
07/05/2025
Il est 6h du matin à Port-au-Prince. Le jour peine à se lever, mais déjà, les trottoirs vibrent. Au coin d’une rue, un bouchon de monde se forme. Pas pour un bus. Pas pour un billet. Mais pour un pate kòde tout chaud, tout croustillant, tout parfumé. Bienvenue dans le royaume non officiel du petit-déjeuner haïtien.
Le pâté kòde, c’est plus qu’un simple snack. C’est un rituel. Un mode de vie. Un repère dans la tempête. Dans les bureaux de l'État comme dans les usines, des banques jusqu’aux tap-tap, tout le monde y passe. Marchands ambulants, chofè taksi, avoka, elèv, madan sara, zanmi baz, boukantè tafia… tout le pays, littéralement, se réveille au son de la friture et à l’odeur du hareng saur.
Et ce n’est pas un hasard.
La recette de base est simple, mais sacrée. Une pâte salée bien travaillée, une farce savoureuse faite de hareng saur, d’oignons, de tomates, de piment, de sel… et surtout, un ze bouyi qui vient couronner le tout. Certains y ajoutent du fromage, d’autres de la morue, du poulet, du "hot dog", et même un petit quelque chose de mystique, une sauce secrète qu’on ne trouve que chez certaines machann.
Cette passion pour le pâté kòde a fait naître une véritable économie de proximité. Dans chaque zone, on connaît "pi bon machann lan". Et ce commerce n’est plus réservé qu’aux anciennes vendeuses de quartier mais de jeunes diplômés, frustrés par le chômage, s’y lancent avec talent. Dès que la recette est maîtrisée et que la salubrité est à peu près assurée, le succès est quasiment garanti. Yon bon pate kòde pap janm rete nan men mèt li.
Une vidéo devenue virale montre un jeune homme aux dreadlocks, joint à la main, expliquant : "Depi mwen gen yon bon joint, yon ti ka tafia, epi yon pate chaje sòs , jounen mwen ap mache!" Derrière l’humour se cache une vérité sociale, le pate kòde est un carburant populaire. Il réchauffe les estomacs comme les cœurs. Il unit les classes, les générations, les quartiers.
Des événements comme "Pate Kòde Week" témoignent de la montée en gamme de ce produit du terroir. Pendant une semaine, les restaurants de la capitale mettent le pâté en vedette, le réinventent, le décorent, le poétisent. Une reconnaissance méritée pour ce trésor de la cuisine haïtienne.
Le pate kòde, c’est un symbole de résilience, de créativité, de goût aussi. Il est temps que l’État le reconnaisse comme patrimoine culinaire national. Il est temps d’enseigner aux jeunes comment bien le faire, dans le respect de la salubrité alimentaire. Il est temps d’en être fiers, vraiment.
Car tant qu’il y aura un coin de rue, une friteuse, un ze bouyi et un sourire brûlé par l’huile chaude, Haïti continuera à se lever grâce à son pâté kòde.
✍️ Ludie Ifrène