21/10/2025
Le Dernier Appel de Ma Mère
Il y a des appels qui changent une vie. Des appels qui ne durent qu’une minute, mais qui résonnent à jamais. Le dernier appel de ma mère, je le porte encore en moi comme une brûlure, douce et amère. C’était en juin 2018.
On n’était pas vraiment proches. Pas comme dans ces films où la mère et le fils se parlent chaque jour comme des amis de longue date. Moi, j’avais eu ma crise d’ado en re**rd, et entre nous, y avait parfois plus de silence que de mots. Mais depuis le décès brutal de mon grand-père – celui qui avait toujours été mon bouclier – elle était devenue plus présente, plus attentive. Elle m’appelait souvent, et moi, sans trop le montrer, j’aimais ça.
Elle vivait à plus de 300 kilomètres. Et ce jour-là, on m’a dit qu’elle allait mal. Très mal. Sa maladie avait empiré. Il fallait l’évacuer d’urgence. J’ai sauté dans un car, le cœur lourd, la peur au ventre. En route, le bus tombe en panne. Sans raison. On monte dans un autre. Nouvelle panne. Cette fois, c’est le carburant. Et là, je sens comme une force invisible qui nous re**rde, qui joue avec notre temps. Une mauvaise sensation.
Malgré tout, on y arrive. Et là, quand elle me voit, elle se redresse un peu, ses yeux s’illuminent, et elle accepte enfin qu’on parte à l’hôpital. Comme si elle m’attendait, comme si ma présence avait du poids. En chemin, la moto qui devait nous amener explose. Littéralement. On marche plus de 15 km, à bout de souffle, moi avec mes larmes que je cache tant bien que mal.
Quand je la vois allongée, si faible, je comprends. Pas intellectuellement. Je le ressens. Je ressens, dans mes os, que cette femme, ma mère, c’est tout ce que j’ai. Et que je suis en train de la perdre. Ce soir-là, je ne dors pas. Pas une minute. Quatre poches de perfusion suspendues à un fil de vie. L’odeur de cet hôpital, je la sens encore, aujourd’hui, dès que je ferme les yeux.
Elle sera transférée à Ouaga. Sur la route, elle tourne la tête vers moi, me prend la main. Sa voix tremble :
« Si je meurs aujourd’hui, je n’ai pas peur. J’ai confiance en toi. »
Ces mots m’ont broyé le cœur. Je ne voulais pas entendre ça. Je lui ai retiré la main, comme un gamin qui refuse la réalité. Je savais ce qu’elle me disait, mais je ne voulais pas l’accepter. Quelques jours plus t**d, elle veut me parler seule à seule. Je fuis. Je prétexte une sortie, je pars en douce. J’avais peur qu’elle me dise adieu.
Deux jours après, elle est dans le coma.
À l’hôpital, je fais le fort. Je rentre dans sa chambre, je souris. Je ressors, je vais m’isoler pour pleurer. Chaque jour, la même scène. Je serre les dents, je fais l’homme. Mais je suis un gosse perdu. Je dors à peine. Je me lève la nuit, je vais la voir en cachette. Je prie, je supplie, je fais des promesses à Dieu.
Puis, un jour, je passe lui faire un coucou avant d’aller en cours. Elle me fait un clin d’œil. Ou peut-être que j’ai imaginé. Je ne sais plus.
Quelques heures plus t**d, le mari de ma tante m’appelle. Il veut me parler. J’ai su tout de suite.
« C’est bon, j’ai compris. Elle est partie. »
J’ai raccroché.
Le chemin jusqu’à la maison, je ne m’en souviens presque pas. J’étais sur ma moto, en pilote automatique. Mes pensées dans le vide, ma gorge nouée. Des sueurs froides, des remords, des regrets à n’en plus finir.
Je suis allé voir son corps. J’ai pleuré comme jamais. Devant tout le monde. Et je m’en fichais. À l’enterrement, j’étais seul dans ma tête, même entouré. Depuis ce jour, je relis nos anciens messages. Parfois, je l’imagine encore me parler. Elle était croyante. Elle avait une foi profonde en la Vierge Marie. Alors je prie pour elle. Pour que Dieu l’accueille, et qu’elle veille sur nous.