
12/24/2024
Chapitre 12.
***Carina NGOWET***
La réaction de Séléna m’a vraiment fait plaisir. Comme quoi on peut poser de mauvaises actions, être maladroit, sans cesser d’aimer. Je lui ai laissé un double des clés, elle s’est rendue directement à la maison où je suis en train d’aller la retrouver après une journée improductive au boulot.
Une bonne odeur de nourriture du pays m’accueille dès que j’ouvre la porte.
Séléna : bonsoir. J’ai fait du soukouté, on va bientôt passer à table.
Je vais prendre un long bain moussant pour essayer de me détendre. Séléna respecte mon espace et me laisse la rejoindre pour le dîner quand je me sens prête. On commence à manger et dès la première bouchée, elle lance les hostilités.
Séléna : qu’est-ce qui s’est passé ?
Moi : je ne sais pas. Il m’a sorti une c***erie comme quoi nous ne sommes pas faits l’un pour l’autre, il n’est pas assez pour moi. Comme si je m’étais déjà plainte de quoi que ce soit.
Séléna : fini de manger, on va chez lui.
Moi ahurie : pardon ?!!
Séléna : il te doit des explications et il te les donnera.
Moi : lol ! Et on va aussi rayer sa voiture ?
Séléna : ce n’est pas ce qui est prévu, mais je n’écarte aucune possibilité.
Moi : pff ! Tu délires !
Séléna : je suis dead sérieuse Carina, dépêche-toi ! Tu as besoin de réponses et il va te les donner.
À ce moment, je suis partagée, car oui, ça ne peut pas se terminer ainsi. Aucune explication, rien. Quelque part, j’ai besoin de vider mon sac, mais en même temps, j’ai tellement de colère en moi que j’ai peur que ça finisse mal.
Séléna : tu ne manges plus ?
Moi : je n’ai plus faim.
Séléna : donc on y va. Lève-toi !
Moi : je…
Séléna avec autorité : debout !
Moi : arrête…
D’un bond, elle se retrouve devant moi et m’oblige à me lever. Je la suis comme une môme jusqu’à ma voiture, je prends le volant et me mets en route jusqu’à chez José. Personne ne parle dans la voiture, je réfléchis à tout ce que je veux lui dire. Plus j’y pensais et plus la colère montait. Puis d’un coup, la colère laisse place au doute. Et si les réponses faisaient plus mal ?
Moi : et s’il n’est pas à la maison ?
Séléna : il rentrera forcément tôt ou t**d. C’est chez lui ou non ?
Moi : je ne sais pas si c’est une bonne idée.
Séléna : le GPS dit de tourner à gauche.
Je ne sais pas pourquoi je l’écoute, pourquoi je continue de me rapprocher de chez lui.
Le peu de courage que j’avais me quitta une fois devant son immeuble. Je n’arrive pas à composer le 3212 à l’interphone pour sonner chez lui. Séléna, déterminée, me pousse.
« Sonne »
Et je sonne. On entend la sonnerie, puis le silence. L’angoisse monte de plus belle. Séléna fait sonner une deuxième fois et…
José : c’est qui ?
Séléna : Carina.
José surpris : qui ?
Moi : c’est moi, Carina.
« Vous pouvez entrer ».
On prend les escaliers.
Séléna : pose toutes les questions que tu veux, il n’y a pas de honte à avoir. Tu n’es pas là pour le convaincre de te reprendre, encore moins le supplier, mais pour obtenir des explications. Tu ne mendies rien, c’est ton droit.
Moi : j’ai envie de faire demi-tour.
Elle me pousse encore plus en avant. José nous attend sur le palier, l’air grave. Il parait sincèrement inquiet.
Séléna : bonsoir. La vie t’offre une deuxième chance. Tu as là l’occasion de te comporter en homme bien élevé en lui disant exactement pourquoi elle ne t’intéresse plus du jour au lendemain. Tu lui dois des explications et tu vas les lui donner. Sauf si tu es un porc. Tu es un porc ?
José déboussolé : non.
Elle a enchainé tellement vite que je ne pense pas qu’il ait eu le temps d’assimiler.
Séléna à moi : je suis dans la voiture, prends tout ton temps.
José m’invite à rentrer chez lui après son départ. Je n’ai pas envie de m’assoir, je n’ai pas envie de faire semblant, d’être polie.
Moi : pourquoi ? La vérité, rien que la vérité.
José après un soupir : Carina regarde où je vis. Je dois jongler avec deux boulots pour m’en sortir. Je travaille comme un malade pour quoi ? Le tiers, la moitié de tes revenus ? Je n’ai ni l’argent, ni le temps pour une fille comme toi.
Moi : une fille comme moi ?
José : tu fréquentes des hommes beaucoup plus riches et disponibles que moi, jusqu’à quand crois-tu que ça aurait duré ? Avant qu’un autre te prouve qu’il peut t’offrir plus, beaucoup plus.
Moi : wow !
José : mais ouvre les yeux bon sang ! On se voit à peine, je ne peux pas t’offrir un repas dans l’un des restaurants où tu as l’habitude d’aller, je suis paumé. Jusqu’à quand penses-tu pouvoir supporter cette situation ? Avec tous ces hommes riches que tu côtoies au quotidien, qui te dévorent du regard, qui sont prêts à tout pour t’avoir. Cette relation n’avait aucun avenir.
« Avait ». Je vois qu’il a fait son deuil.
Moi : ce n’était pas à toi de prendre cette décision. Mais tu l’as fait, soit. J’espère que tu trouveras bien vite la fille moche et pauvre qui saura rassurer tes insécurités. Bonne chance pour la suite.
