31/08/2025
La dette cachée du Sénégal : la garantie de l'Etat à des dettes contractées par des entreprises publiques ou parapubliques en cause.
Introduction
La gestion de la dette publique est au cœur des débats contemporains sur la soutenabilité budgétaire des pays en développement. Le cas du Sénégal, où la Cour des comptes et le FMI ont révélé en 2025 l’existence d’une « dette cachée » d’environ 7 milliards de dollars, illustre les tensions entre normes internationales de reporting et pratiques politiques de gestion budgétaire. Une partie importante de cette dette provenait de garanties accordées par l’État à des entreprises publiques et agences parapubliques, dont les engagements financiers n’étaient pas intégrés dans les comptes officiels. Cette situation pose une question cruciale : dans quelle mesure les garanties d’État doivent-elles être comptabilisées comme dette publique ?
I. Les garanties de l’État : un instrument budgétaire ambivalent
Les garanties sont des engagements par lesquels l’État promet de rembourser un créancier si le débiteur principal fait défaut.
Dans les normes du FMI (Government Finance Statistics Manual 2014), une garantie n’est pas assimilée immédiatement à de la dette publique ; elle est classée comme passif conditionnel.
Cependant, lorsque le risque de défaut est élevé, la garantie doit être reclassée comme dette effective.
Les pays développés (UE, États-Unis, OCDE) pratiquent cette double comptabilité : la dette brute n’intègre pas les garanties, mais celles-ci font l’objet de rapports détaillés sur les passifs contingents.
Ainsi, la garantie d’État est légitime en soi, mais elle devient problématique si elle est utilisée pour externaliser artificiellement des emprunts hors des bilans budgétaires.
II. L’usage des garanties dans les pays émergents et africains
Dans les économies émergentes, et particulièrement en Afrique, les garanties d’État ont souvent été utilisées pour contourner les limites d’endettement fixées par les bailleurs.
Cas du Mozambique (2016) : l’État avait garanti en secret plus de 2 milliards USD de prêts contractés par des entreprises publiques liées à la pêche et à la sécurité maritime. Lorsque ces entreprises ont fait défaut, la dette publique a explosé, provoquant une crise financière majeure.
Cas de plusieurs pays africains : des entreprises nationales d’énergie, d’infrastructures ou de transport s’endettent avec la bénédiction implicite de l’État, sans que ces passifs apparaissent dans les chiffres du déficit et de la dette.
Ces pratiques créent une asymétrie d’information entre gouvernements, institutions internationales et marchés financiers, mettant en cause la crédibilité des statistiques publiques.
III. Le cas du Sénégal : de la garantie légitime à la dette cachée
Entre 2019 et 2024, le gouvernement sénégalais a multiplié les projets d’infrastructures et de partenariats public-privé (PPP). Pour financer ces projets, plusieurs agences et entreprises publiques ont contracté des emprunts sur les marchés ou auprès de bailleurs bilatéraux, souvent couverts par des garanties souveraines.
Ces dettes, pourtant quasi certaines d’être supportées par le Trésor, n’ont pas été intégrées dans les comptes budgétaires officiels.
Résultat : le déficit a été présenté à 4,9 % du PIB en 2023, alors qu’un audit indépendant a révélé un déficit réel de 12,3 % et une dette proche de 118 % du PIB.
La Cour des comptes et le FMI ont conclu qu’il ne s’agissait pas d’une « différence méthodologique », mais bien d’un problème de transparence et de sincérité budgétaire.
IV. Discussion : transparence comptable ou manipulation politique ?
Deux lectures s’opposent :
La version de l’ancien régime (Macky Sall) : les dettes en question n’étaient pas celles du gouvernement central mais des entreprises publiques, donc elles ne devaient pas être intégrées dans la dette publique. Il s’agirait au mieux d’une divergence de normes comptables.
La version des auditeurs et du FMI : compte tenu de l’incapacité structurelle de ces entreprises à rembourser, les garanties étaient en réalité des dettes certaines. Leur non-déclaration constituait une dissimulation volontaire visant à préserver une image de soutenabilité pour continuer à emprunter à l’international.
Cette tension illustre la frontière floue entre l’outil budgétaire légitime (garantie d’État) et le maquillage comptable utilisé à des fins politiques.
Conclusion
Le scandale de la dette cachée au Sénégal révèle les limites de la gestion budgétaire fondée sur les garanties d’État. Si celles-ci sont inévitables et nécessaires dans certaines stratégies de financement, leur non-déclaration ou leur sous-estimation mine la crédibilité des finances publiques. L’expérience sénégalaise, à l’instar du Mozambique en 2016, rappelle l’importance de la transparence budgétaire et de l’alignement sur les standards internationaux.
Au-delà du cas sénégalais, la question interroge plus largement les pays africains : sans réforme des pratiques de reporting, les garanties risquent de rester un instrument de dette cachée et de vulnérabilité financière.
Nouvou BERTE