
17/07/2025
Ousmane Sonko, un populiste au sommet du pouvoir
Le masque du pouvoir tombe rarement dâun coup. Chez Ousmane Sonko, il glisse par instants, laissant entrevoir ce que le verbe cachait : une stratĂ©gie populiste qui ne se renie jamais, mĂȘme au sommet de lâĂtat. DerniĂšre illustration : sa sortie spectaculaire du 13 Juillet, oĂč le Premier ministre du SĂ©nĂ©gal a publiquement Ă©reinté⊠son propre prĂ©sident, Bassirou Diomaye Faye. Pire, il sâen est violemment pris Ă la magistrature, Ă la presse et Ă la sociĂ©tĂ© civile, dans un crescendo dâaccusations qui rappelle ses heures les plus virulentes de lâopposition.
Ce discours nâest pas un accident. Il est le prolongement naturel dâun style politique bĂąti sur lâattaque, la polarisation et la mise en scĂšne du âmoi contre tousâ.
Ousmane Sonko sâĂ©tait hissĂ© jusquâĂ la tĂȘte du pays en dĂ©nonçant âle systĂšmeâ, incarnĂ© tour Ă tour par Macky Sall, les magistrats, la presse complice, et les Ă©lites Ă©conomiques. Mais le pouvoir nâa pas calmĂ© sa rhĂ©torique. Au contraire, elle sâest recyclĂ©e. DĂ©sormais Premier ministre, il continue dâopposer un âpeuple purâ Ă des institutions prĂ©sentĂ©es comme pourries jusquâĂ lâos, y compris celles dont il a aujourdâhui la responsabilitĂ©.
Lors de sa derniĂšre prise de parole, Sonko a publiquement mis en cause la lenteur du PrĂ©sident Diomaye Faye, laissant entendre que ce dernier manquait de fermetĂ© et de clartĂ©. Le mĂȘme Diomaye quâil appelait naguĂšre âfrĂšre de combatâ devient aujourdâhui, par la magie du populisme, un maillon faible du systĂšme.
Le populisme repose sur une logique simple : diviser le monde entre âle peuple purâ et âles Ă©lites corrompuesâ, dĂ©signer un ennemi Ă abattre, et incarner le seul canal lĂ©gitime de la volontĂ© populaire. Cette logique, Ousmane Sonko lâa thĂ©orisĂ©e, appliquĂ©e, et dĂ©sormais institutionnalisĂ©e.
En opposition, il dénonçait :
« Une justice aux ordres » en 2021
« Une presse couchée et achetée par le pouvoir » en 2022
« Des organisations de la société civile qui ne sont que des instruments du systÚme »
Aujourdâhui, Premier ministre, il recycle exactement les mĂȘmes accusations, sauf quâil vise dĂ©sormais ses propres partenaires institutionnels. Ce populisme de gouvernance fonctionne comme une mise en scĂšne permanente de la confrontation : le systĂšme ne sâest pas Ă©croulĂ©, alors Sonko continue de sây opposer⊠tout en lâadministrant.
Ce qui frappe, câest que Sonko continue de parler comme sâil nâĂ©tait pas aux commandes. Ce refus de lâhabit institutionnel est typique du populisme : il nâassume jamais la responsabilitĂ© pleine du pouvoir, il prĂ©fĂšre le dĂ©tourner. Il construit ainsi un espace oĂč il peut critiquer la lenteur des institutions tout en les contrĂŽlant, attaquer la justice tout en nommant les ministres, et dĂ©fier le prĂ©sident tout en contresignant les dĂ©crets.
Le résultat ? Une instabilité permanente, un brouillage des repÚres, et un double discours constant :
Face à la base : un langage révolutionnaire, incendiaire, brut.
Face Ă lâinternational : une posture plus responsable, soucieuse de rassurer.
Ce type de gouvernance présente un risque réel pour la démocratie. En dévalorisant systématiquement les corps intermédiaires,juges, journalistes, société civile, Sonko vide la démocratie de ses garde-fous. Il la remplace par une verticalité violente : un homme, une vérité, un peuple.
En sâattaquant Ă Diomaye, il dĂ©passe un seuil. Il ne sâagit plus seulement dâun combat contre les ârestes du systĂšme Mackyâ, mais dâune lutte intestine au sein du pouvoir. Ce populisme contre-institutionnel est dĂ©sormais tournĂ© vers lâintĂ©rieur : lâennemi est partout, y compris Ă la PrĂ©sidence.
Sonko nâest pas devenu Premier ministre. Il est restĂ© commandant de lâopposition permanente. Il ne cherche pas Ă rĂ©former, mais Ă rĂ©gner sur les ruines. Pour lui, gouverner nâest pas rĂ©soudre des problĂšmes, câest continuer Ă incarner une lutte. Et tant p*s si cette lutte emporte le fragile Ă©quilibre institutionnel du pays.
Ce style nâa rien dâun accident. Il est la continuitĂ© logique dâun parcours bĂąti sur la dĂ©fiance, lâoutrance, et le rejet. Le problĂšme nâest pas que Sonko soit devenu populiste au pouvoir. Le vrai problĂšme, câest quâil nâa jamais voulu cesser de lâĂȘtre.
Mamadou Cissé, Journaliste