10/22/2025
« 𝗥𝗲́𝗱𝘂𝗶𝗿𝗲 𝗮𝘂 𝘀𝗶𝗹𝗲𝗻𝗰𝗲 » : 𝗰𝗼𝗺𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗹’𝗮𝗿𝘀𝗲𝗻𝗮𝗹 𝗽𝗲́𝗻𝗮𝗹 𝗲𝘁 𝗷𝘂𝗱𝗶𝗰𝗶𝗮𝗶𝗿𝗲 𝗲́𝘁𝗼𝘂𝗳𝗳𝗲 𝗹𝗮 𝗱𝗶𝘀𝘀𝗶𝗱𝗲𝗻𝗰𝗲 𝗲𝗻 𝗔𝗹𝗴𝗲́𝗿𝗶𝗲 — 𝗳𝗼𝗰𝗮𝗹𝗲 𝘀𝘂𝗿 𝗹𝗮 𝗞𝗮𝗯𝘆𝗹𝗶𝗲
𝗟𝗲 « 𝗹𝗮𝘄𝗳𝗮𝗿𝗲 » 𝗰𝗼𝗺𝗺𝗲 𝘀𝘁𝗿𝗮𝘁𝗲́𝗴𝗶𝗲
Dans Réduire au silence. Comment le droit est perverti pour bâillonner médias et ONG, la juriste Sophie Lemaître définit le lawfare comme l’usage stratégique du droit (textes pénaux, procédures, régulateurs) pour neutraliser journalistes, militants et ONG. Cette stratégie inclut notamment des législations antiterroristes extensives et des poursuites-bâillons (SLAPP) qui « entravent le droit d’informer » et réduisent l’espace civique. L’ouvrage, paru le 2 septembre 2025, synthétise des exemples internationaux et alerte sur la banalisation de ces pratiques.
En Algérie, ce diagnostic résonne fortement avec l’élargissement de la définition du « terrorisme » (article 87 bis du Code pénal) et l’usage d’infractions politiques formulées en termes vagues pour poursuivre journalistes, défenseurs des droits et militants — en majorité kabyles. Plusieurs procédures spéciales de l’ONU et ONG ont exprimé des préoccupations convergentes.
𝗟’𝗼𝘂𝘁𝗶𝗹 𝗰𝗹𝗲́ : 𝗹’𝗮𝗿𝘁𝗶𝗰𝗹𝗲 𝟴𝟳 𝗯𝗶𝘀 𝗲𝘁 𝗹𝗮 𝗰𝗼𝗻𝘀𝘁𝗿𝘂𝗰𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗱’𝘂𝗻 « 𝗲𝗻𝗻𝗲𝗺𝗶 𝗶𝗻𝘁𝗲́𝗿𝗶𝗲𝘂𝗿 »
𝗖𝗲 𝗾𝘂𝗲 𝗱𝗶𝘁 𝗹𝗮 𝗹𝗼𝗶 : depuis juin 2021, l’« acte terroriste » inclut, entre autres, « œuvrer ou inciter (…) à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels » et « porter atteinte à l’intégrité du territoire national ». Cette formulation ouvre la voie à la criminalisation d’expressions et de mobilisations politiques pacifiques.
𝗔𝗹𝗲𝗿𝘁𝗲𝘀 𝗼𝗻𝘂𝘀𝗶𝗲𝗻𝗻𝗲𝘀 : des experts de l’ONU jugent cette définition non conforme aux standards internationaux et trop malléable, permettant des poursuites pour des actes non violents ou assimilables à l’expression pacifique. Ils critiquent également l’absence de garanties dans la liste nationale des personnes/organisations « terroristes ».
𝗣𝗲́𝗿𝗲𝗻𝗻𝗶𝘀𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻 : en 2024, une nouvelle révision du Code pénal n’a pas abrogé l’article 87 bis, malgré les recommandations formulées lors de l’Examen périodique universel (EPU) de 2022.
𝗣𝗼𝘀𝗶𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗮𝗺𝗲́𝗿𝗶𝗰𝗮𝗶𝗻𝗲 : dans son rapport Country Reports on Terrorism 2021, Washington estime que la désignation du MAK (Kabylie) comme organisation terroriste semble davantage politique que sécuritaire, au regard de la définition américaine du terrorisme.
