17/10/2025
17 Octobre : La mort de Dessalines, miroir des trahisons de la nation
Le 17 octobre n’est pas seulement une date commémorative. C’est une plaie ouverte dans la mémoire d’un peuple. À Pont-Rouge, en 1806, tomba Jean-Jacques Dessalines, Empereur d’Haïti, fondateur d’une liberté que le monde noir n’avait jamais connue. Officiellement, il fut victime d’une insurrection interne, trahi par ses propres compagnons d’armes. Mais derrière cette version classique, les historiens, de Beaubrun Ardouin à Jean Price-Mars, de Leslie Manigat à Michel-Rolph Trouillot, s’accordent sur une vérité plus vaste : Dessalines fut assassiné pour avoir voulu transformer une révolution de guerre en une révolution de civilisation.
L’empereur n’était pas seulement un chef militaire. Il était un penseur de la dignité. Sa vision d’un État noir souverain, égalitaire et économiquement autonome dérangeait autant les anciens colons que certains affranchis haïtiens, désireux de restaurer les hiérarchies d’antan. Comme l’écrit l’historien Claude Moïse, « Dessalines voulait une nation de cultivateurs libres, non une république de privilégiés ». Cette volonté d’en finir avec les logiques de couleur et de classe fut sa condamnation. Son projet d’unité nationale, appuyé sur la justice sociale, fut perçu comme une menace par ceux qui voulaient faire d’Haïti un miroir des anciennes structures coloniales, simplement repeintes aux couleurs de l’indépendance.
Dessalines croyait que la liberté politique sans justice économique n’était qu’un mensonge. Il prônait la redistribution des terres, la valorisation du travail agricole et la souveraineté totale sur les richesses nationales. En cela, il anticipait les grandes luttes du tiers-monde, bien avant Fanon et Nkrumah. Son assassinat fut donc moins un accident qu’un acte fondateur : celui du retour du pouvoir bourgeois sur les ruines de la révolution populaire. Le sang de Dessalines a marqué la fin d’un rêve radical et le début d’une longue trahison historique.
Deux siècles plus t**d, Haïti vit toujours dans l’ombre de Pont-Rouge. La division politique, l’injustice sociale, le mépris des masses laborieuses et la dépendance économique rappellent les lignes de fracture qu’il avait voulu effacer. L’actuelle désintégration morale du pays où la corruption remplace la vertu, où le pouvoir s’achète et se vend prolonge le meurtre symbolique de l’Empereur. Comme le dit l’historien Suzy Castor, « tuer Dessalines, c’était tuer l’idée d’une Haïti juste ». Et cette idée, depuis, ne cesse d’agoniser.
Aujourd’hui, alors que le pays s’effondre sous le poids de l’indifférence et des gangs, le message de Dessalines résonne comme un testament : « Aucun peuple ne peut être libre s’il ne contrôle pas sa propre dignité. » Cette phrase, bien que non écrite de sa main, traduit son esprit. Haïti doit relire son histoire non pour célébrer la gloire d’un homme, mais pour comprendre la logique de sa mort. Car Pont-Rouge n’est pas seulement un lieu ; c’est une répétition constante de la trahison nationale.
Dans ce miroir du 17 octobre, chaque génération haïtienne est appelée à se regarder : sommes-nous encore dignes de l’Empereur ? Ou sommes-nous devenus les héritiers de ses assassins ? L’heure est venue de choisir entre l’histoire subie et l’histoire assumée. Entre la lâcheté politique et le courage moral. Entre la servitude moderne et la liberté originelle.
Dessalines n’est pas mort d’une b***e ; il est mort d’une idée trop grande pour les cœurs trop petits. Tant que cette idée ne renaîtra pas, Haïti restera, pour reprendre les mots de Price-Mars, « une indépendance en exil ».
Nouvelax