L'enquêteur

L'enquêteur Quotidien Nigérien d'Informations

30/07/2025

De l'intime au Tribunal
3 ans de prison requis contre un couple de lesbiennes à Niamey
(Quotidien L’Enquêteur du Mercredi 30 Juillet 2025)
Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey. Audience des flagrants délits du mardi 29 juillet 2025. Un couple de jeunes lesbiennes, la vingtaine, est à la barre pour répondre d’outrage public à la pudeur. Il faut tout de suite savoir qu’une lesbienne est une femme qui éprouve une attirance physique, sexuelle, affective ou romantique pour d'autres femmes. Ce terme peut également inclure des personnes non-binaires qui s'identifient comme lesbiennes. En d'autres termes, une lesbienne est une femme dont le désir sexuel est orienté principalement ou exclusivement vers des personnes de son même sexe. Quant aux faits d’outrage public à la pudeur, ils sont prévus et punis par le code pénal en ses articles 275 (“Constitue un outrage public à la pudeur tout acte matériel contraire aux bonnes mœurs commis dans des conditions telles qu’il ait été aperçu ou pu l’être par des tiers dont il était susceptible de blesser la pudeur”) et 276 (“Toute personne qui aura commis un outrage public à la pudeur sera punie d’un emprisonnement de trois mois à trois ans et d’une amende de 10.000 à 100.000 francs”).
Dès l’entame de l’examen du dossier, le président de l’audience informe le tribunal de ce que la défense des deux prévenues a introduit une requête aux fins de statuer à huis clos afin de protéger les intérêts privés de ses clientes, c’est-à-dire leur intimité. La robe noire avait pour cela invoqué l’article 386 du code de procédure pénale qui dispose : “Les audiences sont publiques. Néanmoins, le tribunal peut, en constatant dans son jugement que la publicité est dangereuse pour l’ordre ou les mœurs, ordonner, par jugement rendu en audience publique, que les débats auront lieu à huis clos. Lorsque le huis clos a été ordonné, celui-ci s’applique au prononcé des jugements séparés qui peuvent intervenir sur des incidents ou exceptions ainsi qu’il est dit à l’article 445, alinéa 4. Le jugement sur le fond doit toujours être prononcé en audience publique”. Mais pour le ministère public, il n’y a pas péril en la demeure. Dans l’intérêt de la société, les débats doivent être publics, estime-t-il. Le président de l’audience statue sur le siège : il rejette la requête de la défense, optant ainsi pour une “audience publique, à titre pédagogique”.
Il ressort du dossier que les deux prévenues, l’une étant le “mari”, l’autre l’”épouse”, ont commis courant année 2025 des actes explicites contraires aux bonnes mœurs. Le 16 juillet 2025, elles sont placées sous mandat de dépôt à la maison d’arrêt de Niamey. Comment elles en sont arrivées-là ? L’une des prévenues a un copain (un policier), qui lui-même à une autre copine, une gendarmette. Cette dernière n’ignorant pas l’existence de sa rivale, va mener des investigations sur celle-ci. C’est ainsi que sera découvert la “double vie” des deux jeunes lesbiennes. Leurs portables ont “parlé”, dévoilant des scènes obscènes. A la barre, elles diront s’être rencontrées à une cérémonie de mariage, au cours de laquelle elles ont échangé leurs numéros de téléphone. Depuis lors, elles ne se sont plus quittées.
- Qu’est-ce qui vous lie exactement, de l’amitié ou de l’amour ? demande le juge à l’une des prévenues.
- De l’amour, répond-elle en toute sincérité.
- Êtes-vous mariées ?
- Non.
- Pourtant les audios en notre possession, versés au dossier, confirment bien votre union, fait observer le juge. Ce dernier fait remarquer aussi que le couple si particulier avait pris un toit en location.
Gênée aux entournures, la prévenue se mure dans un silence assourdissant. L’autre prévenue va reconnaitre totalement les faits qui leur sont reprochés.
Pour le ministère public, visiblement choqué, “on ne peut pas concevoir un mariage de deux sexes identiques dans une société telle que la nôtre”. Et il ajoute : “Vous êtes bien en couple et vous le dites vous-mêmes dans vos vidéos”. Dans ses réquisitions, le ministère public va tenter de démontrer que les faits d’outrage public à la pudeur sont bien constitués à l’égard des prévenues. “Où allons-nous avec de telles pratiques qui jurent d’avoir nos us et coutumes ainsi que de notre religion”, s’est interrogé le représentant du parquet. C’est ainsi qu’il va demander au tribunal de déclarer les deux prévenues coupables des faits à elles reprochés et, en répression, de les condamner chacune, pour l’exemple, à 3 ans d’emprisonnement fermes et à 100.000 francs d’amende.
Dans sa plaidoirie, le conseil des prévenues tente de convaincre le tribunal de ce que ses clientes n’étaient pas conscientes de la gravité des actes posés par elles. “L’intention n’était pas d’outrager publiquement la pudeur. Leur comportement, certes déviant, est à mettre sur le compte de l’erreur de jeunesse et leurs vidéos n’étaient pas destinés à être partagés. L’une des prévenues était sur le point de convoler en justes noces. Je demande au tribunal de leur donner une chance de se racheter, de se reconstruire. Accordez-leur de larges circonstances atténuantes”. L’avocat sera-t-il entendu par le tribunal ? Les deux jeunes prévenues se sont excusées et ont demandé la clémence du tribunal. Le jugement est mis en délibéré pour le 05 août prochain.
M.H.

