Tychique, les contes et histoires.

Tychique, les contes et histoires. Raconter, c'est résister. Ici, chaque histoire défend une voix, un rêve, une dignité, pour que nul ne soit oublié.
(2)

 . .Le temps avait passé, comme il passe toujours, sans jamais demander la permission à ceux qu’il emporte. Des années s...
04/08/2025

.

.

Le temps avait passé, comme il passe toujours, sans jamais demander la permission à ceux qu’il emporte. Des années s’étaient écoulées depuis cette rue poussiéreuse, ce portail bleu, cette boutique de tissus. Les visages avaient changé, les maisons avaient été repeintes, certains enfants étaient devenus hommes, et d’autres, partis trop tôt, n’avaient même pas eu le temps de devenir autre chose que des souvenirs accrochés aux murs.

Kevin n’habitait plus la même maison. Il avait déménagé après le mariage de Yasmine, non pas par fuite, mais parce qu’il fallait bien que la vie continue quelque part. Il travaillait désormais dans une autre ville, plus grande, plus bruyante, plus indifférente. Il n’y avait plus de rideaux qui bougeaient doucement dans une boutique. Plus de regards échappés au détour d’une marche du soir. Mais dans son cœur, il y avait un nom. Toujours le même. Celui qu’il n’osait plus prononcer à voix haute, mais qui revenait, fidèle, dans le silence de ses prières.

Chaque soir, après une longue journée, Kevin rentrait seul. Il posait ses affaires, se lavait les mains, préparait un repas simple, s’asseyait sur le petit tapis qui lui servait d’espace de méditation, et priait. Et dans cette prière, parmi les supplications pour sa famille, son avenir, ses combats intérieurs, une phrase revenait, calme, douce, sans bruit :

- Seigneur… protège-la, où qu’elle soit.

Il ne cherchait plus à comprendre. Il ne demandait plus pourquoi cela avait été impossible. Il avait cessé de refaire le passé, de rejouer les scènes dans sa tête, de se demander s’il aurait dû dire plus, faire plus, aimer autrement. Il avait simplement accepté. Non pas parce que c’était facile. Mais parce que parfois, aimer signifie laisser partir.

Yasmine, elle, vivait dans une autre région, mariée à cet homme plus âgé que son père, respecté par tous, mais inconnu d’elle jusqu’à la veille des noces. Elle n’avait jamais dit non. Elle avait simplement baissé les yeux, laissé le silence répondre à sa place, et ce silence avait été interprété comme une soumission. Depuis, elle jouait son rôle. Elle cuisinait. Elle priait. Elle portait des enfants dans son ventre et des regrets dans son cœur.

Parfois, quand la nuit tombait, elle regardait le plafond un long moment, et se demandait ce qu’il était devenu. Non pas avec amertume. Mais avec cette douceur douloureuse des choses qui auraient pu être. Et dans le secret de son cœur, elle glissait un prénom dans son invocation. Pas à voix haute. Juste dans sa pensée.

- Allah, fais qu’il soit en paix.

Ils ne s’étaient plus jamais revus. Aucun message. Aucune photo. Aucune rumeur. Rien, Comme si la vie avait refermé ce chapitre avec une telle autorité qu’il n’était plus question de revenir en arrière.

Mais il y a des histoires qui ne s’écrivent pas dans les livres, et qui pourtant ne s’effacent jamais. Il y a des noms qu’on ne crie pas, mais qu’on garde près du cœur. Des regards qu’on n’oublie pas. Des rendez-vous qui n’auront jamais lieu, mais qui restent vivants dans un fragment d’âme.

Et quelque part, dans deux coins de vie différents, deux êtres, séparés par les règles, la foi, les familles et le temps, continuaient à penser l’un à l’autre. Pas chaque jour. Pas chaque heure. Mais à ces moments précis où le cœur devient plus sincère que la bouche.

Ils avaient été, un jour, quelque chose. Pas un couple. Pas une promesse. Juste une lumière fragile entre deux fenêtres fermées.

Et cette lumière, à défaut de grandir, s’était logée dans leurs prières.

 . .Il n’y eut ni préparation, ni avertissement, ni occasion de fuir. Ce fut comme une pluie soudaine venue d’un ciel sa...
04/08/2025

.

.

Il n’y eut ni préparation, ni avertissement, ni occasion de fuir. Ce fut comme une pluie soudaine venue d’un ciel sans nuage, brutale, froide, inattendue, et pourtant, redoutée depuis toujours.

