08/08/2025
🟥 𝐍𝐨𝐭𝐞 𝐬𝐮𝐫 𝐥𝐚 𝐝𝐞𝐫𝐧𝐢𝐞̀𝐫𝐞 𝐬𝐨𝐫𝐭𝐢𝐞 𝐝’𝐎𝐥𝐢𝐯𝐢𝐞𝐫 𝐋𝐞𝐤 𝐋𝐚𝐟𝐟𝐞𝐫𝐫𝐢𝐞̀𝐫𝐞 𝐞𝐭 𝐥𝐚 𝐭𝐡𝐞̀𝐬𝐞 𝐠𝐫𝐚𝐧𝐝𝐢𝐨𝐬𝐞 — 𝐪𝐮𝐨𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐟𝐨𝐫𝐭 𝐢𝐧𝐝𝐢𝐠𝐞𝐬𝐭𝐞 — 𝐝𝐞 𝐥’𝐚𝐮𝐭𝐨-𝐚𝐧𝐭𝐢𝐬𝐞́𝐦𝐢𝐭𝐢𝐬𝐦𝐞 𝐝𝐞𝐬 𝐉𝐮𝐢𝐟·𝐯𝐞𝐬. https://www.palim-psao.fr/2025/08/notes-sur-la-derniere-sortie-d-olivier-lek-lafferriere-et-la-these-grandiose-quoique-fort-indigeste-de-l-auto-antisemitisme-des-juif-ves-par-clement-homs.html
Oyez, oyez, Olivier Lek Lafferrière, de l’UJFP, vient de faire paraître un nouveau texte sur son blog intitulé : « Le principal facteur d'identification entre Israël et les Juif·ves, c'est le sionisme » [1]. Autrement dit ‒ car il faut bien traduire la pensée quand elle bégaie en slogans ‒, à travers cette équation perverse, ressassée avec la régularité d’un perroquet syndiqué (et tant d’autres avant lui [2]), « 𝑠𝑖𝑜𝑛𝑖𝑠𝑚𝑒 = 𝑎𝑛𝑡𝑖𝑠𝑒́𝑚𝑖𝑡𝑖𝑠𝑚𝑒 », on assiste à une inversion pathologique des responsabilités, digne d’un diagnostic qui ne saurait en aucun cas être qualifié d’intellectuel.
Dans ce renversement confortable, l’antisémitisme ne serait plus la faute de ceux qui le professent, le diffusent ou le transforment en acte ‒ mais celle de certains Juif·ves d’Europe, bien sûr, peut-être même de proches intimes ou familiaux, voire d’eux-mêmes au petit déjeuner, quand ils ont eu le malheur de ne pas réciter le bon manifeste. Car l’ennemi, dans cette logique, ce n’est plus l’antisémite : c’est le Juif politiquement suspect par ses comportements socio-politiques (son « sionisme » !!), dont le sionisme imaginaire ou supposé ‒ ou réel, ou hérité, ou mal formulé ‒ devient le déclencheur universel de la haine. Et pendant qu’on l’accuse, le vrai antisémite, lui, peut dormir tranquille : il n’a plus besoin d’exister, il a été remplacé par une figure plus pratique ‒ le Juif responsable de sa propre persécution. Voilà la beauté du système : l’histoire réécrite au bénéfice du bourreau, avec la plume trempée de Lek Lafferière dans la bonne conscience.
Pour notre théoricien d’envergure mondiale de l’antisémitisme ‒ autoproclamé sur le tabouret branlant de sa lucidité ‒, les antisémites contemporains d’Issoire, de Châteaudun ou de Pétaouchnok, ne haïraient jamais vraiment les Juif·ves par conviction idéologique, mais seraient victimes d’une hypnose involontaire, asservis à une sorcellerie narrative venue du CRIF, de Netanyahou ou, comble du raffinement perfide, des « sionistes de gauche » (voire de Jonas Pardo à lui tout seul !). On croyait l’antisémitisme enraciné dans l’histoire et dans la conscience fétichisée des rapports sociaux capitalistes (au sens de Moishe Postone), le voilà désormais réduit à un malentendu médiatique. Reste à savoir s’ils réclameront des dommages et intérêts pour manipulation intellectuelle.
Pour ce genre de professeur-formateur ‒ militant, bien sûr, car le diplôme ne suffit plus à l’infaillibilité ‒, l'antisémitisme en tant qu’idéologie de crise autonome au sein des rapports sociaux capitalistes en tant que leur conscience fétichisée, et ses formes phénoménales telles que l'antisémitisme secondaire de rejet de la culpabilité, les antisémitismes de gauche et de droite, les antisémitismes transclasse de crise ressentimentaux et de projection, les antisémitismes nationaux ou religieux (y compris extra-européens), etc., n’existent pas.