30/07/2025

Niger : Le ‘’putsch nucléraire’’ de Poutine à la France
(Editorial de Soumana I. Maïga, Quotidien L’Enquêteur du mercredi 30 Juillet 2025)
L'annonce a la froideur d'un communiqué diplomatique, mais la portée d'un séisme géopolitique. En signant ce 28 juillet 2025 un mémorandum sur le nucléaire civil et l'exploitation de l'uranium avec le Niger, la Russie n'a pas seulement conclu un accord économique. Elle a paraphé l'acte final de l'éviction de la France du Sahel, infligeant à Paris ce qui restera comme son camouflet le plus cuisant.
Le choix de l'uranium n'a rien d'anodin. Plus que le ciment ou le pétrole, ce minerai est le symbole absolu de la relation complexe et souvent critiquée entre la France et son ancienne colonie. Pendant un demi-siècle, le géant français Orano a extrait le yellowcake du désert nigérien, alimentant les centrales françaises sans que le Niger ne sorte de la pauvreté. C'est sur ce passif, sur ce sentiment de dépossession, que le coup de maître de Vladimir Poutine s'est construit.
Là où la France était vue comme une puissance d'extraction, la Russie se présente en partenaire de développement. L'ambition affichée par Moscou n'est pas seulement de "participer à l'extraction", mais de "créer tout un système", incluant une filière nucléaire civile, de proposer un nouveau modèle, plus équitable et porteur de prospérité. La promesse est habile : elle offre au général Tiani non seulement des revenus, mais l'horizon d'une souveraineté énergétique, un rêve inaccessible sous pavillon français.
Pour Paris, la défaite est totale. Après avoir été contrainte au retrait militaire, la France assiste, impuissante, au démantèlement de son pré carré économique historique par son principal adversaire sur la scène mondiale. Que les anciens sites d'Orano, notamment le gisement d'Imouraren, l'un des plus importants au monde, passent sous contrôle russe serait plus qu'une perte industrielle ; ce serait une humiliation historique.
Ce pacte nucléaire est bien plus qu'une simple signature. C'est la dernière page du chapitre français qui se tourne au Sahel, écrite d'une main de maître par Moscou. Le camouflet n'est pas seulement diplomatique, il est stratégique et symbolique. La France n'est plus un acteur, mais le spectateur de son propre effacement.