Depuis le jour où Yasmine avait été surprise, depuis que ses parents avaient découvert la vérité cette vérité pourtant si simple, si humaine, si humble, un regard échangé, une parole douce, un attachement lentement tissé entre deux âmes qui ne demandaient rien d’autre que d’exister tout s’était refermé autour d’elle, comme les parois d’un piège qu’on pensait imaginaire.

Elle n’eut plus le droit de sortir seule. Elle n’eut plus accès à son téléphone. On changea le verrou de la grille de la boutique. On surveilla ses allées et venues. On l’épia. On lui parla avec des versets durs et des regards accablés. Sa mère, d’ordinaire douce, ne parlait plus que par soupirs et reproches. Son père ne criait pas, non, mais ses silences étaient des murs qu’elle n’avait plus la force de traverser.

Et puis, un jour, sans préavis, sans discussion, il fut là. L’homme,
Plus âgé, barbu, proprement vêtu. Son regard était calme, presque bienveillant, mais il n’y avait pas dans ses yeux cette étincelle qui reconnaît une âme. Il était venu avec ses oncles, ses intentions, son carnet de dots et son sourire paisible de celui qui croit bien faire.

Yasmine n’avait rien dit. Rien pu dire.
Elle écouta. Elle hocha la tête. Elle plia les mains sur ses genoux comme on plie les ailes d’un oiseau qu’on ne libérera plus.
Et ce soir-là, seule dans sa chambre, elle pleura sans un son. Pas par peur. Pas même par haine. Mais parce que quelque chose en elle avait été arraché, et qu’il ne lui restait plus que cette douleur sèche qu’on n’arrive pas à expliquer.

De l’autre côté de la rue, Kevin sentit le vide avant même d’avoir entendu la nouvelle. Il vit la boutique rester fermée plus longtemps. Il vit les rideaux changés, les voisins murmurer, la rue devenir plus silencieuse.
Puis Thierry, le petit livreur d’eau, vint lui glisser quelques mots à l’oreille.

- Elle va se marier, demain... C’est quelqu’un de loin. Un cousin, je crois… ou un commerçant. J’ai pas bien compris. Mais c’est pas elle qui a choisi…

Kevin ne répondit pas.
Il resta là, immobile, le regard fixé vers un point invisible, la gorge nouée comme si on venait d’y attacher une corde faite d’impuissance.
Ce n’était pas une trahison. Ce n’était pas un abandon. C’était pire que ça, c’était une condamnation qu’aucun des deux n’avait méritée.

Le lendemain, il ne sortit pas. Il entendit, de loin, les sons étouffés de la fête, quelques tambours, des voix de femmes, un cortège discret.
Il imagina Yasmine, vêtue de blanc, le regard vide sous le voile.
Il imagina sa main tendue à un homme qu’elle n’avait jamais aimé.
Il imagina les promesses forcées, les sourires douloureux, les bénédictions vides.

Et il pria. Longtemps. Sans mots. Sans larmes. Juste avec cette brûlure dans la poitrine qu’on appelle, faute de mieux, une prière.

 . .Il y a des souvenirs qui ne s’effacent pas, non parce qu’ils sont bruyants, mais justement parce qu’ils ont été murm...
02/08/2025

.

.

Il y a des souvenirs qui ne s’effacent pas, non parce qu’ils sont bruyants, mais justement parce qu’ils ont été murmurés. Et dans la vie de Kevin, ce murmure-là avait un nom, une voix qu’il n’avait jamais réellement entendue lui dire "je t’aime", mais qu’il reconnaissait quand même dans le silence de certaines nuits, dans l’écho doux de certaines prières qu’il faisait sans savoir à qui elles s’adressaient vraiment.

Il avait grandi. Pas en taille, pas en apparence, mais en intériorité. Les années l’avaient sculpté sans violence, avec cette patience du temps qui n’efface rien mais polit les douleurs comme des galets sous l’eau. Il travaillait maintenant pour une imprimerie plus grande, avait déménagé dans un autre quartier, un peu plus loin, un peu plus calme. Mais parfois, quand il croisait une ruelle étroite avec un rideau de boutique entrouvert, son cœur s’arrêtait une seconde… comme s’il cherchait encore l’ombre d’un voile ou la silhouette d’une fille qui, jadis, avait fermé doucement un rideau sur lui.

Il ne parlait plus d’elle. À personne. Il n’avait jamais vraiment parlé d’elle, en vérité. Ce qu’ils avaient partagé n’avait pas besoin de récits, pas besoin de défense, pas besoin de justification. C’était là. Comme un souffle qui revient toujours quand on ferme les yeux trop longtemps. Il avait essayé d’aimer à nouveau. Il avait rencontré des femmes belles, fortes, croyantes. Il avait prié pour que son cœur se libère, pour que sa mémoire s’ouvre à un autre visage, pour que le prénom de Yasmine cesse d’être un tremblement chaque fois qu’il entendait un appel à la prière quelque part, au loin.

