02/09/2025
Le collectif Féminicides Algérie recense plus de 315 féminicides depuis 2019, un chiffre probablement sous-estimé au regard des limites du recueil des données.
« Himayati / حمايتي » : une étape décisive dans la protection des femmes en Algérie
Longtemps réclamée par les associations et les professionnelles de terrain, la mise en ligne de la plateforme nationale « Himayati » (« Ma protection ») marque un tournant dans la lutte contre les violences faites aux femmes en Algérie. Lancée par le ministère de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Condition de la femme, elle centralise alerte, écoute, orientation et suivi des victimes, avec l’ambition d’offrir une prise en charge réellement intégrée à l’échelle du pays. 
Un guichet unique, enfin
Conçue comme la première plateforme numérique nationale dédiée à la prise en charge complète des femmes victimes de violence, Himayati permet de signaler des faits, demander conseil et entrer en relation en toute sécurité avec les services compétents (sécurité, justice, santé, services sociaux). L’outil vise explicitement l’interconnexion des institutions pour couvrir « toutes les régions et différentes circonstances », réduisant les angles morts habituels entre plainte, médical, hébergement et accompagnement juridique.  
Au-delà du volet opérationnel, la plateforme se veut aussi un espace de sensibilisation et de prévention, aligné sur les programmes publics de protection de la famille et de promotion des droits des femmes. Ce cadrage importe : il inscrit la lutte contre les violences dans une politique publique continue plutôt que dans une suite de campagnes ponctuelles.
Ce qui change concrètement
Jusqu’ici, beaucoup de parcours de victimes se fracassaient sur la dispersion des dispositifs : centres d’écoute associatifs sous-dotés, absence de coordination entre commissariats, hôpitaux, parquet et services sociaux, délais d’orientation, risques de découragement et de re-victimisation. Avec Himayati, l’État annonce une porte d’entrée numérique unique qui cartographie, documente et oriente vers le bon service au bon moment. L’objectif est d’abréger le temps entre le signalement et la protection effective, y compris en cas d’urgence.  
Cette brique s’ajoute à d’autres avancées récentes, comme le numéro vert 1026, mis en place pour offrir une écoute gratuite et immédiate aux femmes, et qui doit trouver dans Himayati un prolongement pour le suivi et l’orientation vers les services adéquats. 
Une réponse attendue face à une réalité alarmante
Le lancement intervient dans un contexte où la société civile documente une violence persistante : le collectif Algérie recense plus de 315 féminicides depuis 2019, un chiffre probablement sous-estimé au regard des limites du recueil des données. Des médias internationaux et nationaux soulignent, eux, l’ampleur du phénomène et les insuffisances historiques de la réponse institutionnelle, malgré des évolutions juridiques depuis 2015.   
Dans ce paysage, Himayati peut jouer un rôle structurant : donner de la visibilité aux violences (toutes formes confondues : physiques, sexuelles, psychologiques, économiques), faciliter la preuve (traçabilité des signalements), accélérer les mises à l’abri et standardiser des parcours qui restent trop aléatoires selon les wilayas. 
Une architecture intersectorielle à éprouver
La force et le défi de Himayati, tient à son architecture interconnectée. La plateforme n’est pas un simple site d’information : elle doit faire dialoguer sécurité, justice, santé et solidarité. Si cette promesse est tenue, l’ se dote d’un véritable système d’orientation et de suivi, capable d’éviter les ruptures de prise en charge et de soutenir les décisions judiciaires par des données consolidées. Les premiers éléments officiels insistent sur cette interconnexion et sur la couverture nationale. Reste à opérationnaliser : formation des agents, procédures communes, protocoles de partage d’informations et garanties fortes de confidentialité.
De la plateforme à la politique publique fondée sur les preuves
À moyen terme, Himayati peut devenir un outil de pilotage : indicateurs d’incidence, cartographie des risques, délais de prise en charge, taux d’ordonnances de protection, saturation des structures d’hébergement, etc. Croisés avec les données déjà disponibles (enquêtes internationales, baromètres d’attitudes sociales), ces flux permettraient d’affiner les politiques : prévention ciblée, budgets, maillage territorial, campagnes de sensibilisation plus efficaces. 
L’Algérie communique régulièrement dans les enceintes internationales sur ses efforts (éducation, formation, mécanismes juridiques). Himayati offre une preuve tangible de la transition vers des dispositifs numériques intégrés, désormais attendus dans les standards internationaux de protection. 
Ce qu’attendront les victimes (et les associations)
• Accessibilité réelle : site léger, multilingue (arabe/français, avec attention aux dialectes), options pour personnes en situation de handicap, et discrétion d’usage (navigation sécurisée, bouton de sortie rapide).
• Réactivité : délais d’accusé de réception du signalement, mise en relation rapide avec les services d’urgence, suivi des dossiers.
• Protection des données : chiffrement, minimisation, traçabilité des accès, information claire des usagères sur leurs droits.
• Articulation avec le terrain : capacité à mobiliser en quelques heures un hébergement sécurisé, un examen médico-légal, un accompagnement juridique, une ordonnance de protection lorsque nécessaire.
Ces exigences sont classiques dans les dispositifs de ce type à l’international ; leur succès se mesure à la qualité d’exécution beaucoup plus qu’à l’annonce. Les premiers communiqués officiels soulignent l’ambition et le périmètre ; la société civile sera attentive aux résultats concrets. 
Un signal politique fort, et un point de départ
L’annonce de Himayati a été largement relayée par la presse nationale (El Moudjahid, Radio Algérie, El Khabar, Le National, Africa Radio), qui reprennent les éléments clés : première plateforme nationale, signalement/écoute/orientation, coordination intersectorielle, site : himayati.dz. Cette orchestration médiatique montre que l’État entend inscrire la lutte contre les violences dans une stratégie de long terme, dotée d’outils modernes.   
Mais il faut le rappeler : un outil n’est pas une politique. Pour que Himayati devienne l’avancée majeure qu’elle promet d’être, il faudra :
1) pérenniser les budgets ;
2) former et évaluer tous les maillons (police, gendarmerie, urgences, parquet, juges, travailleurs sociaux) ;
3) sécuriser et auditer la protection des données ;
4) renforcer le cadre juridique (ex. limiter les effets de la « clause du pardon », développer les ordonnances de protection et l’éloignement des conjoints violents) ;
5) garantir des capacités d’hébergement suffisantes. Ces points sont régulièrement mis en avant par les militantes et analyses récentes. 
En bref
• / #حمايتي est la première plateforme nationale algérienne dédiée au signalement, à l’accompagnement et à la prise en charge des femmes victimes de violences, avec interconnexion sécurité–justice–santé–solidarité. 
• Elle complète des dispositifs existants comme le numéro vert 1026 et s’inscrit dans une stratégie étatique de protection familiale et de promotion des droits des femmes. 
• Son impact dépendra de l’exécution : coordination, réactivité, hébergement, confidentialité, formation, et réformes juridiques complémentaires. 
Si l’Algérie réussit ce pari, Himayati pourra devenir non seulement un bouclier numérique pour les victimes, mais aussi un levier de transformation pour tout l’écosystème de lutte contre les violences, en passant d’une logique fragmentée à une chaîne de protection cohérente et mesurable. 
L'écho d'IRDJEN - ⴰⵏⵉⵏⴰ ⴳ ⵉⵔⴵⴻⵏ