30/07/2025
29/07/2025

Axe Niamey-Moscou : Le poker nucléaire du Général Tiani
(Quotidien L’Enquêteur du Mardi 29 Juillet 2025)
L'encre du mémorandum est à peine sèche, mais la portée de l'annonce résonne déjà bien au-delà des murs du palais présidentiel. En signant ce lundi un accord de coopération sur le nucléaire civil et l'exploitation de l'uranium avec la Russie, le Niger, sous la conduite du général d’armée Abdourahamane Tiani, ne s'est pas contenté de signer un simple partenariat économique. Il a fait un pari. Un pari radical qui ancre définitivement le pays dans l'orbite de Moscou et redessine la carte géopolitique du Sahel.
Présenté comme l'aube d'une coopération basée sur le "respect mutuel" et le "bien-être de la population", cet accord soulève autant d'espoirs pour le pouvoir qu'il suscite d'interrogations cruciales pour l'avenir du pays.
Un "Système entier" aux mains de Moscou
Au cœur de l'annonce du ministre russe de l'Énergie, Sergueï Tsivilev, une expression se détache : la volonté de "créer un système entier d'exploitation d'uranium". Cette ambition, si elle se concrétise, irait bien au-delà du simple rôle d'opérateur minier. Elle suggère une prise en charge par la Russie de toute la chaîne de valeur, de l'extraction à une potentielle transformation, en passant par la formation et, à terme, le développement d'une filière nucléaire civile.
Dès lors, la question centrale est : Qu'y a-t-il précisément dans ce "mémorandum" ? Le document reste pour l'heure confidentiel, tout comme la liste des "représentants des sociétés russes" qui accompagnaient le ministre, au-delà du géant public Rosatom qui opère dans ce secteur. Le Niger, qui a longtemps reproché à la France et à Orano (ex-Areva) de ne pas assez partager les richesses de son sous-sol, a-t-il cette fois réussi à imposer ses conditions ? L'accord prévoit-il des royalties plus avantageuses, des obligations de transformation locale de l'uranium, ou des garanties fermes sur le transfert de technologies et la création d'emplois qualifiés pour les Nigériens ?
Ou, à l'inverse, l'urgence de trouver un allié puissant et de sécuriser des revenus après des années de tensions avec ses partenaires traditionnels a-t-elle placé Niamey en position de faiblesse ? Sans la concurrence d'autres acteurs, le Niger a-t-il pu véritablement négocier ou a-t-il dû accepter les conditions de Moscou pour sceller cette alliance stratégique ?
Un pivot géopolitique aux conséquences imprévisibles
Au-delà des clauses économiques, cet accord est un acte géopolitique majeur. En confiant son secteur le plus stratégique à la Russie, le général Tiani fait un choix qui clarifie sa posture sur la scène internationale. C'est un pas de plus, et sans doute le plus important, dans l'éloignement avec l'Occident.
Pour l'Alliance des États du Sahel (AES), ce pacte consolide le rôle de la Russie comme parrain sécuritaire et désormais économique de l'organisation.
La réaction des puissances occidentales sera déterminante. Vont-elles considérer cette ligne rouge comme étant franchie, accélérant leur retrait et révisant leurs politiques d'aide au développement ? Ou tenteront-elles de maintenir un canal de dialogue pour ne pas laisser tout le champ libre à la Russie ? Une chose est sûre : le Niger est devenu, ce 28 juillet 2025, l'un des théâtres centraux de la nouvelle confrontation mondiale entre les blocs.
Commentaire
Ce rapprochement spectaculaire avec la Russie est le point d'orgue de la politique de rupture prônée par le CNSP. Pour le pouvoir en place, c'est la preuve d'une souveraineté retrouvée, la capacité de choisir ses partenaires sans injonction extérieure. C'est une victoire politique indéniable qui sera présentée comme telle à la population.
Cependant, la véritable mesure du succès de ce pari ne se lira pas dans les communiqués diplomatiques. Elle se mesurera à l'aune de ses bénéfices concrets et tangibles pour un peuple qui attend des résultats. Cet accord se traduira-t-il par une baisse du coût de l'énergie, une augmentation visible du budget de l'État alloué à la santé et à l'éducation, et des opportunités réelles d’emplois pour la jeunesse nigérienne ?
L'histoire économique du Niger est jalonnée de promesses non tenues et de richesses qui n'ont que très peu "ruisselé" sur la population. Le test ultime pour le général Tiani sera de prouver que ce changement de partenaire stratégique n'est pas simplement un changement de drapeau sur les mines, mais le véritable début d'une ère de prospérité partagée. Si ce n'est pas le cas, ce pari nucléaire, loin d'être un acte de souveraineté, ne serait qu'une tragique répétition de l'histoire.
La Rédaction