Mais il avait compris, lentement, que certaines histoires n’ont pas besoin d’être rejouées pour durer. Qu’il existe des amours qui n’ont jamais été vécus, mais qui laissent plus de traces que ceux qui ont été consommés. Et que parfois, ce que l’on n’a pas eu le droit d’aimer devient la plus grande vérité de ce que l’on est devenu.

Kevin continuait à servir à l’église. Il chantait parfois. Il priait fort. Il conseillait les jeunes, les invitant à marcher dans la lumière, à fuir les passions interdites, à respecter les choix des familles. Il disait tout cela avec sincérité, sans hypocrisie. Mais derrière ses mots, il y avait une larme invisible qu’aucun des jeunes ne pouvait deviner. Une larme ancienne. Une larme offerte à Dieu dans le secret.

Et dans un petit carnet qu’il gardait toujours près de son lit, il avait écrit un seul prénom. Pas une phrase. Pas une date. Juste ce prénom.
Yasmine.

Et c’était suffisant.
C’était là qu’il n’oubliait pas.
Pas pour s’accrocher.
Pas pour espérer.
Juste pour se souvenir qu’un jour, dans une rue où deux mondes ne devaient jamais se toucher, deux regards s’étaient reconnus.
Et que même si le monde les avait séparés, aucun d’eux n’était sorti indemne de cette rencontre.

Et vous

Croyez-vous qu’il existe des amours qu’on ne vit qu’en silence, mais qui nous construisent pour toujours ?

 . .Il y a des jours où même le ciel semble prévenir qu’il va se passer quelque chose. Ce matin-là, il n’y eut ni vent, ...
31/07/2025

.

.

Il y a des jours où même le ciel semble prévenir qu’il va se passer quelque chose. Ce matin-là, il n’y eut ni vent, ni nuage, ni pluie. Juste un silence un peu plus lourd que d’habitude, une lumière étrange qui s’attardait sur les murs, et cette sensation confuse que les choses s’apprêtaient à basculer, doucement d’abord, puis violemment.

Cela faisait déjà plusieurs semaines qu’ils s’étaient choisis, malgré tout. Kevin et Yasmine, au-delà des silences, des regards et des règles, avaient décidé d’exister. Pas aux yeux du monde, bien sûr. Mais l’un dans l’autre. Dans les recoins cachés de leurs journées. Dans les ruelles discrètes du quartier. Dans les messages chuchotés que Thierry, le petit livreur d’eau, faisait encore passer avec cette naïveté complice de ceux qui ne comprennent pas tout mais sentent ce qui est juste.

Ils ne se voyaient pas tous les jours. Mais chaque moment partagé était comme un souffle volé à l’interdit, une joie fragile, une urgence retenue, ils ne parlaient pas d’avenir. Ils savaient trop bien que le futur ne leur appartenait pas. Mais ils parlaient de maintenant. Et ce maintenant, même court, avait le goût d’un trésor.

Ce jour-là, c’est Thierry, justement, qui les trahit sans le vouloir.

Il était venu plus tôt que d’habitude. Il portait deux bidons d’eau sur sa charrette rouillée, sifflotait une chanson qu’il n’avait pas encore finie d’apprendre. Il n’avait pas vu que derrière le vieux mur du jardin de la famille de Kevin, ils étaient là. Assis l’un près de l’autre, les doigts presque mêlés, les voix basses, les sourires prudents. Ils parlaient d’un poème, d’un verset, d’un rêve.

La voisine, elle, les avait vus.

Pas longtemps, mais assez.

Le lendemain, les rumeurs couraient comme des chiens lâchés après une proie. Et elles couraient vite, trop vite, elles changèrent de forme, de ton, de force. Elles devinrent des certitudes dans la bouche de ceux qui n’avaient jamais rien vu. Et bientôt, ce fut un cri, une alerte, un scandale.

Le père de Kevin fut le premier à parler. Et ce ne fut pas une conversation. Ce fut une colère, brute, tranchante, déçue, il parla de honte, de trahison, de compromission spirituelle. kevin, debout, les yeux baissés, ne répondit pas. Il n’avait rien à nier, il avait juste aimé, et ce n’était pas un crime, pas pour lui.

Chez Yasmine, les choses furent plus dures encore.