Clé de lecture « lawfare » : (Lemaitre) : détourner des lois antiterroristes ou antiblanchiment pour criminaliser l’activisme et dissuader l’information d’intérêt général — un mécanisme parfaitement transposable au contexte algérien.
𝗖𝗲 𝗾𝘂𝗲 𝗱𝗼𝗰𝘂𝗺𝗲𝗻𝘁𝗲𝗻𝘁 𝗹’𝗢𝗡𝗨 𝗲𝘁 𝗹𝗲𝘀 𝗢𝗡𝗚 : criminalisation, détentions arbitraires, dissolution d’ONG
• 𝗥𝗮𝗽𝗽𝗼𝗿𝘁𝗲𝘂𝘀𝗲 𝘀𝗽𝗲́𝗰𝗶𝗮𝗹𝗲 (𝟮𝟬𝟮𝟯–𝟮𝟬𝟮𝟱) : Mary Lawlor constate la poursuite de la criminalisation des défenseurs par des infractions vagues (sécurité nationale), avec des cas emblématiques et des allégations de mauvais traitements.
• 𝗚𝗿𝗼𝘂𝗽𝗲 𝗱𝗲 𝘁𝗿𝗮𝘃𝗮𝗶𝗹 𝘀𝘂𝗿 𝗹𝗮 𝗱𝗲́𝘁𝗲𝗻𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗮𝗿𝗯𝗶𝘁𝗿𝗮𝗶𝗿𝗲 (𝗚𝗧𝗗𝗔) : en avril 2025, avis reconnaissant la détention arbitraire de militants et journalistes sous quatre catégories (base légale, liberté d’expression, procès équitable, motifs discriminatoires).
• 𝗛𝗥𝗪 (𝟮𝟬𝟮𝟯) : environ 250 détenus pour protestation/expression en octobre 2022 ; usage croissant d’accusations liées au terrorisme contre défenseurs, activistes et partis ; pressions et dissolutions d’associations.
• 𝗔𝗺𝗻𝗲𝘀𝘁𝘆 𝗜𝗻𝘁𝗲𝗿𝗻𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻𝗮𝗹 (𝟮𝟬𝟮𝟭–𝟮𝟬𝟮𝟯) : intensification d’une répression généralisée, recours à l’article 87 bis contre militants et journalistes, fermetures d’églises et d’associations ; campagne « A society behind bars » (2023) décrivant l’extension des arrestations arbitraires et des détentions prolongées.
• 𝗔𝘀𝘀𝗼𝗰𝗶𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗱𝗶𝘀𝘀𝗼𝘂𝘁𝗲𝘀 : RAJ (2021), dissolution dénoncée par des experts de l’ONU ; LADDH (principale ligue des droits) dissoute par jugement de 2022 révélé en 2023, HRW et Amnesty demandent son annulation.
𝗝𝗼𝘂𝗿𝗻𝗮𝗹𝗶𝘀𝗺𝗲 𝘀𝗼𝘂𝘀 𝗰𝗼𝗻𝘁𝗿𝗮𝗶𝗻𝘁𝗲 : 𝗱𝗲𝘀 𝗰𝗮𝘀 𝗲𝗺𝗯𝗹𝗲́𝗺𝗮𝘁𝗶𝗾𝘂𝗲𝘀
• Khaled Drareni : condamné en 2020 pour « incitation à un attroupement non armé » et « atteinte à l’unité nationale » après couverture du Hirak ; peine réduite en 2022 à 6 mois avec sursis, mais procédure illustrant une justice « aux ordres », selon RSF.
• Ihsane El Kadi : le GTDA (ONU) a jugé sa détention arbitraire (2025) et recommandé des réformes législatives et des réparations.
Lecture « lawfare » : incrimination de l’acte journalistique par des infractions d’opinion et recours à des procédures multiples (contrôle judiciaire, dissolution d’entreprise de presse) — tactiques décrites par Lemaître.