29/07/2025

Le peuple doit prier, travailler, endurer... Et l'État, que doit-il faire ?
(Editorial de Soumana I. Maïga, Quotidien L’Enquêteur du Mardi 29 Juillet 2025)
Le discours du général Tiani à l'occasion du deuxième anniversaire de son arrivée au pouvoir est une œuvre de mobilisation patriotique indéniable : il appelle les Nigériens à «se remettre véritablement au travail », à faire preuve de «résilience» et à «intensifier les prières et douas». Le peuple doit travailler, le peuple doit endurer, et Dieu doit aider. La question qui brûle les lèvres est simple : et l'État, que doit-il faire ?
Car le discours présidentiel dessine une étrange inversion des responsabilités. Il s'apparente à un contrat social où l'une des parties, le peuple, se voit assigner tous les devoirs, tandis que l'autre, le gouvernement, se contente de fixer le cap moral et de pointer du doigt les ennemis. Or, la mission première d'un gouvernement n'est pas de demander à son peuple de prier plus fort, mais de créer les conditions pour qu'il puisse travailler en sécurité et vivre de son labeur.
Le CNSP est arrivé au pouvoir en dénonçant l'échec du régime précédent. Deux ans plus t**d, il ne peut plus se contenter de justifier les difficultés par l'hostilité extérieure ou d'appeler au sursaut moral des citoyens. Les Nigériens n'ont pas attendu cet appel pour être un peuple travailleur et résilient ; ils le sont par nécessité depuis des générations. Ce qui leur manque, ce n'est pas la volonté, mais les moyens. Des routes pour transporter leurs récoltes, du crédit pour lancer leurs entreprises, de la sécurité pour cultiver leurs champs sans crainte, une politique économique qui maîtrise l'inflation au lieu de simplement la déplorer etc.
Le véritable test pour le CNSP ne sera pas sa capacité à tenir tête aux puissances étrangères, mais sa capacité à passer d'une souveraineté de l'incantation à une souveraineté de l'intendance, pragmatique et soucieuse du bien-être de ceux au nom de qui il prétend parler.
Le peuple nigérien a assez payé de sa sueur et assez prié pour des jours meilleurs. Il est maintenant en droit d'attendre que son gouvernement "paie" à son tour : qu'il livre la sécurité, les infrastructures et la stabilité économique promises. Le temps de la justification est révolu. L'heure des résultats a sonné.