Il n’y eut pas de mots. Seulement des portes qui claquent, des verrous qui tournent, des yeux qui ne cherchent plus à comprendre. Sa mère pleurait sans parler, son père restait dehors, à répéter en boucle que “cela ne peut pas être sa fille”. On coupa le téléphone, on la retira de la boutique, on interdit toute sortie.

Et dans ce silence forcé, Yasmine sentit son monde se replier, se refermer, se réduire à quatre murs et un tapis de prière. Elle pria, mais cette fois, avec des larmes, des larmes d’injustice, de confusion, et de douleur.

Kevin tenta d’envoyer un message par Thierry. Un simple :

- Je suis là, je t’attends.

Mais le petit ne put plus passer. On lui interdit même de s’approcher de la maison.

Alors le vide s’installa, brutal, froid, tranchant.

Et tout ce qu’ils avaient construit dans l’ombre, avec douceur, fut balayé par la lumière crue du regard des autres.

 . Ce n’était pas un retour.Ce n’était pas non plus un début.C’était ce moment suspendu entre deux vérités : celle qu’il...
29/07/2025

.



Ce n’était pas un retour.
Ce n’était pas non plus un début.
C’était ce moment suspendu entre deux vérités : celle qu’ils connaissaient et celle qu’ils choisissaient d’ignorer. Car malgré la douleur, malgré la menace, malgré les chaînes invisibles du silence familial, Kevin et Yasmine s’étaient revus. Pas par hasard. Pas non plus dans la lumière. Mais dans un recoin du quartier, là où les regards ne vont jamais et où les confidences prennent racine dans l’ombre.

Tout avait recommencé un soir de pluie, alors que Kevin, cherchant abri sous l’auvent d’un kiosque fermé, avait vu Thierry traverser la rue avec son petit bidon vide. Thierry, ce gamin à la voix rapide, aux pieds sales, mais au cœur plus loyal que mille adultes. Le même Thierry qui, des mois plus tôt, leur passait quelques mots volés dans l’eau fraîche du matin.

Ce soir-là, Thierry n’avait pas eu besoin d’un long discours. Il avait regardé Kevin, avait froncé légèrement les sourcils, puis avait glissé d’un ton bas :

- Elle est là, derrière la maison du vieux Bako. Elle t’attend.

Kevin n’avait rien dit, il avait juste hoché la tête, une fois, une seule. Et ses jambes avaient marché avant que son esprit ne comprenne ce qu’il faisait.

Yasmine l’attendait, voilée, trempée, mais là vivante, silencieuse.
Quand leurs regards s’étaient retrouvés, ce n’était pas le même trouble d’autrefois. Ce n’était plus ce frisson adolescent du “peut-être”. C’était une blessure commune. Un vide habité par les mêmes questions, les mêmes interdits, les mêmes élans retenus. Ils ne s’étaient pas parlé tout de suite. Le silence avait fait tout le travail.

Puis elle avait murmuré :

- J’ai dit non, deux fois.

Et il avait compris. Il avait compris qu’elle avait essayé, qu’elle avait résisté, qu’elle avait osé défier l’ordre établi, sans cri, sans scène, juste avec ce courage discret que seules les femmes savent manier dans l’intimité du cœur.

Alors ils avaient commencé à se voir. Pas tous les jours, pas même chaque semaine, mais parfois. À des heures volées, à des instants coupables. Thierry veillait, le petit garçon devenait gardien d’un secret plus lourd que lui, mais qu’il portait avec la tendresse d’un frère.

Ils ne faisaient rien de mal, au sens où le monde l’entend.
Ils se parlaient.
Se regardaient.
Échangeaient des sourires, des souvenirs, des silences.
C’était tout.
Et c’était beaucoup.

Chaque rencontre était une victoire minuscule contre l’injustice de leur séparation.
Chaque éclat de rire volé, un miracle.
Chaque mot tendre, une prière.

Kevin savait qu’il n’aurait jamais le droit de l’appeler sienne.
Yasmine savait qu’elle marchait sur une corde raide, chaque pas étant une trahison aux yeux de ceux qui prétendaient l’aimer.
Mais ils continuaient.
Pas par caprice.
Mais parce qu’il y a des élans que même Dieu, dans Sa sagesse, regarde sans colère.

Et pourtant, cette parenthèse ne pouvait durer.
Ils le savaient.
Mais ils n’en parlaient pas.

Ils préféraient savourer chaque moment comme on savoure un rayon de soleil dans une saison de pluie : en sachant qu’il ne durera pas,
mais en choisissant quand même d’y croire.

 . .Il n’y avait pas eu de lettre d’adieu. Pas de dernière phrase gravée sur un morceau de papier. Pas de main serrée un...
29/07/2025

.

