08/05/2025
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Je voudrais dâabord remercier notre ami Christian Kastrop pour son aimable invitation et pour lâaccueil convivial qui mâa Ă©tĂ© rĂ©servĂ©.
Je fĂ©licite Global Solutions pour lâorganisation de ce Sommet. Dans un monde en proie aux tensions et aux incertitudes, il est Ă la fois opportun et salutaire de crĂ©er des espaces de dialogue pour penser ensemble les chemins possibles de sortie de crise.
Face aux urgences, le cours de lâhistoire est Ă nouveau trouble. Le systĂšme multilatĂ©ral, nĂ© dans les dĂ©combres de la guerre pour promouvoir la paix, le progrĂšs partagĂ© et la solidaritĂ© entre les nations, montre aujourdâhui ses limites. Il peine Ă offrir des rĂ©ponses concertĂ©es aux dĂ©fis contemporains.
En effet, les instances multilatĂ©rales semblent figĂ©es alors que les conflits, anciens et nouveaux, persistent, les uns plus dĂ©sastreux que les autres ; les menaces terroristes restent entiĂšres ; le rĂ©chauffement climatique sâaccentue malgrĂ© les COP qui se succĂšdent ; et une guerre commerciale majeure vient sâajouter Ă une crise Ă©conomique et financiĂšre dont le monde peinait dĂ©jĂ Ă se relever.
Dans ce contexte de crises et de mutations profondes, lâAfrique continue de faire face Ă plusieurs challenges. Je me limiterai ici Ă quatre dĂ©fis majeurs.
Premier défi : la paix, la sécurité et la stabilité.
En plus des situations conflictuelles persistantes, le terrorisme tend à devenir endémique sur le continent, en particulier au Sahel.
Il faut dire que depuis des annĂ©es, lâAfrique nâa de cesse dâalerter sur le fait que les opĂ©rations de maintien de la paix classiques ne sont pas adaptĂ©es Ă la lutte antiterroriste, faute de mandats et de moyens adĂ©quats. En tĂ©moigne la fin prĂ©cipitĂ©e de certaines opĂ©rations dans la colĂšre et lâincomprĂ©hension.
Câest pourquoi nous avons toujours plaidĂ© pour des mandats plus robustes et des moyens mieux calibrĂ©s, pour combattre le terrorisme dans le cadre de lâArchitecture africaine de paix et de sĂ©curitĂ©, avec le soutien logistique et financier des Nations Unies et des pays partenaires.
Câest Ă ce prix que nous pourrons vaincre le terrorisme, ou tout au moins rĂ©duire de façon significative ses moyens dâaction.
Il y va de notre intĂ©rĂȘt commun, car la persistance du terrorisme en Afrique constitue une menace globale qui relĂšve de la responsabilitĂ© du Conseil de sĂ©curitĂ©, garant du systĂšme de sĂ©curitĂ© collective. DeuxiĂšme dĂ©fi : le dĂ©veloppement Ă©conomique.
Avec ses 30 millions de kmÂČ, son poids dĂ©mographique et ses ressources miniĂšres, hydriques, Ă©nergĂ©tiques et fonciĂšres (60% des terres arables non exploitĂ©es de la planĂšte), lâAfrique dispose du potentiel nĂ©cessaire pour soutenir ses efforts de dĂ©veloppement et contribuer Ă la croissance mondiale.
Cela requiert certes des politiques publiques avisées, mais aussi un ordre économique mondial plus juste et plus équitable.
La dynamique du dĂ©veloppement est freinĂ©e quand lâimpĂŽt nâest pas payĂ© lĂ oĂč la richesse est créée, Ă cause de congĂ©s fiscaux abusifs ; et quand les notations des agences dâĂ©valuation sont biaisĂ©es par leurs critĂšres et leurs mĂ©thodologies de plus en plus contestĂ©es. En Afrique, la perception du risque dâinvestissement est souvent supĂ©rieure au risque rĂ©el, ce qui renchĂ©rit le coĂ»t du crĂ©dit, Ă cause de primes dâassurances particuliĂšrement Ă©levĂ©es.
Mon point de vue est quâil est temps de refonder la coopĂ©ration internationale sur des paradigmes rĂ©inventĂ©s, notamment :
Ă la rĂ©forme de la fiscalitĂ© internationale et des mĂ©thodes de notation des agences dâĂ©valuation ;
Ă et lâassouplissement des rĂšgles de lâOCDE afin de faciliter lâaccĂšs des pays en dĂ©veloppement au crĂ©dit export, Ă des conditions de maturitĂ© plus longues et des taux dâintĂ©rĂȘt soutenables.
A mon sens, lâAfrique dâaujourdâhui a besoin plus de rĂšgles justes et de partenariats Ă©quitables que dâune aide publique au dĂ©veloppement aux ressources limitĂ©es et aux mĂ©canismes peu efficaces.
Ă titre dâexemple, rien que pour les infrastructures, la Banque africaine de DĂ©veloppement estime les besoins de lâAfrique entre 130 et 170 milliards de dollars par an.
Certes, il faut saluer et reconnaitre à leur juste valeur les efforts et les acquis réalisés dans le cadre des partenariats traditionnels.
En mĂȘme temps, lâAfrique continuera de sâouvrir Ă de nouveaux partenariats, sans exclusivitĂ© ni exclusion, pour diversifier ses perspectives de croissance et de dĂ©veloppement Ă©conomique et social.