29/07/2025

Recommandations choc du CCR au CNSP et au Gouvernement
Les remèdes qui pourraient tuer le malade
(Quotidien L’Enquêteur du Lundi 28 Juillet 2025)
À l'issue de sa première session ordinaire, le Conseil Consultatif de la Refondation (CCR) a transmis une série de recommandations denses au CNSP et au gouvernement. Face à une insécurité persistante et une administration jugée défaillante, les propositions s'articulent autour de trois axes majeurs.
1) Sécurité : Vers une militarisation de la société
Service militaire et civique obligatoire : Le CCR recommande de rendre le service militaire effectif et obligatoire pour tous les Nigériens de 18 ans qui sont aptes. De plus, un service civique incluant une formation militaire de trois mois minimum serait obligatoire pour tous les jeunes diplômés.
Création de brigades de patriotes : Il est exhorté de créer et d'équiper une "Brigade de patriotes de la refondation (BPR)" dans les localités qui en ont besoin, ainsi que des dispositifs de veille citoyenne.
2) Renseignement : Implication contrainte des chefferies traditionnelles
Élargissement des conseils de sécurité : Le CCR propose d'intégrer les chefs traditionnels (sultans, chefs de canton, etc.) dans les conseils de sécurité régionaux et départementaux.
Transformation des chefs de village en informateurs : Il est recommandé de créer un mécanisme de protection pour les chefs de village afin de les inciter à remonter systématiquement les renseignements sur les individus suspects, restaurant ainsi une chaîne hiérarchique du renseignement allant du village au gouvernorat.
3) Administration : Le symbole patriotique comme remède à la déliquescence
Rituel patriotique obligatoire : La levée des couleurs nationales chaque matin deviendrait obligatoire dans toutes les administrations, écoles et universités, publiques comme privées.
Professionnalisation des postes clés : Le CCR insiste sur la nomination prioritaire de fonctionnaires de carrière aux postes de secrétaires généraux et secrétaires généraux adjoint dans les gouvernorats, préfectures et mairies.

Analyse : Entre fuite en avant et panacée symbolique
Ces recommandations, bien que partant d'un diagnostic lucide sur les maux du Niger (insécurité, défaillance de l'État), appellent une analyse critique quant à leur réalisme, leur pertinence et surtout leurs potentiels effets pervers.

La militarisation totale : une fausse bonne idée ?
La proposition de service militaire universel et de brigades de "patriotes" s'apparente à une fuite en avant. Sur le papier, l'idée d'une mobilisation générale est séduisante. Dans les faits, elle soulève des questions critiques :
Faisabilité logistique et financière : Le Niger a-t-il les moyens de former, nourrir, équiper et encadrer des centaines de milliers de jeunes chaque année ? Une telle mesure, sans une planification budgétaire colossale, risque de n'être qu'une annonce sans lendemain ou, pire, de créer des cohortes de jeunes formés au maniement des armes mais sans perspectives, une véritable bombe à ret**dement sociale.
Le risque de la ‘’milicianisation’’ : La création de "Brigades de patriotes" (BPR) est une boîte de Pandore. Quelle est la ligne de démarcation avec une milice ? L'expérience sahélienne a montré que de tels groupes peuvent rapidement devenir des acteurs incontrôlables, exacerbant les conflits intercommunautaires, se livrant à des exactions et défiant l'autorité de l'État qu'ils sont censés servir.
Le chef de village : entre le marteau et l'enclume
Transformer le chef traditionnel en maillon de la chaîne du renseignement est une instrumentalisation dangereuse de son rôle. Le chef de village est avant tout un médiateur social, un garant de la cohésion. Le contraindre à devenir un informateur officiel le coupe de sa communauté, brise la confiance et le transforme en agent d'un appareil sécuritaire.
En faisant des chefs des cibles prioritaires pour les groupes terroristes, cette mesure risque de créer un vide administratif et sécuritaire dans les villages, soit par élimination physique, soit par la fuite des chefs refusant d'endosser ce rôle suicidaire. Le "mécanisme de protection" évoqué semble bien dérisoire face à la menace.
La levée du drapeau : le placebo patriotique
La juxtaposition de la recommandation sur la levée des couleurs avec celle sur la professionnalisation de l'administration est révélatrice.
Face à des maux profonds comme la corruption, l'absentéisme et l'affairisme des agents de l’Etat, proposer comme remède principal un rituel patriotique quotidien est dérisoire. C'est appliquer un pansement symbolique sur une hémorragie structurelle. La discipline ne se décrète pas par un salut au drapeau ; elle se construit par la sanction de la faute, la méritocratie et des conditions de travail et de rémunération décentes.
Cette mesure suggère une vision simpliste où le manque de performance de l'État serait dû à un déficit de patriotisme, ignorant les causes économiques, politiques et managériales de la crise de l'administration.