.

Il n’y avait pas eu de lettre d’adieu. Pas de dernière phrase gravée sur un morceau de papier. Pas de main serrée une dernière fois au coin d’une ruelle sombre. Il n’y avait même pas eu ce mot que tant de gens redoutent mais qui, au moins, libère : “au revoir.” Non. Il n’y avait eu que ce silence. Ce grand, lourd, immense silence. Celui qu’on ne choisit pas, mais qui s’impose quand on comprend qu’aimer ne suffit pas à changer le monde.

Les jours avaient passé, lents comme des pas traînés dans le sable. Kevin n’osait plus marcher trop vite, comme si chaque mètre parcouru dans ce quartier était une douleur, une promesse non tenue, une absence répétée à chaque coin de rue. Il avait recommencé à prier, cette fois avec des phrases plus calmes, moins sûres. Ses mots s’adressaient encore à Dieu, bien sûr. Mais quelque part entre les lignes, il parlait aussi à elle. À Yasmine.

De son côté, Yasmine avait changé de posture. Elle ne s’asseyait plus à la même place dans la boutique. Elle portait ses voiles plus serrés, ses regards plus courts. Les tissus qu’elle pliait lui glissaient souvent des mains, non par maladresse, mais parce que ses pensées s’envolaient ailleurs. Dans une ruelle. Vers une porte bleue. Vers un garçon à la voix retenue. Elle priait, elle aussi. Longtemps. Sincèrement. Et dans ses prières, parfois, un prénom rem***ait à la surface comme un bateau oublié.

Il ne s’étaient plus parlé. Pas un mot. Pas même un geste. Et pourtant, chaque matin, quand les rideaux se levaient et que le soleil frappait les façades des maisons, un fragment d’eux deux survivait dans l’air chaud de la rue. Une trace fine. Une mémoire invisible.

Puis le temps avait fait ce que le temps fait toujours : il avait effacé les contours sans toucher les souvenirs. Kevin s’était plongé dans le travail, puis dans des engagements religieux. Il servait à l’église, rendait visite aux anciens, participait à des campagnes d’évangélisation. Mais dans le fond de ses silences, Yasmine vivait toujours. Pas comme un péché. Pas comme un regret. Mais comme une chanson douce qu’on ne peut plus chanter en public.

Yasmine, elle, avait fini par dire oui. Un oui murmuré. Un oui résigné. Un homme plus âgé, respecté, bien établi, avait été choisi pour elle. Il venait de loin. Il n’avait jamais vu Kevin. Il ne connaissait rien du regard échangé. Il ne savait pas. Et Yasmine n’avait rien dit. Pas même à sa sœur. Pas même à elle-même.

Le mariage eut lieu dans la discrétion d’un compromis. Des youyous discrets. Des sourires tirés. Des robes repassées. Et sous le voile, une larme que personne ne remarqua. Ce jour-là, elle pria fort. Très fort. Non pas pour l’homme qui allait devenir son mari, mais pour celui qui, malgré la distance, malgré le silence, malgré la douleur, continuerait à habiter ses prières.

Et Kevin, ce jour-là, se tint debout sous un arbre au fond de la cour, écoutant les cloches de l’église sonner sans raison particulière. Il leva les yeux vers le ciel et ferma les paupières. Une phrase m***a en lui. Pas un verset, pas une plainte, juste une phrase :

- Seigneur… prends soin d’elle.

 . .Il arrive parfois que le monde s'effondre sans bruit, que l’amour recule sans combat, que deux êtres se perdent sans...
27/07/2025

.

.

Il arrive parfois que le monde s'effondre sans bruit, que l’amour recule sans combat, que deux êtres se perdent sans heurts, comme si la douleur choisissait de s’habiller de silence pour mieux se faire sentir.

Cela faisait des jours que Kevin et Yasmine ne s’étaient plus vus, ni même aperçus, et pourtant chacun savait, au plus profond de lui, que l’autre continuait à exister, juste de l’autre côté de la rue, à quelques mètres, mais comme séparé par un océan de règles, de peurs, de décisions qui ne leur appartenaient plus.

Depuis que les familles avaient posé les mots qui claquent, les interdictions comme des chaînes, les regards pesants comme des condamnations, plus rien n’était pareil. Le quartier lui-même semblait changé, comme si les murs avaient appris à juger, comme si chaque regard dans la rue devenait une accusation muette. Thierry, le petit livreur d’eau, avait arrêté de leur faire passer le moindre mot. Non pas parce qu’il ne voulait plus les aider, mais parce qu’on lui avait interdit, fermement, définitivement. Et même lui, malgré son âge, avait compris qu’il valait mieux se taire.