Dans le monde tel que le rêve Lek Lafferière, on ne devient antisémite ni par histoire, ni par structure, ni même par conviction : non, c’est un accident médiatique. On se lève un matin, on lit un communiqué du CRIF, une déclaration de Netanyahou, et ‒ pouf ! ‒ on devient antisémite. L’explication est simple, directe, confortable : l’antisémite n’a pas de haine, il n’est pas inscrit dans les rapports sociaux capitalistes, il a juste un abonnement aux mauvaises newsletters. Nulle idéologie de crise, nulle projection fétichiste liée au traitement idéologique antijuif de ses propres souffrances et des exigences insupportables liées à l’histoire de la modernisation, nulle dynamique sociale du capitalisme de crise : seulement un malentendu entre un lecteur naïf et un communiqué mal rédigé. L’antisémitisme ? Une réaction allergique au sionisme, rien de plus.
L’agent de l’action antisémite contemporaine n’est plus, à ses yeux, ni l’antisémite en chair et en haine, ni même l’idéologie de crise antisémite autonome, pourtant solidement ancrée dans la conscience fétichisée des rapports sociaux capitalistes. Non, pour ce genre d’imbécile-agrégé : l’antisémite est devenu une victime. Un brave homme abusé. Un pauvre bougre égaré entre deux communiqués du CRIF et un reportage sur Gaza. Il n’a pas de volonté propre, seulement une télécommande dans la main ou les propagandistes du gouvernement israélien d'extrême droite sur BFM-tv dans les oreilles. Bref, un antisémite accidentel, anachronique, désorienté, comme si la conscience fétichisée avait pris sa retraite au profit d’un fil Twitter mal lu. Et puisque l’antisémite est désormais innocent par confusion géopolitique, la faute, bien sûr ‒ une fois encore, comme dans les mauvais livres d’avant 1945 ‒, revient aux Juif·ves. Voilà la dernière trouvaille de lui et de sa galaxie : la réhabilitation morale de l’antisémite par transfert de culpabilité ‒ un tour de passe-passe dialectique où l’on jette le Juif sous le bus de l’histoire, tout en expliquant que le chauffeur est lui-même perdu.
Il ne s’agit plus simplement de cette vieille gymnastique où la victime devient le bourreau d’autrui ; non, la prouesse rhétorique contemporaine est bien plus raffinée : transformer la victime de l’antisémitisme (Ilan Halimi, Mireille Knoll, les enfants de Toulouse, les clients de l’Hyper Cacher, etc.) ‒ en bourreau d’elle-même, en complice par procuration, en antisémite par ricochet. La sentence tombe : vous êtes vous-même l’antisémitisme que vous prétendez subir. Voilà le génie dialectique auquel adhère, dans une révérence décoloniale mal repassée, Olivier Lek Lafferrière. Il recycle ainsi, avec application, le chantage moral à l'antisémitisme de Bouteldja : « devenez antisionistes, sinon nous serons tous antisémites », c’est-à-dire, retenez moi, sinon comme Mohamed Merah (dont elle dit avoir reconnu une part en elle, « blanchiment » oblige, vous comprenez), je tuerai cet enfant à kippa d’une b***e dans la tête. Mais que Bouteldja dise avoir reconnu une part d’elle-même en Mohamed Merah n’étonne plus ; ce qui surprend, c’est que d’autres s’en fassent les porte-voix sans trembler.
Lek Lafferrière porte ainsi, avec le zèle du prof militant en manque de cause pure, la vieille rengaine de l’UJFP-Tsedek : cette organisation au bord de la liquéfaction réflexive, dont l’histoire retiendra surtout les dérapages antisémites répétés (pointés par les organisations anti-antisémitisme de gauche des Juives et juifs révolutionnaires, du Réseau d'Actions contre l'Antisémitisme et tous les Racismes (RAAR), des Golem France et Belgique, etc.), les dénis, et l’invention du concept miraculeux : l’auto-antisémitisme juif ‒ solution définitive à un problème qui gênait trop dans les colloques « antisionistes ». Le sport favori de Lek Lafferrière ‒ et il y excelle avec une endurance de marathonien idéologique —, c’est la déresponsabilisation systématique de tous les antisémites, d’Europe et d’ailleurs.
À ses yeux, l’antisémite n’est jamais auteur, seulement lecteur et auditeur mal orienté ; jamais agent, seulement réactif ; jamais haineux, seulement irrité ‒ par des Juifs, évidemment, qui, comme chacun sait, s’obstinent à exister. L’idéologie antisémite autonome au présent ? Un mirage. L’histoire longue de la haine ? Une distraction. La structure du capitalisme et ses formes fétichisées ? Un détail, à condition qu’on n’y voie pas l’antisémitisme comme une production autonome. Car tout est là : avec Lek Lafferrière, l'UJFP et Tsedek, il faut à tout prix que le Juif soit responsable de la haine qu’on lui voue.
