
08/07/2025
HOMMAGE
Le décès de Charles-André Gilis, survenu le 3 juillet dernier (7 Muharram 1447 H) à Ixelles (Belgique), a fait l’objet de nombreux messages de sympathie dont nous tenons à remercier les auteurs.
Nous pouvons témoigner que Sidi Abd ar-Razzâq Yahyâ s’en est allé dans une attitude de paix et de sérénité. Ce qui devait être accompli par lui dans le domaine doctrinal l’a été avec un succès évident, en dépit des critiques de quelques-uns et de l’hostilité générale du milieu. Il laisse aujourd’hui à l’usage de notre temps une œuvre inestimable, dont il faut appuyer la portée et la singularité.
Appelé à maintenir l’orientation doctrinale de Michel Vâlsan, dans les conditions d'une époque toujours plus contraires au courant intellectuel issu de René Guénon, Charles-André Gilis aura
magistralement récapitulé les enseignements de ses deux illustres maîtres et fixé les perspectives finales contenues dans leurs écrits. Ce travail de synthèse fut du reste assorti de la tâche plus redoutable encore de proposer une compréhension renouvelée de la forme islamique, désormais étendue à l'Occident, à partir des commentaires ésotériques du Cheikh al-Akbar Muhy-d-Dîn Ibn Arabî. Pendant près d’un demi-siècle, Sidi Abd ar-Razzâq Yahyâ s'appliqua scrupuleusement à l’exercice de cette fonction d'écrivain et de métaphysicien, exposant publiquement son nom et sa personne à la critique, endossant bien souvent le rôle ingrat de celui qui rappelle à l’ordre, assumant, à son tour, de devenir « insupportable pour beaucoup de monde » (1). La tâche n’en fut pas moins menée
jusqu’à son terme, l’œuvre progressivement constituée et achevée, invariable sur le fond, parfois inattendue dans ses développements, comme en témoignent ses remarquables pages sur l'Afrique noire et le Wagadu.
Au-delà des attaques et des négligences dont il eut à souffrir, sa vie et sa personne firent toujours partie intégrante de la science qu’il avait à transmettre. Elles étaient inséparables de l’autorité et du jugement contenus dans ses écrits. Sous le prétexte que « les individualités ne comptent pas », d’aucuns auraient voulu la voir s’effacer entièrement derrière l’enseignement doctrinal. C’était assurément compromettre la transmission de son message et se condamner soi-même à n’en rien recevoir(2). Cette fonction d’envergure n’aura pas manqué d’éveiller l’intérêt de ses lecteurs les plus fidèles pour les événements de sa vie. Un intérêt renforcé par les quelques éléments de nature biographique disséminés dans ses derniers ouvrages, suscitant une curiosité d’autant plus vive qu’ils avaient valeur de témoignage sur une époque que très peu eurent le privilège de vivre.
Il est dès à présent assuré que cette œuvre « ne passera pas » (3) malgré la disparition de son auteur. Les événements tragiques de ces dernières années mettent en évidence l’actualité toujours plus pressante des jugements rendus dans ses écrits. Sidi Abd ar-Razzâq Yahyâ continue et continuera d’exister à travers la publication de ses études, de ses traductions, de ses comptes rendus, et n’a peut-être jamais été aussi vivant dans le cœur de ses amis lecteurs.
C’est aujourd'hui animé d’un profond sentiment de reconnaissance que nous nous engageons
à poursuivre la diffusion de son œuvre et à défendre, inlassablement, ce qui apparaît désormais comme son héritage propre.
Les Éditions du Turban Noir
(1) Cf. L’Héritage doctrinal de Michel Vâlsan, chap. i.
(2) On se reportera utilement au Préambule de René Guénon 1907-1961, notamment p. 11-12, afin de mieux comprendre la part de l’individualité dans l’exercice de toute fonction traditionnelle.
(3) Cf. L’Héritage doctrinal de Michel Vâlsan, p. 135-136, et René Guénon 1907-1961, p. 10.