Kevin avait repris sa routine, mais ses pas étaient plus lents, ses prières plus douloureuses, son regard plus vide. Il travaillait à l’imprimerie comme avant, saluait les clients avec politesse, répondait aux anciens avec respect, mais à l’intérieur, il portait un vide qu’aucune prière ne comblait vraiment. Et chaque soir, en approchant de la boutique des Abdallah, il sentait son cœur se serrer, non plus d’espérance, mais de cette sorte de résignation qui vient après l’ouragan.

Yasmine, elle aussi, avait réappris à détourner les yeux, à se réfugier dans le silence, à enfouir en elle les mots qu’elle n’avait jamais dits. Elle passait ses journées à la boutique, comme avant, à ranger les tissus, à plier les étoffes, mais sa main tremblait parfois sur les couleurs trop vives, celles qui lui rappelaient les instants doux qu’elle n’avait pas vraiment vécus, mais qu’elle avait rêvés si fort qu’ils en avaient pris la saveur du réel.

Et puis ce jour-là, sans qu’on sache pourquoi, alors que le soleil commençait à décliner derrière les immeubles usés de poussière, que l’appel à la prière s’élevait comme un soupir au-dessus des toits, Kevin leva les yeux depuis son portail entrouvert… et Yasmine était là, assise, le regard perdu, comme s’elle aussi, attendait quelque chose qu’elle ne nommait plus.

Leurs yeux se croisèrent. Pas longtemps. Juste ce qu’il fallait pour que le cœur se rappelle. Pour que la mémoire vibre. Pour que l’âme saigne doucement.

Il n’y eut ni geste, ni sourire, ni mot. Juste ce regard qui disait : “Je n’ai pas oublié.”
Et ce silence, immense, qui criait : “Mais je ne peux plus.”

Kevin fit un pas en arrière, comme si ses propres émotions le repoussaient. Il baissa les yeux, lentement, puis referma le portail, comme on referme une page sans savoir si on aura un jour le courage de la relire.

Yasmine se leva à son tour, tira le rideau de la boutique, et dans ce geste lent, presque solennel, il y avait toute la pudeur du monde, tout l’adieu que deux cœurs peuvent s’offrir quand ils savent qu’aimer ne suffira pas.

Ce soir-là, ils se sont dit au revoir sans parler, sans pleurer, sans se toucher. Mais cet au revoir-là, dans sa douleur muette, valait toutes les larmes du monde.

Et dans le silence de cette séparation imposée, ils comprirent qu’on peut être vivants, jeunes, sincères, croyants… et pourtant écrasés par des murs qu’on n’a pas construits soi-même.

 . .Dans certaines familles, l’amour ne choisit pas. Il s'impose. Il s’habille de respectabilité, il prend le nom de tra...
24/07/2025

.

.

Dans certaines familles, l’amour ne choisit pas. Il s'impose. Il s’habille de respectabilité, il prend le nom de tradition, il se glisse dans les prières des aînés comme une promesse qu’on n’a jamais osé briser, et il devient… une décision pour les autres.

Le Ramadan touchait à sa fin, et les nuits de prières chez Yasmine étaient devenues plus intenses, plus silencieuses aussi. Chaque prosternation, chaque murmure à Dieu, semblait essayer d’éteindre une flamme qu’elle n’arrivait pourtant plus à cacher, même derrière ses silences. Mais ce soir-là, son père était rentré plus tôt que prévu, l’air fermé, le pas lourd, les sourcils froncés comme une tempête retenue trop longtemps. Il n’a pas crié. Il n’a pas accusé. Il a simplement dit :

– Yasmine, on a reçu une demande. Un jeune homme, de bonne famille. Il prie, il travaille, il veut te parler. Tu n’as rien à dire, prépare-toi.

Et dans ces quelques mots, Yasmine a compris que la fenêtre qu’elle n’avait jamais ouverte allait être scellée. Définitivement.

De l’autre côté de la rue, Kevin venait d’assister à une longue réunion avec les anciens de l’église. Rien d’extraordinaire, en apparence. Mais alors que la séance touchait à sa fin, l’un des doyens a posé la main sur son épaule et dit doucement :

– Tu n’es plus un enfant, Kevin. Il est temps que tu penses au mariage. Il y a cette sœur, Maryse, la fille du diacre. Elle t’apprécie beaucoup. Tu devrais parler à tes parents. Ce serait un bon choix.

Kevin n’a pas répondu tout de suite. Il a souri. Un sourire de façade. Il a remercié. Et puis il est rentré.

