
16/09/2025
Excellent article d'Hervé Villeroy sur le dernier essai de Kamel Bencheikh : "Pour une insurrection des consciences. Réarmer la République"
Kamel Bencheikh est une vigie allumée dans la nuit de notre temps
Dans un monde où les mots se fanent et où les esprits se confinent dans le confort de la routine, Kamel Bencheikh nous présente un essai au souffle brulant. Pour une insurrection des consciences n’est pas un ouvrage comme les autres : c’est un cri, un poing levé contre la résignation, une lumière qui éclaire ce que beaucoup préfèrent ignorer. Ici, il ne s’agit pas de séduire, de plaire ou de rassurer : il s’agit de réveiller à tout prix. De tirer chacun de la torpeur et de la complaisance.
Le texte se déploie comme un récit de combat, où mémoire personnelle et engagement universel se répondent. Dans D’où je viens, un parcours à la croisée des mondes, l’auteur raconte son enfance et les fractures culturelles qu’il a traversées. Mais loin du récit plaintif, chaque phrase est un acte de résistance : « Car pendant que je bâtissais, pendant que je croyais à la fraternité républicaine, j’ai vu d’autres construire à l’envers. J’ai vu les ghettos de pensée remplacer les quartiers de vie. J’ai vu les injonctions identitaires étouffer les singularités. J’ai vu revenir, sous des formes plus douces, mais plus insidieuses, les chaines de l’archaïsme, les voix du rempli, les sermons qui n’éclairent rien. » Il y a dans ces mots la brûlure d’une vie vécue au bord du silence et du cri, l’empreinte d’un engagement dès le plus jeune âge.
Dans "L’ombre grandit, mais nous portons encore le feu", le ton devient intime : il évoque les fidélités conservées, les idéaux préservés, les êtres et les idées forgent une exigence. Mais l’essai prend une dimension plus percutante lorsqu’il s’aventure sur le terrain politique et médiatique.
Là où les politiques se couchent est un réquisitoire implacable : Kamel Bencheikh y dénonce la lâcheté et les compromissions des élus, ces arrangements honteux scellés dans l’ombre des bureaux municipaux. Ce silence complice est devenu un langage ordinaire, un pacte de convenance qui laisse l’obscurantisme s’installer sous le masque de la République. « Ils ont désarmé la République. Par lâcheté. Par calcul. Par confort. Je ne crois pas qu’ils tous malveillants. Je crois qu’ils sont, pour beaucoup, débordés. Incapables de connaitre l’ampleur du phénomène. Ou bien encore enfermés dans leur logiciel de communication. Dans leurs jeux d’appareils. Ils sont devenus des techniciens du consensus, alors que l’époque exige des combattants de la clarté. »
Dans "Quand les médias enjolivent ou capitulent", il met en cause une partie de la presse, fascinée par l’euphémisation et la séduction du politiquement correct, prête à masquer les dérives et à transformer le danger en spectacle coloré. Là encore, Kamel Bencheikh refuse l’aveuglement et nomme ce que beaucoup taisent. « L’information est une lumière. Et certains ont décidé, sciemment, de baisser l’intensité. Ceux-là aussi, il faudra les regarder en face. »
C’est dans "La foi en la laïcité" que Kamel Bencheikh révèle avec une acuité rare le chemin qu’il a parcouru, de sa terre natale aux rives de la Révolution de 1789. « Je suis né dans une terre de fer et de feu. J’y ai vu des hommes prier et des femmes se taire. J’y ai entendu les appels à Dieu couvrir les cris des enfants. » Ces mots frappent par leur vérité brute, par la précision des contrastes : la ferveur d’un peuple, la contrainte d’un monde où la liberté se négocie au prix du silence.
Mais, ajoute-t-il, il y a eu ailleurs l’éclat : « J’y ai connu aussi des hommes droits. Des femmes debout. Des amis qui lisaient Voltaire à la lumière des versets. » Dans ces phrases, se dessine déjà la fidélité de l’esprit, la révolte tranquille de ceux qui refusent de courber l’échine. Ce sont les lueurs qui traversent l’ombre, la résistance intime qui prépare le pas vers l’universel.
Et puis vient la rencontre avec l’universalisme, cette lumière qui éclaire l’horizon : « J’ai lu Atatürk comme on découvre un éclat de lucidité dans un cauchemar d’obscurantisme. » Là, le récit personnel devient manifeste : la soif de raison, de liberté et d’égalité se mêle à la mémoire du vécu, au poids des héritages, à la détermination de refuser que l’histoire se répète dans l’ombre.
Kamel Bencheikh fait de son parcours une leçon de vigilance et d’espérance : chaque pas vers la lumière républicaine est un choix de courage, chaque rencontre avec l’intelligence libre, une victoire sur l’oppression silencieuse. Son écriture mêle le souffle du conteur et la force du penseur ; elle fait sentir que le trajet qu’il a accompli n’est pas seulement géographique, mais moral et politique, une ascension vers l’universel.
Et dans ce cheminement, se lisent les promesses d’un engagement sans compromis : la laïcité n’est pas un dogme abstrait, elle est le socle d’une liberté concrète, vécue dans chaque décision, chaque pensée, chaque geste. Elle est l’horizon vers lequel il faut toujours tendre, même quand le monde alentour s’obscurcit. La foi en la laïcité n’est pas seulement le récit d’un parcours : c’est un appel à marcher avec lucidité et audace, à résister à l’obscurité et à éclairer la voie pour ceux qui viendront derrière.
L’essai prend toute sa puissance dans "L’islamisation par le quotidien", où il montre comment l’obscurantisme se glisse par les détails, par la routine et les habitudes. Une prière dans un hall d’immeuble ou dans la rue, une école où l’on tolère des signes de soumission, un commerce qui se conforme à la ségrégation : ces petits gestes accumulés tissent la toile d’une emprise silencieuse mais implacable.
Enfin, le livre s’élève dans un plaidoyer vibrant et non négociable : "Le droit de blasphémer est un devoir de civilisation". Kamel Bencheikh y rappelle que ce droit fondamental, arraché de haute lutte, n’est pas optionnel : il est vital pour toute société qui se veut libre. Il écrit : « Le droit de blasphémer n’est pas une insulte. Il est une conquête. Une ligne de crête arrachée de haute lutte aux dogmes, aux clergés, aux tyrannies de l’absolu. »
Pour une insurrection des consciences n’est ni un pamphlet, ni un simple témoignage : c’est un manifeste pour une République debout, exigeante et fidèle à ses principes. C’est un appel à la lucidité et à l’action, une invitation à ne jamais céder au confort du silence ou à l’ombre des compromissions. Kamel Bencheikh apparaît ici comme l’un de ces rares écrivains dont l’écriture ne se sépare jamais du courage.
Par sa plume, il redonne sens à l’exigence universelle : l’éducation, la liberté de pensée, l’égalité et la dignité humaine ne sont pas négociables. Chaque page est un souffle, un défi lancé à l’indifférence et à l’oubli, un signal d’alarme pour tous ceux qui refusent de courber l’échine face à l’obscurantisme et à la peur.
Pour une insurrection des consciences est ainsi bien plus qu’un livre : c’est un réveil de la probité, une vigie allumée dans la nuit de notre temps, un instrument pour réarmer les consciences et rappeler que la liberté exige courage, constance et lucidité. Toutes formes de sentiments qui ne manquent pas à Kamel Bencheikh.
Kamel Bencheikh, Pour une insurrection des conscience. Réarmer la République, Paris, éditions Frantz Fanon, 2025 ; 104 pages ; 10 €.