14/05/2025
Burkina Faso et Russie : Revisiter la visite de Sankara en 1986 et l’alignement récent de Traoré
11 mai 2025
En 1986, le leader révolutionnaire du Burkina Faso, Thomas Sankara, s’est rendu en Union soviétique pour établir des liens diplomatiques visant à contrer l’impérialisme et à favoriser l’autonomie de son pays. Lors de sa rencontre avec le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev, Sankara a sollicité un soutien pour son programme anti-impérialiste, mettant l’accent sur la coopération économique et militaire afin de se libérer de la domination occidentale. Aujourd’hui, près de quarante ans plus t**d, le président de la transition burkinabè, Ibrahim Traoré, renforce ses liens avec la Russie sous Vladimir Poutine, faisant écho à la vision de Sankara tout en affrontant les défis géopolitiques modernes.
Lors de sa visite d’octobre 1986, Sankara s’est entretenu avec le ministre soviétique des Affaires étrangères, Andreï Gromyko, et Gorbatchev, concluant par une déclaration de coopération soviéto-burkinabè. La délégation a visité Moscou, Leningrad et Frunze, mettant l’accent sur la formation militaire et l’aide économique pour soutenir la révolution burkinabè.
Marxiste-léniniste et panafricaniste, Sankara critiquait l’impérialisme occidental et recherchait le soutien soviétique afin de réduire la dépendance vis-à-vis de l’aide française, qu’il considérait comme néocoloniale. Il prônait l’unité africaine à travers l’Organisation de l’unité africaine (OUA) pour résister à la manipulation impérialiste, avertissant que les conflits mondiaux – comme les risques nucléaires de la guerre froide évoqués au sommet de Reykjavik – menaçaient directement les petits pays comme le Burkina Faso. Cependant, les accords concrets furent limités : l’Union soviétique offrit une formation militaire modeste et du matériel, Sankara privilégiant l’indépendance et la non-alignement.
La vision de Sankara fut brutalement interrompue en 1987, lorsqu’il fut assassiné lors d’un coup d’État dirigé par Blaise Compaoré, avec un soutien occidental présumé. Compaoré renversa les politiques de Sankara, alignant le Burkina Faso sur la France et les États-Unis, accumulant une dette de 4,3 millions de roubles envers l’URSS d’ici 1989. Cette trahison freina l’élan anti-impérialiste et enferma le Burkina Faso dans des structures néocoloniales pendant des décennies.
Avançons jusqu’en 2022 : Ibrahim Traoré, capitaine de 34 ans, prend le pouvoir lors d’un coup d’État, ravivant l’héritage anti-impérialiste de Sankara. Traoré a condamné ouvertement le néocolonialisme occidental, expulsé les troupes françaises et s’est tourné vers la Russie pour un soutien militaire et économique. Lors du sommet Russie-Afrique de 2023, Traoré a rencontré Poutine, saluant le rôle historique de la Russie contre le nazisme et obtenant 25 000 tonnes de blé gratuit, des armes et des hélicoptères d’attaque. En 2023, le Burkina Faso a rouvert l’ambassade russe après 31 ans de fermeture, et la Russie a promis une centrale nucléaire ainsi qu’une sécurité personnelle pour Traoré. En 2024, les drapeaux russes flottaient à Ouagadougou, et un accord de février 2025 a permis le déploiement de 100 soldats russes pour protéger Traoré, avec 200 autres prévus, marquant un virage stratégique loin des partenariats occidentaux.
L’alignement de Traoré avec la Russie reflète la démarche de Sankara, mais avec plus de pragmatisme, dicté par des besoins urgents de sécurité face aux insurrections djihadistes. Tandis que Sankara recherchait une solidarité idéologique, Traoré privilégie les alliances pratiques, rejetant l’aide du FMI et de la Banque mondiale, et faisant passer le PIB de 18,8 à 22,1 milliards de dollars grâce à des initiatives comme une raffinerie d’or. Cependant, des critiques mettent en garde contre une dépendance excessive envers la Russie, soulignant les similitudes avec les cas de la Syrie et de la Centrafrique, et s’interrogent sur la capacité de Traoré à éviter les pièges qui ont conduit à la chute de Sankara.
Le rôle historique de l’Occident dans la déstabilisation de la souveraineté du Burkina Faso — via le coup d’État de Compaoré et l’emprise économique française — alimente le discours de libération de Traoré. Mais les défis demeurent : les attaques djihadistes continuent, et l’autosuffisance économique reste difficile à atteindre. À mesure que le Burkina Faso renforce ses liens avec la Russie, les promesses non tenues de 1986 persistent, tandis que Traoré s’efforce de concrétiser le rêve de Sankara : une nation souveraine et digne, dans un monde toujours complexe.