24/07/2025
La CHARTE ou la CARTE ?
Le 22 juillet 2025, dans une mise en scène solennelle au Centre international de Conférence de Bamako, le chef de la junte recevait la « Charte nationale pour la paix et la réconciliation ». Un texte de 106 articles, proclamé comme la boussole d’un Mali nouveau. Pourtant, derrière les fanfares et les formules creuses, une réalité implacable s’impose : le Mali n’est plus une nation unifiée, mais un archipel de territoires sous contrôle de forces concurrentes. Tant que ce fait brut ne sera pas affronté, toute tentative de réconciliation restera un exercice vain.
Du nord au sud, de l’est à l’ouest, le Mali est devenu un patchwork de zones d’influence. Les groupes armés signataires de l’Accord d’Alger contrôlent Kidal et son hinterland. Le JNIM impose sa loi dans les cercles ruraux de Mopti, Tombouctou, Gao et même Kayes. Les FAMa, pour leur part, sécurisent tant bien que mal quelques villes et axes routiers, avec l’appui de supplétifs russes. Enfin, les milices locales, communautaires ou ethniques, se partagent ce qu’il reste de souveraineté effective dans certaines localités.
Le mythe d’un État central fort et unifié est mort. Ce qui reste, ce sont des entités armées, chacune avec son territoire, ses intérêts, ses morts, ses règles, parfois même ses impôts. Si dialogue il y a, que chacun vienne avec la portion du pays qu’il contrôle. Et si nous devons reconstruire un Mali, il faudra d’abord reconnaître qu’il est en ruines.
La Charte nationale, dans ce contexte, ressemble à un puzzle dont les pièces manquent. Elle prétend « panser les blessures », mais refuse de nommer les bourreaux. Elle invoque la souveraineté, tout en laissant des pans entiers du pays hors de tout contrôle étatique. Elle parle de cohésion sociale, mais ignore la fragmentation territoriale. En vérité, elle flotte dans un vide politique et géographique, sans prise sur la réalité du pays.
Un texte peut-il unifier un territoire que personne ne contrôle dans sa totalité ? Peut-on réconcilier sans réunir physiquement, politiquement, humainement ce qui est séparé depuis plus d’une décennie ? Cette Charte, élaborée dans les bureaux de Bamako et présentée comme inclusive, est en réalité une déclaration d’aveuglement.
Ce 22 juillet, le décor était prêt : notables, anciens Premiers ministres, diplomates silencieux, gouverneurs domestiqués, généraux en costume. Tout, sauf les vraies forces qui tiennent aujourd’hui le terrain. Aucun émissaire du JNIM, aucune délégation du FLA, aucun leader des milices locales, aucune voix des déplacés, des veuves, des orphelins, des réfugiés. On parle de paix sans les faiseurs de guerre. On dessine une carte du Mali sans les couleurs qui couvrent réellement ses régions.
On pourrait en rire, si ce n’était pas tragique. La Charte devient alors une sorte de contrat signé entre les illusionnistes du pouvoir et les amnésiques de la République. On y proclame l’unité alors que l’effondrement est tangible. On promet la cohésion sans affronter la fragmentation. On invoque l’histoire sans vouloir en payer les dettes.
Le paradoxe est cruel, mais simple : pour nous réconcilier véritablement, chaque entité devra venir avec sa portion de territoire, son armée, ses revendications, sa mémoire et son histoire. Cela exigera un dialogue réel, dur, conflictuel, entre égaux, et non une cérémonie téléguidée depuis Koulouba. Cela exigera de reconnaître que l’État central n’a pas le monopole de la légitimité. Cela exigera d’admettre que la paix ne peut être décrétée d’en haut, mais négociée d’en bas, dans la poussière, la douleur et la vérité.
Mais si nous refusons ce face-à-face, chacun restera avec sa parcelle : le Nord aux séparatistes, le Centre aux jihadistes, Bamako à la junte. Et nous continuerons à appeler « République » ce qui n’est plus qu’une illusion cartographique. Nous ne recollerons jamais les morceaux, parce que personne n’aura reconnu qu’ils sont éparpillés.
Le vrai défi malien n’est pas de produire des textes juridiques. C’est de redessiner la carte du Mali, non pas à coups de frontières, mais par une reconnaissance mutuelle. Si cette Charte ne devient pas le prélude à une véritable conférence de réunification entre toutes les entités armées, elle ne sera qu’un artefact de plus, bon à archiver dans les placards poussiéreux de la République des slogans.I
Le Mali se reconstituera ou se morcellera. Et cette fois, ce ne sont pas les mots, mais les territoires qui auront le dernier mot.
Sambou SISSOKO .