𝗞𝗮𝗯𝘆𝗹𝗶𝗲 : 𝗿𝗲́𝗽𝗿𝗲𝘀𝘀𝗶𝗼𝗻 𝗰𝗶𝗯𝗹𝗲́𝗲, 𝗳𝗲𝘂𝘅 𝗱𝗲 𝟮𝟬𝟮𝟭 𝗲𝘁 𝗱𝗲́𝗿𝗶𝘃𝗲𝘀 « 𝘁𝗲𝗿𝗿𝗼𝗿𝗶𝘀𝘁𝗲𝘀 » 𝗷𝘂𝗱𝗶𝗰𝗶𝗮𝗶𝗿𝗲𝘀
• 𝗗𝗲́𝘀𝗶𝗴𝗻𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗱𝘂 𝗠𝗔𝗞 𝗲𝘁 𝗿𝗮𝗳𝗹𝗲𝘀 (𝟮𝟬𝟮𝟭–𝟮𝟬𝟮𝟮) : les feux de forêt en Kabylie (été 2021) ont été suivis d’arrestations massives ; 54 peines de mort prononcées (novembre 2022) dans une procédure de masse marquée par des violations du procès équitable et des allégations de torture ; au moins six prévenus poursuivis pour affiliation au MAK.
• 𝗖𝗮𝘀 𝗞𝗮𝗺𝗶𝗿𝗮 𝗡𝗮𝗶𝘁 𝗦𝗶𝗱 (𝗖𝗠𝗔) : interpellée en août 2021 et poursuivie sous 87 bis pour « atteinte à l’unité nationale » et « appartenance à une organisation terroriste », objet d’interpellations au Parlement européen.
Lecture « lawfare » : instrumentalisation d’une tragédie (incendies) pour élargir le périmètre des suspects « terroristes » et frapper fort par des condamnations extrêmes — une « stratégie de sidération ».
𝗖𝗼𝗻𝗱𝗮𝗺𝗻𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗲𝘁 𝗿𝗲𝗰𝗼𝗺𝗺𝗮𝗻𝗱𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗶𝗻𝘁𝗲𝗿𝗻𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻𝗮𝗹𝗲𝘀
• 𝗢𝗡𝗨 : communications conjointes des procédures spéciales recensant, depuis 2021, des allégations répétées sur les lois antiterroristes et les poursuites visant des acteurs civiques ; la visite de la Rapporteuse spéciale (2023) a identifié quatre schémas de violations (harcèlement judiciaire, dissolution d’ONG, restrictions de mouvement, intimidation).
• 𝗘́𝘁𝗮𝘁𝘀 : lors de l’EPU 2022, les États-Unis et la quasi-totalité des États démocratiques ont recommandé l’abrogation de l’article 87 bis et la libération des personnes poursuivies sur ce fondement.
𝗖𝗼𝗻𝗱𝗮𝗺𝗻𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗲𝘁 𝗿𝗲𝗰𝗼𝗺𝗺𝗮𝗻𝗱𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗶𝗻𝘁𝗲𝗿𝗻𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻𝗮𝗹𝗲𝘀
La perversion ne réside pas dans l’existence d’un dispositif antiterroriste en soi, mais dans sa définition trop large et son emploi extensif contre des cibles non violentes (journalistes, syndicalistes, militants), combiné à des procédures (préventives, administratives, commerciales) qui neutralisent l’espace civique : dissolutions d’ONG, contrôles judiciaires prolongés, incapacitation financière et médiatique. Ce schéma, décrit par Lemaître comme typique du lawfare, est corroboré en Algérie par les dossiers 87 bis, Affaire Larvaa Nath Iraten, Assassinat du jeune Bensmail, MAK, LADDH, RAJ, MDS, Cherif Mellal, Kamira Nait Sid, Boualem Sansal, Christophe Gleize, Mira Moknache, El Kadi, Drareni, etc.
𝗤𝘂𝗲 𝗱𝗼𝗶𝘁 𝗳𝗮𝗶𝗿𝗲 𝗹𝗮 𝗰𝗼𝗺𝗺𝘂𝗻𝗮𝘂𝘁𝗲́ 𝗶𝗻𝘁𝗲𝗿𝗻𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻𝗮𝗹𝗲 ?
