04/11/2025
Pr Nabila Talbi de Sétif livre son regard sur l’oncologie : « La chirurgie est le pilier du traitement du cancer »
Elle incarne cette nouvelle génération de chirurgiens algériens qui ont choisi la voie exigeante de la chirurgie oncologique - une discipline à la fois complexe, lourde, prenante et émotionnellement éprouvante. La professeure Nabila Talbi, chirurgienne au Centre Anti-Cancer (CAC) de Sétif, se distingue par son dévouement et sa rigueur scientifique dans un environnement où chaque geste peut sauver une vie. Dans cet établissement de référence, plus de 1.500 patients sont opérés chaque année, un chiffre qui témoigne de l’ampleur du travail accompli par les équipes médicales. Malgré un emploi du temps particulièrement chargé, la professeure Talbi a aimablement accepté de répondre aux questions de L’Est Républicain, offrant un témoignage précieux sur les défis et les avancées de la chirurgie oncologique en Algérie. Au fil d’un entretien riche et sincère, elle aborde avec clarté la place déterminante de la chirurgie dans la lutte contre le cancer, l’engagement sans relâche des professionnels de la santé, mais aussi la montée en puissance des compétences nationales capables aujourd’hui de rivaliser avec les standards internationaux. Entre passion, humanisme et sens du devoir, Nabila Talbi illustre parfaitement l’image d’une médecine algérienne moderne, ambitieuse et tournée vers l’excellence. Un échange à découvrir absolument…
Pourriez-vous nous donner un aperçu de votre parcours ainsi que de votre emploi du temps hebdomadaire au sein du CAC de Sétif ?
Je suis chirurgienne au service de chirurgie oncologique du centre de lutte contre le cancer de Sétif depuis avril 2016 et directrice des activités de santé. Mon emploi du temps hebdomadaire s’articule autour des trois piliers de la chirurgie oncologique : la clinique (visites, une consultation hebdomadaire), une activité opératoire une à deux fois par semaine, et je participe aux RCP (Réunions de Concertation Pluridisciplinaire), staff et autres réunions. J’ai aussi une activité pédagogique au sein du service et de la faculté de médecine de l’université Ferhat Abbas Sétif-1. Enfin, je suis l’interface entre la direction de l’établissement et les équipes de soins.
La chirurgie oncologique suscite-t-elle de nouvelles vocations parmi les jeunes médecins ? Comment percevez-vous l’évolution de l’intérêt pour cette spécialité exigeante ?
C'est un métier à haute responsabilité qui requiert du sang froid et une importante résistance physique et nerveuse. Il arrive que certaines opérations durent plus de douze heures. La concentration est donc de rigueur au bloc. Le chirurgien doit avoir le sens du travail en équipe. Les inconvénients sont la possible perte du patient pendant une opération, devoir annoncer la mauvaise nouvelle aux proches, les heures de travail qui sont souvent très élevées et qui épuisent et les nombreuses années d'études qu'il faut faire pour arriver à pratiquer ce métier. Être chirurgien, c'est accumuler des expériences, assimiler des anatomies diverses et savoir faire face à l'imprévu. C'est ce qui fait la beauté du métier. Mais la chirurgie ce n'est pas que la technique, c'est aussi un métier humain. Le patient confie son corps à son chirurgien.
Quel est le rôle spécifique du service de chirurgie oncologique du CAC de Sétif ? Quelles sont les pathologies cancéreuses que vous prenez le plus souvent en charge ?
La chirurgie est le pilier du traitement du cancer, elle offre souvent les meilleures chances de guérison, en particulier dans les stades précoces de la maladie. Elle a connu de profondes évolutions ces dernières années. Il existe différents types de chirurgie oncologique en fonction de l’objectif de l’intervention : chirurgie diagnostique, chirurgie curative, chirurgie de réduction tumorale, chirurgie reconstructive ou réparatrice, chirurgie palliative, chirurgie des métastases. Nous prenons en charge les cancers les plus fréquents en Algérie (cancer du sein, cancers colorectaux) mais aussi les cancers hépatobiliaire et pancréatique, les cancers gynécologiques (col utérin, endomètre et ovaires), de la thyroïde ainsi que tous les autres cancers digestifs.
Quel est le taux de réussite des interventions, et comment s’organise le suivi des patients après l’opération ?
La chirurgie oncologique tend aujourd’hui vers des approches plus ciblées, moins invasives et intégrées à des stratégies thérapeutiques multidisciplinaires. La compréhension par le chirurgien des évolutions récentes en oncologie devient essentielle pour garantir une prise en charge optimale et adaptée aux nouveaux standards de soins. En effet, la chirurgie mini invasive, la radiofréquence et la chirurgie conservatrice sont des options couramment utilisées dans le service pour assurer la meilleure option thérapeutique à nos patients qui sont suivis pendant plusieurs années après la chirurgie selon un protocole bien codifié.
