15/07/2025
La détention préventive vs la détention arbitraire.
Qu’est-ce qu’une détention préventive ?
La détention préventive désigne l’incarcération d’une personne à qui on reproche d’avoir commis une infraction, dans l’attente de son procès. Elle intervient après une décision du juge d’instruction ou, dans certains cas, du procureur de la République et ne constitue pas une peine, car la personne concernée n’a pas encore été jugée.
Le code de procédure pénale tchadien définit la détention en son article 313 comme : « une mesure exceptionnelle qui tend à assurer la représentation en Justice d’un inculpé, à prévenir une activité de nature à nuire à la manifestation de la vérité à mettre fin à l’infraction ou à prévenir son renouvèlement »
La détention étant une exception au principe fondamental de liberté consacré par la déclaration universelle des droits de l’homme et repris par le pacte international relatif aux droits civils et politiques (Article 09), elle n’est décidée que sous certaines conditions strictes.
Au Tchad, les conditions de la privation de liberté sont encadrées par la Constitution du 29 décembre 2023, notamment par ses articles 23 et 24.
Ainsi, toute détention doit reposer sur une cause précise, prévue par la loi, et s’accompagner de garanties effectives. Il ne suffit pas qu’une privation de liberté soit formellement permise par la loi pour qu’elle soit conforme aux normes internationales des droits de l’homme. Encore faut-il qu’elle respecte les exigences fondamentales de nécessité, de proportionnalité, de contrôle juridictionnel effectif, et qu’elle soit mise en œuvre dans le respect du droit à la défense, à l’assistance d’un avocat, et au procès équitable.
Qu’est-ce qu’une détention arbitraire ?
La détention arbitraire désigne une privation de liberté sans base légale valable ou opérée en violation des garanties procédurales prévues par le droit interne ou international. Elle constitue une atteinte grave aux droits fondamentaux et au principe de légalité, en ce qu’elle nie à l’individu toute protection juridique effective contre l’arbitraire de l’État.
Selon le Groupe de travail sur la détention arbitraire (GTDA) du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, la notion d’« arbitraire » ne se limite pas à la simple illégalité d’une privation de liberté. Elle inclut également des éléments tels que le caractère inapproprié, abusif, l’injustice, le manque de prévisibilité, ainsi que le non-respect des garanties judiciaires. Ainsi, une détention peut être considérée comme arbitraire même si elle respecte formellement les lois nationales, dès lors qu’elle ne répond pas aux principes fondamentaux de justice, de nécessité et de proportionnalité.
Le GTDA a identifié cinq catégories dans lesquelles une privation de liberté peut être qualifiée d’arbitraire :
Catégorie I : lorsqu’il est manifestement impossible d’invoquer un fondement juridique quelconque justifiant la privation de liberté (par exemple, le maintien en détention d’une personne ayant purgé sa peine ou bénéficiant d’une loi d’amnistie) ;
Politique II : lorsque la privation de liberté résulte de l’exercice de droits fondamentaux garantis, notamment les libertés d’opinion, d’expression, de réunion, de religion ou de participation politique, telles que consacrées par la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
Catégorie III : lorsqu’une violation grave des normes internationales relatives au droit à un procès équitable rend la détention arbitraire (défaut d’accès à un avocat, à un procès public, à un jugement dans un délai raisonnable, etc.) ;
Catégorie IV : lorsqu’un demandeur d’asile, un réfugié ou un migrant est détenu administrativement de manière prolongée, sans contrôle judiciaire ou recours effectif ;
Catégorie V : lorsqu’une personne est privée de liberté pour des motifs discriminatoires, fondés sur l’origine, la religion, le genre, l’opinion politique ou tout autre statut protégé par le droit international.
En cas de violation : quels recours pour les victimes ?
Lorsqu’une personne est victime de détention arbitraire, plusieurs voies de recours sont ouvertes, tant sur le plan national qu’international.
1. Recours judiciaires internes
Contrôle judiciaire de la détention : toute privation de liberté peut être portée devant le juge d’instruction ou la chambre d’accusation, afin de vérifier sa régularité.
Demande de mise en liberté provisoire : en l’absence de base légale suffisante, l’avocat peut introduire une requête en liberté.
2. Recours auprès des institutions nationales
Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) : autorité indépendante, elle peut recevoir les plaintes, mener des investigations, formuler des recommandations aux autorités compétentes.
Inspection des services judiciaires : en cas de dysfonctionnement ou de faute d’un magistrat ou d’un service de police judiciaire, elle peut être saisie pour enquête et éventuelles sanctions.
3. Recours internationaux
Lorsque les voies internes sont épuisées, inefficaces ou inexistantes, les victimes peuvent se tourner vers les mécanismes de protection internationale :
Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) : compétente pour recevoir les communications individuelles après l’épuisement des recours internes.
Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire (GTDA) : organe de surveillance chargé de statuer sur les cas individuels portés à son attention.
Cour Africaine des droits de l’homme : Après épuisement de voies de recours internes. Ce recours n’est ouvert qu’aux ONG et individus ressortissants des Etats membres qui ont formellement accepté la compétence de la Cour à travers la déclaration prévue à l’article 34(6) du protocole de Ouagadougou.
Quelques arrêts relatifs à la détention arbitraire.
Affaire Alex Thomas c. République unie de Tanzanie (2015)
Condamné à 30 ans de prison sans accès à une assistance juridique ni appel effectif.
La Cour africaine a jugé la détention arbitraire, en violation de l’article 6 de la Charte, et a ordonné sa libération immédiate.
Affaire Ingabire Victoire Umuhoza c. République du Rwanda (2017)
Opposante politique arrêtée et condamnée à 15 ans de prison pour avoir exprimé ses opinions.
La Cour a conclu que sa détention violait les droits à la liberté d’expression et à un procès équitable, constituant une détention arbitraire.
Affaire Lohé Issa Konaté c. Burkina Faso (2014)
Journaliste emprisonné pour diffamation après avoir dénoncé la corruption judiciaire.
La Cour a jugé que la peine privative de liberté était disproportionnée et constituait une détention arbitraire contraire à la liberté d’expression.
Affaire Sélim-Adekpedjou Gnambi Garba c. République du Bénin (2018)
Maintenu en prison au-delà de la durée légale de sa peine.
La Cour a déclaré cette situation constitutive de détention arbitraire et a ordonné réparation.
Reine Maya, Juriste.