Câest tout cela, ajoutĂ© Ă la mise en place progressive de la Zone de libre-Ă©change continentale africaine, qui contribuera Ă instaurer une nouvelle doctrine de coopĂ©ration fondĂ©e sur une Ă©thique de valeurs partagĂ©es, de solutions concertĂ©es, et dâintĂ©rĂȘts mutuellement bĂ©nĂ©fiques, sans conditionnalitĂ©s idĂ©ologiques ou socio culturelles.
TroisiÚme défi : la transition énergétique dans le contexte du réchauffement climatique.
Suivant le principe de responsabilitĂ© commune mais diffĂ©renciĂ©e, lâAfrique est pleinement engagĂ©e dans la lutte contre le rĂ©chauffement climatique.
Partout sur le continent, des projets sobres en carbone et résilients au réchauffement climatique voient le jour.
Mais le continent qui pollue le moins ne peut ĂȘtre contraint de choisir entre dĂ©veloppement et protection de lâenvironnement, ou de sâendetter pour financer seul les coĂ»ts de lâadaptation.
Il est donc urgent de mobiliser les ressources financiĂšres nĂ©cessaires Ă lâaction climatique, notamment dans le cadre des Partenariats pour une transition Ă©nergĂ©tique juste.
En outre, pour lâĂ©quitĂ© et la justice, il faut Ă©viter des dĂ©cisions unilatĂ©rales comme celle de la COP 26 Ă Glasgow interdisant le financement Ă lâĂ©tranger de sources dâĂ©nergie fossiles, mĂȘme peu polluantes comme le gaz, alors que certains pays industrialisĂ©s continuent dâutiliser des Ă©nergies bien plus polluantes comme le charbon.
Je rappelle que lâUnion africaine, la Banque africaine de dĂ©veloppement et le Centre mondial pour lâadaptation ont lancĂ© en 2021 le Programme dâaccĂ©lĂ©ration de lâadaptation en Afrique (AAAP).
Cette ambitieuse initiative vise Ă mobiliser 25 milliards de dollars pour renforcer la rĂ©silience climatique de lâAfrique dans domaines clĂ©s, notamment : lâagriculture, les infrastructures, la jeunesse et lâentrepreneuriat, ainsi que la finance et la gouvernance.
En ma qualitĂ© de PrĂ©sident du Conseil de surveillance du Centre mondial pour lâadaptation, je lance un appel aux partenaires bilatĂ©raux et multilatĂ©raux pour soutenir la deuxiĂšme phase de lâinitiative AAAP sur la pĂ©riode 2026-2030.
QuatriÚme défi, enfin, la réforme de la gouvernance mondiale.
LâidĂ©al Ă la base du multilatĂ©ralisme, câest de promouvoir entre des pays aux forces inĂ©gales des relations de collaboration confiante, solidaire et inclusive.
Dans cet esprit, il est juste de reconnaitre les services que le systĂšme des Nations Unies et celui de Bretton Woods ont rendus aux Etats membres.
Mais 80 ans aprĂšs sa crĂ©ation, le multilatĂ©ralisme de lâaprĂšs-guerre est en passe de devenir obsolĂšte, car il ne rĂ©pond pas aux rĂ©alitĂ©s et aux besoins de son temps.
Pour plus des trois quarts des pays membres, il y a lĂ une source dâinĂ©galitĂ©s qui alimente des frustrations et la contestation du systĂšme.
LâĂ©largissement progressif des BRICS en Sud global apparait comme un symptĂŽme illustrant le malaise dâun systĂšme qui court le risque de sa fragmentation sâil nâest pas rĂ©formĂ©.
Il nâest pas souhaitable dâen arriver lĂ . Alors, la sagesse commande de refonder la gouvernance politique, Ă©conomique et financiĂšre mondiale, pour la rendre plus reprĂ©sentative de la diversitĂ© du monde dâaujourdâhui.
Le G20 a montrĂ© la voie en admettant lâUnion africaine comme membre de plein droit, Ă lâinitiative du SĂ©nĂ©gal durant sa prĂ©sidence de lâUnion africaine.
Lâoctroi dâun troisiĂšme siĂšge Ă lâAfrique au Conseil dâadministration du FMI va Ă©galement dans le bon sens de lâhistoire.
Il est important que dâautres instances, comme le Conseil de sĂ©curitĂ© et la Banque mondiale suivent ces exemples, afin dâaider Ă lâavĂšnement dâun multilatĂ©ralisme plus inclusif, plus lĂ©gitime et plus efficace.
Mesdames, Messieurs, chers amis,
Dans un monde secouĂ© par tant de turbulences, nous ne devons pas renoncer Ă lâespĂ©rance. Non pas une espĂ©rance incantatoire, mais une espĂ©rance travaillĂ©e ; une espĂ©rance agissante, nourrie par le courage du dialogue, la force de la coopĂ©ration et la foi dans notre humanitĂ© commune.
Ă lâheure des dĂ©fis globaux, seul un nouveau sursaut lucide et humaniste nous permettra de ressouder les fractures, apaiser les colĂšres et les tensions, et favoriser une collaboration solidaire, fondĂ©e sur nos valeurs communes et le respect de nos diffĂ©rences.
Je vous remercie.