27/10/2023
Une coupe en forme de lotus blanc aux noms d'Amenhotep IV et Nefertiti
Cette ravissante coupe, œuvre d'un artiste de grand talent, est délicatement façonnée dans une roche blanche et translucide qui s'apparente à l'albâtre. "Le travertin utilisé dans l'Égypte ancienne est fréquemment décrit comme 'albâtre égyptien' ou simplement 'albâtre'. Cette terminologie, cependant, est incorrecte, car le véritable albâtre, tel que reconnu par les géologues, est composé de gypse. Le travertin est une roche sédimentaire et une variété de calcaire constitué en grande partie de calcite (carbonate de calcium) ou d'aragonite (une autre forme de carbonate de calcium)… Les carrières de travertin les plus connues sont situées à environ 18 km au sud-est d'Amarna en Moyenne-Egypte" précisent Paul T. Nicholson et Ian Shaw dans "Ancient Egyptian Materials and Technology".
Haute de 14 cm et d'un diamètre de 10,5 cm, elle est composée d'un élégant piédouche sur lequel repose le "réceptacle". Celui-ci s'épanouit généreusement en épousant la forme gracieuse d'une fleur ouverte. Ce type de motif "floral", le lotus - tout comme le papyrus -, se retrouve fréquemment dans l'art égyptien, des chapiteaux de colonnes aux objets de toilette, des bijoux à la vaisselle…
Trois espèces différentes de lotus sont habituellement répertoriées sur le sol égyptien : le lotus bleu, avec ses feuilles à bord linéaire, ses boutons effilés en pointe et ses pétales étroits et aigus, le lotus blanc qui est caractérisé par ses feuilles à bord dentelé, ses boutons arrondis, ses pétales étalés et son odeur forte, et le lotus rose des Indes, qui fut introduit en Égypte par les Perses autour de 500 av. J.-C..
La forme particulière des pétales ne laisse aucun doute : il s'agit bien là d'un lotus blanc d'Egypte, soit le Nymphœa Lotus L..
Sa représentation est beaucoup plus rare que le bleu qui est synonyme de renouveau, de renaissance, car il s'ouvre au matin, caressé par les rayons du soleil, et se ferme le soir, étant ainsi étroitement lié au cycle de la vie…
Le lotus blanc, lui, ne s'épanouit qu'au crépuscule, ce qui lui confère une toute autre symbolique. Selon certaines sources : "Le lotus blanc qui ne s'ouvre que la nuit était associé au soleil et à la lune et aux forces opposées de la lumière et de l'obscurité". Lié à la nuit, il serait, de ce fait "une fleur d'Osiris" ("The Grammar of the Lotus : A New History of Classic Ornament as a development of sun workship", William Henry Goodyear).
Cette explication fort intéressante prouve, une nouvelle fois, la symbolique dont les anciens Égyptiens "imprégnaient" chaque objet. Ainsi dans "Tutankhamun : his tomb and its treasures", I.E.S. Edwards a-t-il suggéré que les "'vaisselles' apparentées au lotus blanc étaient pour un usage quotidien alors que celles à l'image du lotus bleu étaient à des fins rituelles"…
Sur le devant, au centre du pétale "central" se trouve un rectangle dans lequel sont gravés cinq cartouches (deux grands et trois petits) ainsi que des signes hiéroglyphiques qui nous permettent d'attribuer et de dater cet artefact. "Le nom de roi (Nefer-kheperou-Rê, bien-aimé de Rê) et le nom personnel d'Amenhotep IV sont inscrits dans la partie latérale, entre deux cartouches entourant le premier titre d'Aton (à gauche) et un cartouche nommant la grande reine, Nefertiti (à droite). Ainsi, le récipient doit avoir été fabriqué avant l'an 5 du règne du roi, quand il a changé son nom en Akhenaton" précise le Metropolitan Museum of Art de New York.
Dans "Scepter of Egypt II", William C. Hayes confirme cette datation : "Le gracieux calice en albâtre a été évidemment sculpté au début du règne. Dans le panneau gravé sur son côté, nous trouvons les cartouches d'Aton donnés dans leur forme antérieure, le roi désigné dans son deuxième cartouche comme 'Amon-hotep', le Dieu, souverain de Thèbes', et le nom de la Grande Epouse Royale, Nefret-ity, écrit sans son nom atonien".
Ainsi cette coupe est-elle dédiée au couple "solaire" formé par Amenhotep IV devenu Akhenaton, androgyne au visage émacié et au ventre proéminent, et à sa reine, Nefertiti au port altier et à la beauté qui jamais ne s'altérera…
Dans "Douze reines d'Égypte", Pierre Tallet nous donne ces informations sur sa présence aux côtés du pharaon : "Nefertiti surgit brutalement dans la documentation pour être systématiquement associée à son époux, en l'an 4 du règne qui marque lui-même le début de la réforme amarnienne"…
La conception de ce récipient est donc concomitante au tout début du règne du couple royal et de la construction d'Akhetaton…"Avant même de quitter Thèbes vers l'an 6 ou 7 du règne, pour la Cité du Globe (Tell el-Amarna), Amenhotep IV change de nom et prend celui d'Akhenaton "Lumière d'Aton". Etant celle en qui se manifeste la beauté du dieu, Nefertiti elle même ajoute à son cartouche celui de Neferneferouaton" précise Christian Leblanc dans ses "Reines du Nil".
Cependant, selon William C. Hayes, ce calice ne semble pas provenir de la cité d'Aton : "On dit qu'il provient, non de Tell el Amarneh, mais d'une tombe 'ailleurs en Haute-Égypte'".
Cette précieuse indication a-t-elle été communiquée au Metropolitan par Nicholas Tano, lors de l'acquisition, en 1922, dans la capitale égyptienne ?
Ce collectionneur chypriote d'origine grecque était selon le "Who was Who" : "marchand d'antiquités égyptiennes au Caire, 53 Sh. Ibrahim Pacha, anciennement à 7 Sh. Kamel, en face du vieil hôtel Shepheard".
Cet artefact est entré au Metropolitan Museum of Art de New York sous la référence : 22.9.1.
Comment ne pas céder à la tentation de le "rapprocher" de l'élément central de la 'wishing cup' de Toutankhamon ? Bien sûr, pour ce dernier artefact, l'artiste a été plus "généreux" dans la forme et a ajouté les anses composées de trois tiges de lotus bleu : mais ne peut-on y voir une source d'inspiration, ou bien une forme plus "aboutie" provenant d'un même atelier ?
marie grillot
Illustration : Coupe portant les noms du roi Amenhotep IV et de la reine Nefertiti - travertin (albâtre égyptien) - Nouvel Empire - Période Amarnienne - XVIIIe dynastie - 1353-1336 av. J.-C. - Metropolitan Museum of Art de New York - n° d'entrée : 22.9.1 - acquis au Caire, chez Nicholas Tano, en 1922 - photo du Met
sources de l'article et illustrations complémentaires sur égyptophile
https://egyptophile.blogspot.com/2020/12/un-gobelet-en-forme-de-lotus-blanc-aux.html