Commentaire final
Les recommandations du Conseil Consultatif de la Refondation (CCR) dessinent les contours d'un projet de société vertical, sécuritaire et axé sur la mobilisation idéologique. Le diagnostic des problèmes est juste, mais les solutions proposées sont extrêmement problématiques. Elles privilégient la contrainte (service militaire), le risque (milices), l'instrumentalisation (chefferies), le symbole (drapeau) au détriment de réformes structurelles, coûteuses et complexes.
Plutôt qu'un plan de "Refondation", cet ensemble de mesures s'apparente à une tentative de consolidation d'un ordre martial, où la loyauté et la mobilisation de la population sont érigées en solutions à des crises qui demanderaient avant tout une stratégie économique, une gouvernance inclusive et une justice fonctionnelle. Le risque est immense de voir ces recommandations, si elles sont appliquées, aggraver les fractures sociales et affaiblir durablement les structures traditionnelles et administratives du pays au nom d'une efficacité à court terme largement illusoire.
La Rédaction

28/07/2025

Tweet sur la libération de Mohamed Bazoum
Le cadeau inespéré de Macron au Général Tiani
(Quotidien L’Enquêteur du Lundi 28 Juillet 2025)
À l'occasion du deuxième anniversaire du coup d'État au Niger, le président français Emmanuel Macron a publié le message suivant sur son compte X (anciennement Twitter) le 26 juillet 2025 :
« En ce jour, mes pensées vont à Mohamed Bazoum, arbitrairement détenu depuis 2 ans après le putsch qui l’a renversé de son poste de président du Niger. Je pense aussi à son épouse Hadiza qui est détenue avec lui et à ses proches. Je rejoins ma voix à toutes celles qui demandent sa libération. »
Commentaire : La stérile obsession post-coloniale de Macron
Le tweet d'Emmanuel Macron, loin d'être un simple message de soutien, est le symptôme d'une posture française à la fois rigide, contre-productive et empreinte d'une arrogance post-coloniale. Deux ans après le coup d'État, cette fixation sur la personne de Mohamed Bazoum révèle une incapacité pathologique de la diplomatie française à accepter la perte de son influence et à lire les nouvelles dynamiques sahéliennes. Ce n'est plus de la politique étrangère, c'est une obsession personnelle érigée en doctrine.
En s'accrochant à une légitimité déchue, Macron ne défend pas la démocratie ; il défend son interlocuteur, l'homme qui incarnait la docilité d'une époque révolue. Cette posture est non seulement inefficace, mais elle est surtout une aubaine pour le régime du général Tiani. Chaque tweet de Paris, chaque condamnation, se transforme en pain bénit pour le CNSP. Macron devient, malgré lui, le meilleur agent de la rhétorique anti-impérialiste, justifiant le "combat pour la souveraineté" et ralliant une partie de l'opinion publique nigérienne derrière ses dirigeants. Il offre au CNSP la preuve vivante de l'ingérence étrangère qu'il dénonce.
Cette indignation à géométrie variable est d'ailleurs frappante. Combien de dirigeants africains, arrivés au pouvoir par un coup d’Etat, ont eu les honneurs de l'Élysée lorsque les intérêts français l'exigeaient ? La soudaine passion de Paris pour la légalité constitutionnelle au Niger sonne faux. Elle masque mal le dépit de voir un allié stratégique s'effondrer et un nouveau pouvoir rejeter l'ancien tuteur.
Au final, ce tweet n'est pas un acte diplomatique, c'est une gesticulation stérile. Il ne changera rien au sort de Mohamed Bazoum et ne fait qu'envenimer une situation déjà complexe. C'est un message destiné à une consommation interne et à rassurer une poignée d'alliés occidentaux, mais qui démontre une déconnexion profonde avec les réalités du terrain. En refusant de tourner la page, Macron condamne la France à n'être qu'un spectateur aigri et impuissant de l'histoire qui s'écrit sans elle au Sahel
La Rédaction