Quel bilan tirez-vous de l’année 2024 et des dix premiers mois de l’année en cours en termes d’actes chirurgicaux réalisés et d’évolution du nombre de patients ?
Chaque année, nous opérons dans le service près de 1.500 patients atteints de différents cancers : digestifs, gynécologiques, endocriniens, cancers du sein, métastases hépatiques, … Ces chiffres augmentent d’année en année avec l’augmentation des nouveaux cas de cancers en Algérie. Un bilan complet des actes chirurgicaux ne se limite pas à compter les opérations. Il nécessite de prendre en compte les indicateurs de qualité et de sécurité des soins (mortalité post-opératoire, morbidité et complications, qualité carcinologique, …) mais aussi le délai de prise en charge et le taux de chirurgie par voie mini-invasive. Ce sont les indicateurs clés pour évaluer si l'acte est bien réalisé et sûr, surtout en chirurgie oncologique.
Comment s’articule au quotidien la coordination entre chirurgiens, oncologues, radiothérapeutes, anesthésistes et personnels paramédicaux au sein du centre ?
Le traitement du cancer est le résultat d’une approche multidisciplinaire : tous les spécialistes impliqués dans le diagnostic et le traitement du cancer participent au choix du meilleur traitement. Pour cela, des RCP sont organisées de manière journalière à la réception des dossiers puis hebdomadaire ou bimensuelle par organe. La bonne organisation de ces réunions de concertation pluridisciplinaire est cruciale pour définir la meilleure stratégie thérapeutique. Un des défis majeurs est de déterminer quand la chirurgie est la meilleure option pour le patient.
Disposez-vous actuellement des moyens humains, techniques et matériels nécessaires pour exercer dans de bonnes conditions ? Qu’en est-il de l’état des blocs opératoires et de la disponibilité des équipements spécialisés ?
Le service de chirurgie oncologique du CAC de Sétif dispose d’un plateau technique performant avec douze chirurgiens, paramédicaux (infirmiers, anesthésistes, psychologues, diététicienne) ainsi qu’un secrétariat. Le service est doté de quatre salles opératoires fonctionnelles avec deux colonnes de cœlioscopie, de matériels de thermo fusion, de radiofréquence et un échographe peropératoire. Il est entièrement optimisé pour garantir un parcours de soins et un accès rapide aux traitements.
Quelles sont, selon vous, les principales difficultés rencontrées par les équipes chirurgicales dans la lutte contre le cancer à Sétif ?
Les principales difficultés rencontrées dans un service de chirurgie oncologique se situent à plusieurs niveaux : La prise en charge de tumeurs requiert une haute expertise et des plateaux techniques lourds, mais il faut aussi assurer un accès rapide aux soins chirurgicaux (délai avant l'opération), qui est essentiel pour l'efficacité du traitement, sachant que les contraintes logistiques peuvent compliquer cette gestion. Enfin, les équipes soignantes sont confrontées à des situations lourdes et stressantes (cas graves, pronostics difficiles, complications, charge de travail) qui peuvent engendrer une fatigue émotionnelle et un risque de burnout.
Quels progrès récents ou projets à venir au sein du CAC de Sétif vous paraissent porteurs d’espoir pour améliorer la prise en charge chirurgicale des cancers ?
La chirurgie est un domaine en constante évolution, influencé par les avancées technologiques, les besoins de santé publique et les considérations économiques. L’exemple le plus pratique est l’avènement de la chirurgie assistée par robot. Ce type d’intervention fournit une précision accrue, permettant aux chirurgiens de travailler dans des espaces très confinés tout en minimisant les dégâts aux tissus sains, particulièrement utile en chirurgie oncologique. La chirurgie
robotique est particulièrement prometteuse.
Enfin, selon vous, quelles sont les priorités à engager pour développer la chirurgie oncologique en Algérie et la hisser au niveau des standards internationaux ?
La chirurgie oncologique en Algérie s'inscrit dans le cadre du Plan National Cancer, qui fait de la lutte contre cette maladie une priorité. Les efforts se concentrent pour poursuivre le développement des centres de lutte contre le cancer en les dotant de plateaux techniques lourds avec acquisition de technologies de pointe, en assurant la formation continue et en comblant le déficit en personnel spécialisé en cancérologie. Enfin, la priorité va à la structuration des soins pour garantir une prise en charge de qualité.
Entretien réalisé par Kamel Beniaiche