C’est l’idéologème le plus ancien du bestiaire antisémite, recyclé depuis l’Antiquité sous la forme de la culpabilité juive ‒ comme si la victime, en se montrant, en parlant, ou simplement en étant là, provoquait déjà l’agression [3]. Ce tour de passe-passe intellectuel a fait les délices de l’extrême droite au XIXe siècle, mais aussi des gauches vertueuses : l’antisémite ne haït pas, il « réagit » ‒ à Rothschild, à l’État d’Israël, à une attitude supposée, à un nom mal prononcé, à une présence trop visible. Autrement dit : le Juif est l’allumette, l’antisémite le fumeur nerveux. Et l’UJFP-Tsedek, dans tout cela ? Le fabricant de briquets.
Lek Lafferrière, en bon héritier de la pensée en circuit fermé, n’a strictement rien inventé (pas plus que Pierre Stambul, son jumeau en radicalisme recyclé). Leur trouvaille, cette inversion solennelle de la responsabilité ‒ où l’on désigne les Juif·ves comme pyromanes de l’incendie qui les consume ‒ a déjà fait carrière, dès l’après-guerre, dans l’antisionisme soviétique et sa « sionologie » académique : cette science de l’ennemi intérieur, fabriquée pour que l’antisémitisme puisse revêtir les habits de la vertu prolétarienne.
On la retrouve ensuite, en robe de chambre et pantoufles idéologiques, chez Roger Garaudy, négationniste repenti dans l’islam politique, affirmant tranquillement que l’antisémitisme, au fond, ce sont les Juifs eux-mêmes qui l’ont provoqué ‒ par leur sionisme, leur arrogance supposée, leur obstination à vouloir exister autrement qu’en silence. En reprenant aujourd’hui cette thèse, et en désignant le comportement politico-social de Juif·ves comme cause du « nouveau feu » antisémite en France et ailleurs, Lek Lafferrière et son club de pensée en décomposition ne font ainsi rien d’autre que de fouiller dans les poubelles antisémites de l’histoire, avec cette jubilation macabre de ceux qui découvrent un cadavre en se croyant archéologues. Mais à force de remuer les déchets de l’idéologie, on finit toujours par nourrir les rats. Et ici comme ailleurs, l’antisémitisme se repaît très bien des restes qu’on lui ressert en lui expliquant que, cette fois, ce n’est pas vraiment lui.
Et maintenant, Lek Lafferrière peut bien se contorsionner maladivement dans une mauvaise conscience accumulée par des « Ceci dit » (sic), en s'adressant à ses propres troupes qu'il n'arrive plus à tenir : l'explication antisémite de l'antisémitisme, il l'a dans la peau. Et depuis des années, ces problèmes dans son public qu'il contribue avec d'autres à créer, il les traîne comme un misérable sparadrap collé au doigt du capitaine Haddock ‒ toujours là, grotesque, gênant, et impossible à arracher, toujours à lever des digues devant l'inanité, le grotesque et les retours en boomerang, de ses propres thèses, sans y voir le problème de la dénégation de l'antisémitisme réel fiché dans la conscience fétichisée capitaliste. Une répétition stérile, presque pathétique ‒ si la bêtise méritait qu’on la plaigne. Il lui reste, statistiquement, trente ans à vivre : largement assez pour écoper encore, avec son éternelle écuelle de « ceci dit », la barque percée de sa haine de soi anti-juive ‒ tout en embarquant, un à un, les antisémites qui l’entourent sur son radeau d’honneur crevé. Et il sombrera, comme toujours ‒ non pas malgré ses efforts, mais grâce à eux.
Clément Homs, 7 août 2025
[1] Le texte ici commenté de Lek Lafferrière : https://blogs.mediapart.fr/.../le-principal-facteur...
[2] Je prends Olivier Lek Lafferrière uniquement comme exemple ‒ non parce qu’il serait le plus original, mais précisément parce qu’il ne l’est pas. Il incarne le symptôme parfait, le spécimen standard, le produit fini d’une galaxie entière de ce que le théoricien marxiste Joseph Gabel appelait la « fausse conscience antisioniste », où la pensée critique s’est effondrée sur elle-même ‒ en particulier dans la galaxie des franchisés de la firme PIR-PDH, à laquelle Lardon vient tout juste de prendre son ticket. Notons par ailleurs, que ce monsieur serait, paraît-il, agrégé ‒ ce qui, manifestement, n’agrège plus que des obsessions mal digérées. Quant à l’Éducation nationale, elle le laisse en face d’adolescents, sans casque, ni notice, ni antidote.
[3] Carol Iancu, Les mythes fondateurs de l'antisémitisme, de l'Antiquité à nos jours, Toulouse, Privat, 2003.