Elle doit agir immédiatement pour protéger les peuples kabyle et algérien victimes d’exactions criminelles du pouvoir algérien. Elle doit exercer des pressions fondées sur le droit international, la Charte des droits de l’homme et le droit des peuples autochtones, en l’occurrence le peuple kabyle, à disposer d’eux-mêmes.
𝗥𝗲𝗰𝗼𝗺𝗺𝗮𝗻𝗱𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀 :
• 𝗥𝗲́𝗳𝗼𝗿𝗺𝗲𝗿 𝗹’𝗮𝗿𝘁𝗶𝗰𝗹𝗲 𝟴𝟳 𝗯𝗶𝘀 : aligner la définition nationale du terrorisme sur les standards onusiens ; exclure explicitement l’expression, l’association et l’assemblée pacifiques.
• 𝗚𝗮𝗿𝗮𝗻𝘁𝗶𝗿 𝗹’𝗶𝗻𝗱𝗲́𝗽𝗲𝗻𝗱𝗮𝗻𝗰𝗲 𝗷𝘂𝗱𝗶𝗰𝗶𝗮𝗶𝗿𝗲 𝗲𝘁 𝗹𝗲 𝗽𝗿𝗼𝗰𝗲̀𝘀 𝗲́𝗾𝘂𝗶𝘁𝗮𝗯𝗹𝗲: encadrer strictement la détention provisoire, respecter les délais et l’accès à l’avocat ; revoir les juridictions spécialisées.
• 𝗣𝗿𝗼𝘁𝗲́𝗴𝗲𝗿 𝗹𝗲 𝗷𝗼𝘂𝗿𝗻𝗮𝗹𝗶𝘀𝗺𝗲 𝗲𝘁 𝗹’𝗲𝘀𝗽𝗮𝗰𝗲 𝗰𝗶𝘃𝗶𝗾𝘂𝗲 : abroger ou alléger les incriminations d’« atteinte à l’unité nationale », « fausses nouvelles », « outrage à corps constitué » lorsqu’elles sanctionnent l’opinion.
• 𝗔𝗻𝗻𝘂𝗹𝗲𝗿 𝗹𝗲𝘀 𝗱𝗶𝘀𝘀𝗼𝗹𝘂𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗲𝘁 𝗿𝗲́𝗽𝗮𝗿𝗲𝗿 : restaurer l’enregistrement de la LADDH, RAJ, MDS ; mettre fin aux représailles, enquêter sur les allégations de torture et indemniser les victimes.
• 𝗞𝗮𝗯𝘆𝗹𝗶𝗲 : 𝗴𝗮𝗿𝗮𝗻𝘁𝗶𝗲𝘀 𝘀𝗽𝗲́𝗰𝗶𝗳𝗶𝗾𝘂𝗲𝘀 : cesser l’assimilation des revendications politiques à des actes « terroristes » ; libérer et réhabiliter les personnes poursuivies pour affiliation présumée au MAK ; permettre l’accès des mécanismes onusiens aux lieux de détention ; organiser un référendum d’autodétermination.
𝗖𝗼𝗻𝗰𝗹𝘂𝘀𝗶𝗼𝗻 — 𝗗𝗲 𝗹𝗮 « 𝘀𝗲́𝗰𝘂𝗿𝗶𝘁𝗲́ » 𝗮̀ 𝗹𝗮 𝘀𝗶𝗹𝗲𝗻𝗰𝗶𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗽𝗮𝗿 𝗹𝗲 𝗹𝗮𝘄𝗳𝗮𝗿𝗲
À la lumière des sources onusiennes et ONG, l’instrumentalisation de la justice via l’article 87 bis et des incriminations voisines produit un effet de sidération et de silenciation sur le champ civique, particulièrement en Kabylie. La sécuritisation du débat public devient une technologie de pouvoir qui, selon la grille de lecture de Lemaître, relève du lawfare : l’usage du droit comme arme pour réduire au silence les opposants au régime.
La Rédaction Journal de Kabylie
Le 22, octobre 2025