
19/05/2025
Souveraineté monétaire et intégration régionale : la position du Premier ministre Ousmane Sonko sur le franc CFA
La question de la monnaie en Afrique francophone continue de cristalliser les débats sur la souveraineté, la dépendance postcoloniale et la capacité des États à se doter d’instruments de développement autonome. Le 19 mai 2025, à partir de 19h00, lors d’un entretien de plus de quarante minutes diffusé sur la télévision publique burkinabè (RTB) depuis Ouagadougou, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a réaffirmé avec clarté et constance sa position sur la monnaie CFA, tout en soulignant la nécessité impérieuse d’une réforme à la fois symbolique et structurelle. Cette intervention s’inscrit dans une tradition intellectuelle et politique que Sonko revendique explicitement comme étant continue, documentée et guidée par une vision panafricaniste assumée. À ses yeux, l’objectif ultime reste l’intégration régionale africaine, mais celle-ci ne peut s’accomplir que si les outils fondamentaux de souveraineté, au premier rang desquels figure la monnaie, sont pleinement maîtrisés par les Africains eux-mêmes.
Le Premier ministre a d’abord réitéré l’importance stratégique d’un espace sous-régional intégré, reposant sur un marché commun, une politique tarifaire unifiée et une monnaie partagée. Il voit dans cette intégration un processus sain et souhaitable dans un monde où les grandes puissances ne cessent de se regrouper pour renforcer leur poids économique et géopolitique. Toutefois, il introduit une distinction fondamentale entre l’idée d’une monnaie commune africaine et la réalité actuelle du franc CFA. Ce dernier, bien qu’utilisé par plusieurs pays africains depuis l’époque coloniale, conserve selon lui des caractéristiques qui l’inscrivent dans une continuité historique problématique avec l’ordre colonial. Même si les sigles ont changé de signification au fil du temps, l’appellation CFA continue de porter une charge symbolique qui, à ses yeux, constitue un frein à la pleine émancipation économique des pays concernés.
Au-delà des symboles, Ousmane Sonko insiste sur la nature fonctionnelle de la monnaie en tant qu’instrument fondamental de la politique publique. Si la politique budgétaire reste entre les mains des États africains, leur dépendance à une monnaie dont ils ne contrôlent ni l’émission, ni la parité, ni les mécanismes d’ajustement monétaire, limite drastiquement leur marge de manœuvre. Selon lui, la principale interrogation qui se pose aujourd’hui est de savoir si le franc CFA, dans son ancrage actuel à l’euro et à la zone euro, correspond aux impératifs de développement des pays utilisateurs. Or, la réponse est négative : il s’agirait d’une monnaie trop forte pour des économies encore peu industrialisées, largement tournées vers l’importation, et peu compétitives à l’exportation. Dans une logique de substitution des importations, que prône son gouvernement, une telle rigidité monétaire devient un obstacle majeur.
En effet, le CFA ne permet pas aux États de conduire des politiques monétaires contra-cycliques ou d’utiliser la dévaluation comme outil d’ajustement. Cela expose les pays à une série de vulnérabilités : déficit chronique de la balance commerciale, dépendance aux capitaux extérieurs, et tensions budgétaires accrues. C’est dans cette optique que Sonko appelle à un changement de paradigme, appuyé par des travaux techniques déjà entamés au sein de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Il souligne que le travail technique a déjà été accompli et que la b***e est désormais dans le camp des chefs d’État, qui doivent trancher politiquement en faveur d’une réforme structurelle, voire d’un changement de système monétaire.
Il n’en demeure pas moins que cette posture réformiste reste fondamentalement panafricaniste. Sonko ne plaide pas pour une sortie unilatérale ou un isolement économique, mais bien pour une transformation collective et souveraine. Il souhaite que cette réforme soit menée de manière concertée avec les partenaires régionaux, dans un esprit de cohésion, tout en affirmant que le Sénégal assumera pleinement ses responsabilités si les conditions de cette réforme ne sont pas réunies. Cette position de fermeté responsable vise à préserver l’unité tout en refusant l’immobilisme. La souveraineté monétaire ne saurait être sacrifiée au nom d’un panafricanisme de façade, qui ignorerait les intérêts fondamentaux des peuples et des économies africaines. Pour Sonko, la cohésion continentale ne peut se construire que sur la base de principes justes et d’intérêts bien compris.
L’intervention du Premier ministre sénégalais participe ainsi d’un moment politique crucial pour l’Afrique de l’Ouest. Elle marque une volonté de rompre avec les inerties héritées de la colonisation, sans pour autant céder aux tentations de l’isolement ou de la rupture brutale. Elle témoigne aussi de la maturité d’un discours politique qui reconnaît la complexité des rapports monétaires internationaux tout en affirmant la nécessité d’une émancipation maîtrisée. La monnaie, dans cette perspective, n’est pas un simple outil technique, mais le cœur battant de la souveraineté économique. Il ne s’agit pas seulement de changer de nom, ni même de rompre des liens techniques, mais de restaurer la capacité des États africains à décider par eux-mêmes des conditions de leur développement. Ce combat, selon Sonko, doit être mené avec détermination, avec méthode, et avec un sens aigu des responsabilités envers les peuples africains.
Modou N’DIAYE
Lundi, le 19 mai 2025