J’ai tourné mes talons, le laissant scander mon nom. Au moins je sais, je sais que ce n’est pas ma faute. Je retrouve Séléna dans la voiture. Elle est affairée sur son téléphone, assise côté conducteur. C’est elle qui prend le volant pour le retour dans un silence de cimetière que je brise au bout d’une quinzaine de minutes.
Moi avec rage : on aurait dû casser sa voiture.
Séléna morte de rire : on avec qui ? Pour aller en prison ensuite ? Toi encore, tu peux avoir des circonstances atténuantes, mais moi ?
Moi laissant libre cours à ma colère : tu sais ce qu’il m’a dit ? Il est complexé parce que je suis une femme indépendante et désirable. En gros, forcément, j’allais finir par le quitter pour un plus riche. Je suis matérialiste ? Séléna tu m’as déjà vue sortir avec un homme pour son argent ? Oui, j’ai joué de ma plastique pour me faire un carnet d’adresse, mais je suis toujours restée digne, intègre. Je n’ai jamais couché pour du matériel. Tout ce que j’ai, je l’ai eu à la sueur de mon front.
Une fois le robinet ouvert, impossible de m’arrêter. Je n’avais même pas remarqué qu’elle ne roulait plus, que nous étions garées devant chez moi. Elle m’écoutait sans jamais intervenir, simplement des onomatopées pour me rassurer qu’elle écoutait toujours.
Moi : qu’il aille se faire fo**re, je n’ai pas besoin de lui.
Séléna : hum ! On peut descendre ?
Moi en défaisant ma ceinture : tchip !
Je ne l’attends pas, je fonce droit dans la maison. La table est restée telle qu’elle était avant notre départ. Je ne vais pas m’affamer pour lui, je vais manger et bien même. Séléna en fait autant. Mais je n’arrête pas de tchiper.
Séléna amusée : tu vas t’étouffer.
Moi : ce n’est pas drôle.
Séléna : je sais, je suis passée par là. Exactement le même scénario.
Moi : de quoi tu parles ? Irvine a essayé d’arranger les choses.
Séléna : qui te parle d’Irvine ? Mon plus gros goumin à date, c’est mon ancien boulot et tu le sais. Moi aussi, je suis passée par toutes les étapes par lesquelles tu passes actuellement. Et puis quand tu prends le temps d’analyser les choses, tu réalises qu’autant il faut la volonté de deux personnes pour que ça marche, autant il faut la volonté de deux personnes pour que ça foire. J’ai ma part de responsabilité dans cette rupture. Je me suis remise en question et il y a des erreurs que je reproduirai plus dans mon prochain emploi. J’ai tiré des leçons.
Moi : tu délires ! C’est totalement différent. Mais soit, qu’elles étaient ses leçons ?
Séléna : la vérité est que j’aurais été un piètre manager. Oui, je faisais bien mon taff, sur ce point, on est tous d’accord, mais manager une équipe de treize personnes… Je n’aurais pas pu. Ou plutôt, je n’aurais pas su. Et c’est donc normal qu’on ait pris quelqu’un d’autre que moi. Si j’avais eu le recul de demander pourquoi ? D’essayer de comprendre au lieu de crier au sexisme ou au racisme, j’aurais pu rester et me préparer à une autre promotion. Mais en vrai, Carina, aujourd’hui, je postule pour des postes beaucoup plus intéressants, plus stimulants. Me remettre sur le terrain me fait réapprendre et je suis sûre que je serai plus épanouie dans mon prochain emploi.
Moi : amen ! Donc, tu veux me dire que j’ai quelque part quelque chose à me reprocher dans cette rupture. Je dois savoir ce que c’est, travailler dessus pour soit retourner avec José, soit ne pas reproduire cette même erreur pour le prochain qui sera mieux que José.
Séléna : tu comprends vite.
Moi : sauf que moi, je n’ai rien fait.
Séléna : ce n’est pas ce soir que tu comprendras. Laisse d’abord sortir toute ta colère, respecte les étapes. Nous sommes à l’étape « c’est un chien, tous les hommes sont des chiens. Sauf mon père. »
Moi pouffant de rire : tu es trop c***e toi aussi.
On débarrasse la table, range la vaisselle dans le lave-vaisselle et nettoie avant de nous poser devant une télé qu’on ne regarde pas.
Séléna : je ne sors pas avec Fabrice, il ne m’intéresse même pas.
Moi : Séléna comme je te l’ai dit, c’est le fait de faire les choses dans mon dos qui m’a dérangée.
Séléna : ok. De toute façon, j’ai décidé d’arrêter de lui parler.
Elle me raconte leur conversation et les propos qu’il a tenus. Quand je dis que ce mec est infect.
***Charlotte MAROUNDOU***
Irvine et moi avons discuté, énormément, longuement. Quand tu as en face un homme aussi patient, qui sait communiquer, non pas pour se faire entendre, mais pour faire évoluer la situation. Quand tu as en face un homme comme ça, ça ne peut que te motiver, te donner envie de faire des efforts. On va avoir un enfant, il ne s’agit plus que de moi et de mes insécurités. Si Irvine peut faire des efforts, pourquoi pas moi ?
On a décidé de se dire les choses. Que ça soit douloureux ou non ? Facile à entendre, comprendre, accepter ou pas. On se dit les choses. La vérité, rien que la vérité. Et la première vérité crue que j’ai dû encaisser était qu’il avait encore des sentiments pour son ex. Il m’a rassurée qu’il voulait avancer, avancer avec moi. On n’efface pas sept années de relation en un claquement de doigt, mais à un moment les sentiments ne suffisent plus. Il a décidé d’avancer avec moi et c’est le plus important.
C’était difficile, douloureux à entendre. Mais c’est moi qui ai voulu la vérité.