
29/08/2025
| Télécoms et numérique au Tchad : Échecs répétés, espoirs brisés
Le secteur du numérique au Tchad traverse une crise profonde, reflet d’un long cycle des déconfitures et de rendez-vous manqués avec la modernité. L’opérateur historique SOTEL Tchad, jadis pilier national de la télécommunication, est aujourd’hui en faillite fonctionnelle. Il s’agit d’un cas unique dans le monde : un opérateur public de téléphonie mobile totalement à l’arrêt, incapable de fournir les services de base à la population.
Dans le même temps, les deux opérateurs privés du pays, Airtel et Moov Africa, offrent une qualité de service GSM qui frôle l’inacceptable. Pour des millions de Tchadiens, en particulier les abonnés d’Airtel, passer un simple appel sans interruption est devenu un véritable défi. Les zones blanches prolifèrent, y compris dans les grandes villes, et la couverture réseau reste dramatiquement instable. Cette défaillance structurelle entrave l’accès aux services numériques de base et freine considérablement le développement économique et social du pays.
Des milliards de francs CFA ont pourtant été investis dans des projets d’envergure censés propulser le Tchad vers une connectivité nationale souveraine : la fibre optique Kome–N’Djamena, la liaison N’Djamena–Adré, le raccordement à la dorsale transsaharienne (DTS) Niger–Tchad, ainsi que les maillages urbains dans les grandes villes. Malgré ces chantiers structurants, aucun retour sur investissement tangible n’est observable. L’Internet reste toujours aléatoire, cher et lent.
À ce diagnostic déjà accablant s’ajoute une gestion chaotique des projets numériques. On multiplie les études de faisabilité, on lance des projets avant d’achever ceux déjà engagés, on planifie sans financement garanti, on initie sans stratégie de rentabilisation. Le numérique est devenu un espace de consultations stériles, où les rapports se succèdent sans mise en œuvre.
Pire encore, dans un pays où la jeunesse constitue la majorité de la population et où le numérique pourrait être un levier majeur de création d’emplois et de croissance inclusive, aucun emploi structuré n’a été créé dans le secteur. C’est un gâchis monumental, alors même que l’économie numérique est l’un des moteurs de développement les plus puissants au monde aujourd’hui.
Ce tableau préoccupant est l’héritage d’années d’errances institutionnelles. Le ministère en charge du numérique a vu se succéder des ministres souvent issus d’autres secteurs, sans formation ni expérience spécifiques dans les technologies de l’information et de la communication. Cette rotation incessante a été aggravée par une administration centrale dominée par des cadres permanents, dont certains jouent un rôle ambigu. Ils orientent ou détournent les ministres, non pas pour le bien de la nation, mais souvent au gré de loyautés obscures ou d’intérêts personnels inavoués. Ce système fonctionne sans mécanismes de reddition de comptes. Les mêmes erreurs se reproduisent, sans conséquences, dans une inertie totale.
Dans les semaines à venir, nous publierons une série d’articles pour analyser plus en profondeur comment le ministère de l’Économie Numérique n’a pas réussi à structurer durablement le secteur, comment une élite administrative enracinée a bloqué toute réforme sincère, et comment les entités sous tutelle telles que l’ADETIC, l’ARCEP, l’ENASTIC, la SOTEL et la STPE sont traitées de manière inégale. Certaines reçoivent des financements et des appuis considérables sans produire de résultats significatifs, tandis que d’autres, pourtant essentielles, sont marginalisées, mal soutenues et privées des moyens de jouer leur rôle. Cette gestion déséquilibrée contribue à l’inefficacité globale du dispositif. Nous évoquerons également les pistes concrètes de redressement du secteur numérique.
Ce contexte a également contribué à briser l’élan d’une jeunesse pourtant prête à s’investir et à innover. Nombreux sont ceux qui ont renoncé, faute de perspectives, de soutien ou de cadre favorable. Cette situation constitue une trahison de la vision portée par les plus hautes autorités du pays, qui voyaient le Tchad comme un futur pôle numérique sous-régional.
Le Tchad a besoin, aujourd’hui plus que jamais, d’une véritable révolution numérique. Mais cette révolution ne pourra advenir sans un assainissement institutionnel profond, une gouvernance compétente, équitable et transparente, et une volonté politique ferme de sortir le secteur du numérique de la paralysie.
Dr Hassan Makine Oubei
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