilité de ce sport.
Le tome 1 de mon histoire se referme ici, mais ce n’est pas un point final. C’est une transition. Un passage entre ce que j’étais et ce que je vais devenir. La Formule 2, c’est un autre monde. Un monde plus rapide, plus exigeant, plus impitoyable. De nouvelles vitesses, de nouveaux enjeux, des visages inconnus, des attentes immenses.
Je sais que je vais devoir affronter des adversaires plus grands, plus forts, plus rusés. Que le terrain de jeu ne sera plus le même. Il y aura plus d’argent en jeu, une pression médiatique omniprésente, des décisions à prendre dans l’instant, et des acteurs prêts à tout pour ne laisser aucune place aux nouveaux venus.
Mais je n’ai plus peur. Plus peur de me perdre, plus peur d’échouer. J’ai compris que chaque erreur, chaque chute, chaque défaite, est une leçon, une pierre précieuse qui construit mon chemin.
Je suis prête. Prête à embrasser l’inconnu, à me battre avec force et intelligence, à grandir dans l’adversité.
Le tome 2 s’ouvrira sur un virage inconnu, rapide et serré. Je ne le vois pas encore clairement, mais je le sens profondément. Ce virage sera décisif.
J’ai désormais un nom inscrit sur les feuilles de résultats, une trajectoire qui m’appartient, une manière de piloter qui est uniquement la mienne. Il me reste tant à apprendre, tant à affronter, tant à découvrir… Mais je suis en route.
Vers l’inconnu.
Vers moi-même.
Et ce voyage ne fait que commencer.