Mais en lui, c’était comme si le sol s’était fissuré.

Il n’avait jamais vraiment envisagé de futur avec Yasmine, pas un vrai futur, pas un mariage, pas une maison commune, pas un monde possible entre les deux familles. Il n’avait même jamais prononcé son prénom devant ses parents. Et pourtant, cette proposition d’union avec une autre fille sonnait comme une trahison… de quelque chose de fragile, de discret, de muet, mais de réel.

Ce soir-là, ils ne se sont pas croisés dans la rue.

Yasmine est restée enfermée dans sa chambre, les mains posées sur ses genoux, le regard vide, une étoffe blanche entre les doigts. Sa mère est venue s’asseoir à côté d’elle, doucement, presque avec tendresse, et lui a dit :

– Ton père veut le meilleur pour toi. Ce garçon est bien. Il est de notre monde. Fais ce qu’il faut.

Kevin, lui, était assis sur sa chaise, dans le salon, son père en face de lui, la Bible ouverte sur les genoux, parlant avec chaleur d’alliances bénies, de mariages sanctifiés, d’héritages spirituels à transmettre.

Mais Kevin n’écoutait plus.

Dans sa tête, une seule image persistait : le rideau de la boutique, les doigts fins de Yasmine, son regard fuyant, et cette question jamais vraiment posée, jamais vraiment répondue : “C’est impossible, non ?”

La nuit est tombée, lourde, étouffante, sans espoir.

Et chacun, dans sa chambre, s’est assis sur son lit, dos contre le mur, cœur contre la muraille des attentes parentales, et a murmuré pas un nom, pas une plainte, pas une révolte mais une prière sans mot, pour ce que leur âme refusait d’oublier.

 .  12_Ramadan_et_louange.Il y a des périodes de l’année où le monde semble s’arrêter de courir, où les gens changent de...
23/07/2025

.


12_Ramadan_et_louange.

Il y a des périodes de l’année où le monde semble s’arrêter de courir, où les gens changent de rythme sans vraiment changer de route, où les visages s’adoucissent, non pas parce que la vie est devenue plus tendre, mais parce qu’ils se tournent un peu plus vers le ciel.

Ramadan venait de commencer dans la maison d’en face.
Yasmine se levait avant l’aube pour le suhoor, le petit déjeuner du jeûne, dans un silence que seule sa mère savait respecter. Les gestes étaient précis, l’eau chauffée doucement, le pain partagé en deux, sans mot inutile. Puis, après la prière de l’aube, Yasmine restait parfois debout devant la fenêtre entrouverte, écoutant les bruits d’une ville encore endormie, attentive au premier appel du muezzin, comme on écoute un souffle qui vous traverse sans bruit.

Dans ces moments-là, elle pensait à Dieu.
Pas à Kevin.
Du moins, c’est ce qu’elle essayait de croire.
Mais parfois, sa prière s’enroulait autour d’un nom qu’elle ne prononçait pas, autour d’un visage qu’elle n’avait jamais touché, autour d’une sensation qu’elle n’avait jamais vécue, mais dont elle connaissait chaque battement.

Elle demandait à Dieu de purifier son cœur.
Et pourtant, chaque jour de jeûne semblait rendre ce cœur plus lourd, comme si l’âme refusait d’oublier ce que les lèvres n’avaient jamais osé formuler.

Kevin, de son côté, entrait dans une période de veillée et de louanges avec son église. C’était une semaine de prière intense, un appel au renouveau spirituel. Il participait à chaque soirée, la Bible serrée contre lui, les yeux fermés pendant les chants, les mains levées, le cœur tendu vers un ciel qu’il voulait encore croire simple.

Mais Dieu lui paraissait plus silencieux que d’habitude.
Non pas absent. Juste… silencieux.

Il chantait fort, mais ses pensées se perdaient dans des regards qu’il n’avait pas oubliés.
Il fermait les yeux pour prier, mais ce qu’il voyait, c’était une boutique de tissus, un rideau tiré doucement, et une fille qui ne lui avait jamais souri, mais qui lui avait laissé un monde entier à déchiffrer dans un seul regard.

Un soir, après la prière, alors que les fidèles s’embrassaient, que les anciens imposaient les mains aux jeunes, que la salle résonnait de “Amen !” et de soupirs d’espérance, Kevin resta assis seul sur un banc, les yeux dans le vide. Il n’avait pas de péché à confesser. Il n’avait rien fait. Rien dit. Rien pris.

Et pourtant, il se sentait plus coupable que jamais.
Pas à cause de Yasmine.
Mais à cause de ce qu’il ressentait malgré lui.
À cause de ce que la foi, parfois, refuse de nommer par peur de ne pas savoir le gérer.