28/07/2025

Après le discours de Tiani du 25 juillet : Est-il encore permis de critiquer au Niger ?
(Editorial de Soumana I. Maïga, Quotidien L’Enquêteur du Lundi 28 Juillet 2025)
Le Général Abdourahamane Tiani, dans son discours bilan du 25 juillet 2025, place explicitement les Nigériens face à un dilemme sans nuance : d'un côté, le « chaos programmé » lié à une hypothétique soumission aux puissances étrangères et, de l'autre, la voie de la « dignité », celle d’un combat assumé pour la souveraineté nationale.
En posant ce dilemme comme seule et unique perspective pour le Niger, le Chef de l’Etat a peut-être réussi un coup de communication politique, mais il a surtout vicié le débat public national. Car, la vie d'une nation n'est jamais binaire. Entre la soumission à une puissance étrangère et un souverainisme jusqu'au-boutiste, il existe mille chemins possibles : ceux de la coopération intelligente, de la diplomatie pragmatique, du développement négocié etc. En présentant ces voies comme inexistantes, le pouvoir ne se contente pas de défendre sa politique ; il interdit de penser les autres.
Cette technique est aussi vieille que le pouvoir lui-même : créer un ennemi absolu pour mieux exiger une loyauté absolue. En décrétant que toute alternative à sa propre politique relève du camp de la « soumission », le régime ne cherche pas à convaincre, il cherche à contraindre. Il ferme par avance la porte à tout débat, à toute critique constructive, à toute expertise qui oserait suggérer une nuance. Comment alors discuter de la meilleure stratégie économique, de la bonne approche diplomatique ou de la juste allocation des ressources, si toute parole discordante est immédiatement assimilée à une complicité avec les « forces coalisées » hostiles au Niger ? Comment un citoyen peut-il se plaindre des difficultés quotidiennes sans être soupçonné de manquer de fibre patriotique et de ne pas choisir la "dignité" ?
C'est là que réside le risque de ce choix. Il transforme les adversaires politiques en ennemis de la patrie et les citoyens sceptiques en mauvais patriotes. Une telle logique interdit la recherche de consensus et étouffe l'intelligence collective dont le Niger a si désespérément besoin pour surmonter les épreuves gigantesques qui se dressent devant lui.
La véritable dignité d'un peuple ne réside pas dans l'acclamation silencieuse d'un chemin unique tracé par ses dirigeants. Elle se trouve dans sa capacité à débattre ouvertement, à questionner, à douter et à construire ensemble les solutions les plus justes, même si elles sont complexes. Le plus grand service à rendre au Niger aujourd'hui serait donc d’accepter qu'entre le chaos et la vision du CNSP, il existe une troisième voie : celle de l'intelligence collective, du dialogue et de la démocratie véritable.

25/07/2025

Faux marabouts, vrais prédateurs
Comment ils ciblent, manipulent et dépouillent leurs victimes
(Quotidien L’Enquêteur du Vendredi 25 Juillet 2025)
À Niamey comme dans les campagnes les plus reculées, un marché prospère sur les ruines de l'espoir : celui des faux marabouts. Loin de l'image du sage conseiller spirituel, ces charlatans des temps modernes ont industrialisé l'exploitation de la misère humaine, bâtissant des fortunes sur la crédulité et la vulnérabilité de leurs concitoyens. Leur fonds de commerce est la détresse sous toutes ses formes.
Leur mode opératoire est bien rodé. Ils ciblent des proies fragilisées par les épreuves de la vie : un chômage qui s'éternise, une maladie que la médecine moderne peine à guérir, un chagrin d'amour, l'échec scolaire d'un enfant ou le désir ardent de réussite sociale. Contre des sommes souvent exorbitantes, ils promettent des solutions miracles. La consultation initiale, déjà coûteuse, n'est que la porte d'entrée vers une spirale d'extorsion. S'ensuivent des demandes de sacrifices d'animaux, l'achat de "gris-gris", de potions inefficaces ou d'eau prétendument bénite, vendus à prix d'or.
Ces prédateurs excellent dans la manipulation psychologique. Ils instaurent une relation de dépendance, isolant souvent leurs victimes de leur entourage et les persuadant que seule leur intervention peut les sauver. Pour asseoir leur crédibilité, certains faux marabouts n'hésitent pas à utiliser les nouvelles technologies. Des pages Facebook et des comptes WhatsApp vantent leurs prétendus pouvoirs, témoignages (fabriqués) à l'appui. La publicité se fait aussi par le bouche-à-oreille, entretenu par quelques complices ou des victimes convaincues d'une amélioration illusoire de leur sort.
Le paradoxe est que leur richesse, fruit de cette escroquerie, devient leur meilleur argument marketing. Les villas cossues, les voitures de luxe et les vêtements de marque sont exhibés comme la preuve irréfutable de leur puissance. "S'il peut être si riche, c'est que son pouvoir est réel", se disent les victimes potentielles. Dans l'ombre, le drame est plus profond. Les abus vont parfois au-delà de l'escroquerie, menant à des chantages, des manipulations et, dans certains cas, des abus sexuels, des drames tus par la honte et la peur.
Ce phénomène est le symptôme d'un mal plus profond : une société où le désespoir social, le manque d'accès aux services de base et l'incertitude face à l'avenir laissent le champ libre aux marchands d'illusions. En monnayant le malheur, ces faux marabouts ne font pas que vider les poches ; ils brisent des vies, détruisent la confiance et jettent le discrédit sur les véritables traditions spirituelles.
La Rédaction

