
24/09/2025
CRITIQUE THÉÂTRALE – "FAISEUSE D’ANGES”:
Un drame socio-familial percutant
Le samedi 20 septembre 2025, l'association Théâtre au compteur a présenté à l’École internationale de théâtre du Bénin (Eitb) à Togbin sa dernière création, “Faiseuse d’Anges"; une pièce de Nathalie Hounvo Yekpe mise en scène par Cybelline de-Souza, avec le soutien de la Citf, la Fondation Oumou Dilly et l'Institut français de Paris à travers le dispositif "Des mots à la scène".
Kamarou-Dine AREKPA
Dans le studio-théâtre de l’Eitb, plein à craquer, pendant près d’une heure trente, le public a été plongé dans un drame familial où se croisent silence, tabou, désespoir et quête de la vérité autour de deux thématiques brûlantes : le viol sur mineure et l’avortement clandestin.
Une intrigue tendue, entre souvenirs et révélations
Après un avant-propos pantomimique dont tout le sens se révèlera vers la fin du spectacle, la pièce s’ouvre sur un couple en pleine tourmente: leur fille unique a fugué. En présence des voisins — assimilés au public — les deux parents échangent, mais leurs propos deviennent rapidement des règlements de comptes. À travers souvenirs communs évoqués/vécus différemment, non-dits enfin dits et reproches interposés, un drame se dessine peu à peu: leur fille, victime d’abus sexuels de son oncle maternel, ayant tenté en vain de les alerter, tombée finalement enceinte, se su***de.
L’intrigue conçue par Nathalie Hounvo Yekpe, sans jamais tomber dans le pathos, explore avec justesse la complexité des responsabilités parentales, le poids du patriarcat et le manque de communication au sein des familles.
Une mise en scène à la fois sobre et sophistiquée
Cybelline de-Souza choisit une scénographie épurée mais chargée de symboles: une estrade-chambre immaculée, des vêtements suspendus, des poupées et fœtus flottant dans l’espace scénique, autant de rappels visuels à l’innocence brisée et à la maternité contrariée. Le tissu blanc, tendu en hauteur et utilisé comme surface de projection, vient enrichir la dramaturgie. La canne du père, transformée en épée, matérialise la violence sourde et l’autorité patriarcale.
Les lumières oscillent entre clair-obscur et intensité, isolant certains témoignages avec une force dramatique remarquable. La musique originale, portée par des percussions et des chants, rythme la progression de la pièce, accentuant les moments d’émotion (dépression de la fille par exemple) comme les tensions les plus vives (viol de la fille par exemple).
Un jeu d’acteurs puissant et incarné
Les comédiens livrent une performance habitée. Le père (Bardol Migan), figure autoritaire et politique, impose par sa voix et sa gestuelle. La mère (Reine Zoé N'deyeli), soumise en apparence mais révoltée contre la société patriarcale, bouleverse particulièrement dans la scène où elle confesse ses recours répétés à une "faiseuse d’anges"; femme spécialisée dans l'avortement qu'elle sollicite pour ne surtout pas avoir le garçon tant désiré par son mari.
L’instrumentiste (Samuel Messerli), en plus des sonorités qu'il produit en mode synchro avec les interprètes, incarne avec finesse, par une gestuelle symbolique, la figure du violeur sans jamais tomber dans la crudité. Quant à la fille (Happy Sossou), son désespoir est rendu avec une intensité physique qui frôle parfois la danse contemporaine.
Un public entre silence et émotions
Le spectacle a tenu son auditoire en haleine. Les rires légers suscités par quelques anecdotes n’ont pas atténué l’émotion générale. Les silences attentifs témoignaient d’une écoute profonde, et les applaudissements nourris à la fin ont consacré la réussite de cette création.
Une œuvre engagée et nécessaire
*Faiseuse d’Anges* se distingue par son audace formelle et la pertinence de son propos. Le recours au théâtre physique tutoyant la la danse contemporaine, pour traduire les violences sexuelles ou les avortements clandestins, apporte une intensité rare. Si certaines répliques s’étirent parfois dans un registre un peu trop didactique, cela n’entame pas la force globale de l’œuvre.
En mettant en lumière les conséquences tragiques du silence familial et des pressions sociales, Faiseuse d'Anges rappelle avec acuité que le théâtre peut être un espace de parole et de catharsis.
Avec cette création, l'association Théâtre au compteur signe une pièce forte, bouleversante et nécessaire. Un spectacle engagé qui interroge la société et mérite assurément d’être vu, revu, et surtout discuté.