18/07/2025
Jeunes diplômés en mal d'emploi au Bénin :
Quand les reconversions freinent le développement
Le Bénin, à l'instar de nombreux pays africains, est confronté à un paradoxe criant : une jeunesse de plus en plus diplômée, mais des opportunités d'emploi qui ne suivent pas toujours. Cette situation engendre un phénomène préoccupant : celui des reconversions professionnelles forcées, où des jeunes, fraîchement sortis de l'université ou d'écoles supérieures avec des diplômes "diplomants", se voient contraints de changer radicalement de voie pour simplement "joindre les deux bouts".
Un véritable frein au développement, qui soulève des questions fondamentales sur l'adéquation entre l'offre de formation et les besoins réels du marché du travail.
L'illusion du diplôme :
Une jeunesse désillusionnée.
Nombreux sont les jeunes béninois qui, après des années d'études ardues, se retrouvent face à une réalité amère : leur diplôme, censé être un passeport pour l'emploi, ne leur ouvre pas les portes espérées. Qu'il s'agisse de filières considérées comme "nobles" par le passé, telles que le Droit, les Lettres, ou certaines sciences sociales, ou même de domaines plus techniques où les débouchés sont pourtant annoncés, le constat est souvent le même : des centaines, voire des milliers de diplômés peinent à trouver un emploi en lien avec leur formation initiale.
"J'ai fait cinq ans d'études en gestion commerciale après mon Baccalauréat mais après des années de recherche infructueuse, j'ai dû me résoudre à devenir enseignant du primaire avec le statut de AME ( Aspirant au Metier d’Enseignant)", confie Eugène Dégbey. "Après trois ans en Lettres Modernes à L’université de Parakou, je suis vendeuse de produits électroniques dans une cabine Momo afin de joindre les deux bouts", témoigne Dossi Adjoua Hounsi, une jeune diplômée béninoise. "C'est frustrant de se dire que tout cet investissement, toutes ces nuits blanches, n'ont pas abouti au métier dont je rêvais." François M’po Géologue s’en plaint, lui qui après 5 ans de recherche infructueuse d’emploi s'est reconverti en tenancier de restaurant Bar. Babio Arouna, sur le sujet s’exprime en larmoyant." J’ai ma licence en Droit depuis sept ans mais me voici conducteur de taxi-motos afin de me débrouiller pour nourrir ma petite famille.
Les raisons d'un déséquilibre : Entre offre et demande
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce déséquilibre. D'une part, on observe parfois une prolifération de filières de formation qui ne sont pas toujours en phase avec les dynamiques économiques actuelles et futures du pays. Le système éducatif, héritage d'une ère différente, peine parfois à s'adapter aux mutations rapides du marché de l'emploi, notamment avec l'émergence de nouveaux secteurs d'activité et la transformation digitale.
D'autre part, la capacité d'absorption du secteur privé reste limitée. Malgré les efforts du gouvernement pour promouvoir l'entrepreneuriat et attirer les investissements, le nombre d'entreprises structurées et capables d'offrir des emplois qualifiés ne croît pas au même rythme que le flux de diplômés. Le secteur public, traditionnellement un pourvoyeur d'emplois, est également confronté à des contraintes budgétaires et à des réformes qui limitent ses recrutements.
Les conséquences sur le développement : Un capital humain sous-exploité
Au-delà des drames individuels, ces reconversions forcées représentent un coût significatif pour le développement national. Le Bénin investit considérablement dans l'éducation de sa jeunesse, mais une partie de ce capital humain se retrouve sous-employée ou employée dans des domaines qui ne valorisent pas pleinement leurs compétences acquises. C'est une perte d'efficacité économique et une déperdition de talents qui auraient pu contribuer à l'innovation, à la croissance de secteurs stratégiques, et à l'amélioration des services publics.
De plus, cette situation peut alimenter un sentiment de découragement et de frustration chez les jeunes, potentiellement porteur de tensions sociales. La quête de "joindre les deux bouts" prime alors sur la construction d'une carrière significative et la participation active au développement du pays.
Vers des solutions durables : L'impératif d'une réforme
Pour inverser cette tendance, une réforme profonde de l'approche en matière de formation et d'emploi s'impose. Cela passe par une meilleure anticipation des besoins du marché du travail, via des études prospectives régulières et une collaboration renforcée entre le monde universitaire, les entreprises et les acteurs du développement.
Il est crucial de :
* Adapter les programmes de formation aux compétences recherchées, notamment dans les secteurs porteurs (numérique, agro-industrie, énergie renouvelable, artisanat qualifié, etc.).
* Renforcer l'orientation professionnelle dès le lycée pour aider les élèves à faire des choix éclairés, basés sur les réalités du marché de l'emploi.
* Promouvoir l'entrepreneuriat et l'acquisition de compétences transversales (soft skills) telles que la pensée critique, la résolution de problèmes, la communication et l'adaptabilité.
* Encourager la formation professionnelle et technique (FPT) qui offre souvent des débouchés plus directs et adaptés aux besoins des entreprises.
* Miser sur l'innovation et la création d'emplois en stimulant l'investissement privé et en facilitant l'accès au financement pour les jeunes entrepreneurs.
Le Bénin a le potentiel de sa jeunesse. Il est temps de s'assurer que leurs diplômes soient de véritables tremplins vers l'épanouissement professionnel et qu'ils contribuent pleinement à l'édification d'une nation prospère. Ne pas le faire, c'est hypothéquer l'avenir de toute une génération et freiner le développement d'un pays qui aspire légitimement à l'émergence.
Donald Gbêtongninougbo