02/02/2025
« Giovanni Falcone », de Roberto Saviano : Saviano, Falcone, même combat contre le crime organisé italien
L’écrivain, qui dénonce le crime organisé italien depuis vingt ans, livre son roman-enquête sur l’assassinat du juge antimafia, en 1992.
Par Florence Noiville
Publié aujourd’hui à 14h00, modifié à 15h02
« Giovanni Falcone » (Solo è’ il coraggio), de Roberto Saviano, traduit de l’italien par Laura Brignon, Gallimard, « Du monde entier », 608 p., 25 €, numérique 18 €.
Il avait fallu au moins ça : un artificier du calibre de Pietro Rampulla. Mafieux de père en fils et ex-militant du groupe armé d’extrême droite Ordine Nuovo, Rampulla était non seulement « le meilleur » dans son domaine, mais il s’était procuré de la dynamite (pas moins de 200 kilos) grâce à l’ami d’un autre mafioso qui travaillait dans une carrière.
Il avait fallu ensuite creuser un tunnel sous l’autoroute à l’endroit où passerait, avec son escorte, la Fiat Croma blindée blanche qui transporterait « la viande ». Et pousser les explosifs à l’intérieur en les roulant sur un skateboard. C’est là que tout avait failli capoter. D’abord parce qu’une voiture de carabiniers s’était bizarrement arrêtée à proximité. Ensuite, parce que l’un des membres du commando avait posé une journée de congé pour assister à la communion de son fils.
Pour finir, Cosa Nostra et son chef Toto Riina eurent la peau du juge Falcone. Le 23 mai 1992, « à 17 h 56 et 48 secondes, un trou semblable à un cratère lunaire se creus[a] sur l’autoroute Palerme-Mazara Del Vallo. L’observatoire géophysique du mont Cammarata, à plus de cent kilomètres de là, enregistr[a] l’explosion ». Tout le monde crut à une éruption volcanique. Sauf Giovanni Falcone et la magistrate Francesca Morvillo. Projetés en l’air par une « tempête de feu et d’éclats acérés », ils terminèrent ensevelis sous la terre dans leur « cercueil de métal blanc ».
Après ses plongées dans l’empire de la Camorra ou l’économie de la cocaïne (Gomorra et Extra pure, Gallimard, 2007 et 2014), Roberto Saviano reconstitue en 600 pages les étapes qui ont mené à l’assassinat du juge Giovanni Falcone (1939-1992), ennemi numéro un de la Mafia sicilienne. La forme est celle des romans-enquêtes dont il a le secret : un luxe de détails et de noms (parfois un peu trop pour un lecteur français) provenant d’investigations et de compilations minutieuses, allié à un respect scrupuleux de ce que l’on ne saura jamais.
Proche de son sujet
« Quand, à l’aide de mon imagination, j’ai relié des faits, comblé des vides, reconstitué des dialogues, explique l’auteur dans une note liminaire, je n’ai jamais procédé de façon arbitraire, mais toujours en me fondant sur des témoignages historiographiques ou des indices concrets. » De même, lorsque plusieurs hypothèses sont possibles (par exemple à propos du repenti Tommaso Buscetta ou du maxi-procès de Palerme en 1986), l’auteur choisit la plus plausible mais mentionne les autres en fin d’ouvrage.
Si la méthode Saviano fait ici merveille, c’est parce qu’on sent combien, plus que jamais, l’écrivain est proche de son sujet. Dans le verbe italien ricordare, « se souvenir », il y a la racine latine « cor », note-t-il. Aussi « tout acte de mémoire est-il un retour au cœur ». Derrière la rigueur de la quête, il y a, dans les plis de ses mots, une compassion discrète, un signe d’amour adressé par un courageux solitaire à un autre courageux solitaire (Solo è’ il coraggio, « seul est le courage », est le titre original du livre).
Les deux hommes sont hantés par le fait que « le sang versé ne sèche jamais ». Saviano compare Falcone à un écrivain assis à son bureau couvert de documents et de photocopies de chèques. « C’est son roman, il y travaille même la nuit. Un roman dépourvu d’éléments fictifs. » Leur tâche à tous deux : raconter cette histoire pour que tout le monde la connaisse. Arriver debout à la dernière ligne, y mettre un point final. A moins que Rampulla ne rôde. Ou qu’il ne soit déjà trop t**d.