Ainsi, de chaque côté de la rue, deux âmes priaient.
Deux jeunes gens qui ne s’étaient jamais touchés, qui ne s’étaient jamais parlé plus de quelques mots.
Mais qui portaient l’un et l’autre, dans leur silence, le poids d’un lien que personne ne leur avait enseigné à gérer.

L’un invoquait Dieu en chantant,
l’autre L’appelait en jeûnant.
Et dans cette ville où tout le monde semblait sûr de sa voie, il y avait ces deux cœurs, jeunes et sincères, qui ne savaient plus s’ils marchaient vers Dieu… ou l’un vers l’autre.

 . .Il y a des mots qu’on n’écrit que pour les taire.Des phrases entières qu’on couche sur l’écran ou sur le papier, non...
20/07/2025

.

.

Il y a des mots qu’on n’écrit que pour les taire.
Des phrases entières qu’on couche sur l’écran ou sur le papier, non pour qu’elles soient lues, mais pour qu’elles nous permettent de respirer un peu mieux, le cœur plus léger d’avoir enfin dit ce qu’il ne fallait surtout pas dire à voix haute.

Kevin, ce soir-là, était assis au bord de son lit, téléphone en main, les genoux croisés, les yeux figés sur une page vide. Il avait effacé trois fois déjà. Chaque version du message semblait trop forte, ou trop faible, trop directe ou trop floue. Il voulait dire l’indicible sans briser l’équilibre. Il voulait écrire à Yasmine sans trahir sa foi, sa famille, ou son propre silence.

Le téléphone tremblait dans sa main.
Non pas à cause d’un appel. Non. C’était son propre souffle qui faisait vaciller l’appareil, comme si chaque lettre tapée venait d’un endroit fragile de lui-même. Il écrivit lentement :

- Yasmine, je sais que je ne devrais pas t’écrire. Je sais que même ce message est un pas de trop. Mais depuis que je t’ai vue ce soir-là, depuis que tu as posé les yeux sur moi sans un mot, quelque chose est resté. Quelque chose qui refuse de mourir. Je ne te demande rien. Je voulais juste que tu saches… que j’ai pensé à toi. Trop.

Puis il s’arrêta.
Le message clignotait.
“Envoyer”.
Un mot si simple. Un bouton si petit. Et pourtant, c’était comme ouvrir une faille entre deux mondes qu’on avait toujours voulu garder étanches.

Il ne l’envoya pas.

Il le relut une dernière fois, puis le sauvegarda dans les brouillons. Et là, il le regarda s’effacer doucement, comme on renonce à une lettre qu’on n’a jamais postée.
Il reposa le téléphone, éteignit la lumière, et s’allongea sur le dos, bras croisés sous la tête. Le plafond lui paraissait vide, mais son esprit, lui, était rempli d’un seul prénom.

Yasmine, de son côté, n’avait pas de téléphone personnel. Du moins, pas un qu’elle pouvait utiliser librement.
Elle écrivait sur du papier. Elle gardait un petit carnet caché entre deux pagnes dans l’armoire. C’était son sanctuaire à elle, son lieu de dépôt pour les choses interdites.

Ce soir-là, elle avait écrit quelque chose aussi.
Pas à Kevin.
À Dieu

- Seigneur, je ne comprends pas ce que Tu fais dans mon cœur. S’il est mauvais, arrache-le. S’il est pur, protège-le. Mais ne me laisse pas seule avec ce trouble. Ne me laisse pas aimer quelqu’un que je n’ai même pas le droit de regarder.

Puis elle avait refermé le carnet.
Et elle s’était mise à genoux.
Sans larmes, sans cris.
Juste avec une fatigue dans l’âme. Une fatigue douce, mais profonde.
Celle qu’on ressent quand on se bat contre soi-même pour ne pas aimer plus que ce qu’on peut porter.

Les jours passaient, et dans leur quartier, tout semblait normal. Kevin allait au travail. Yasmine aidait à la boutique. Le petit vendeur d’eau passait toujours, saluait de loin.
Mais entre eux, quelque chose flottait encore.
Une absence pleine.
Un silence habité.
Un message jamais envoyé. Et une prière jamais partagée.

Adresse

Pala

Téléphone

+237694140260

Site Web

Notifications

Soyez le premier à savoir et laissez-nous vous envoyer un courriel lorsque Tychique, les contes et histoires. publie des nouvelles et des promotions. Votre adresse e-mail ne sera pas utilisée à d'autres fins, et vous pouvez vous désabonner à tout moment.

Partager