24/07/2025

Le "Manuel Tiani" : Les clés d'une longévité politique
(Editorial de Soumana I. Maïga, Quotidien L’Enquêteur du Jeudi 24 Juillet 2025)
Deux ans. En politique, c’est une durée significative, surtout après un changement brutal de régime. En juillet 2023, la pérennité des nouvelles autorités suscitait de nombreuses interrogations. Pourtant, le pouvoir en place est aujourd'hui solidement installé. Comment ? Au-delà des circonstances, on peut déceler l’application méthodique de plusieurs axes stratégiques qui s'apparentent à un manuel de la longévité politique.
Le premier axe, et le plus essentiel, pourrait être : « Maîtriser le Récit ». La stratégie est simple : construire un discours idéologique puissant qui devient la référence. Pour les autorités actuelles, ce fut la souveraineté. Ce concept, mis en avant de manière constante, est devenu une justification pour de nombreuses décisions. Il explique la rupture avec les alliés traditionnels, légitime le rapprochement avec de nouveaux partenaires, et surtout, il rend les critiques moins audibles. À ce jeu-là, le général s'est montré expert. Avec une grande fermeté, l'espace politique a été reconfiguré, donnant une moindre visibilité aux voix critiques.
Le deuxième axe pourrait être : « La Gestion du Temps ». Il s’agit de faire du provisoire un état de fait. En maintenant un calendrier de transition dont les contours restent flexibles, le pouvoir gère les attentes nationales et internationales. L'horizon d'une élection, sans cesse réévalué, devient une variable politique qui assoit la position actuelle comme la seule norme du moment.
Troisième axe : « Assurer la Loyauté des Forces de Défense et de Sécurité ». Le général Tiani sait que son principal soutien se trouve dans les casernes. Promotions ciblées, avantages stratégiques, discours patriotiques sont autant de signaux envoyés pour maintenir la cohésion des troupes.
Enfin, le quatrième axe : « La Rupture comme Levier ». La réorientation diplomatique, notamment avec la France et certains alliés traditionnels, n'était pas un simple choix, mais un investissement stratégique. Cet acte a été converti en capital de légitimité populaire et a ouvert la voie à de nouveaux partenariats.
Pourtant, dans ce manuel d’une efficacité redoutable, un facteur crucial reste à observer : celui du peuple. Car si la géopolitique se gère et si le champ politique est maîtrisé, l’équation du quotidien – la flambée des prix, le chômage des jeunes, l’insécurité persistante, etc. – est bien plus imprévisible. Le manuel Tiani est donc certes un chef-d’œuvre politique. Mais si la mécanique est brillante, comme toute stratégie, elle a son angle mort.

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