15/09/2025
[Nouveau] 🟥 𝐋’𝐚𝐧𝐭𝐢𝐜𝐚𝐩𝐢𝐭𝐚𝐥𝐢𝐬𝐦𝐞, 𝐝𝐮 𝐟𝐨𝐮𝐫𝐫𝐞-𝐭𝐨𝐮𝐭 𝐚𝐮 𝐛𝐨𝐮𝐥𝐞𝐯𝐞𝐫𝐬𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭, par Floréal Roméro (Atelier d'Ecologie sociale et Communalisme) : https://www.palim-psao.fr/2025/09/l-anticapitalisme-du-fourre-tout-au-bouleversement-par-floreal-romero.html
L’anticapitalisme est devenu une étiquette-valise, creuse ou fourre-tout, revendiquée sur le vecteur de la Politique politicienne de l’extrême gauche à l’extrême droite, mais aussi par tout un secteur syndicaliste. Ne s’en revendiquent pas moins les écologistes, les anti-industriels, les décroissants et autres mouvances « alternatives ».
Mais à gratter un peu ces anticapitalismes, sous des vernis différents nous ne pourrons qu’en conclure que nous avons plutôt à faire à des « altercapitalismes ». A commencer par une gauche pseudo-critique jonglant tour à tour avec les concepts d’anticapitalisme et d’antilibéralisme. Un soit-disant antilibéralisme d’autant plus hypocrite et contradictoire qu’il se dira parfois critique du capitalisme « tout court ». Cet « anticapitalisme tronqué » est le fruit meurtri offert par des intellectuels de la « Gauche du Capital », ces « économistes atterrés ». Partisans de Harvey, « friotistes » ou « pikettistes », ces régulationnistes à la sauce keynésienne, s’acquittent de leurs promesses émancipatrices en vilipendant le méchant « capital financier », oubliant Marx lui-même : « le mouvement du capital n’a ni fin ni mesure ». Condamnant ce « parasite » – les banques, la finance et les paradis fiscaux – tout en défendant le « bon capital » productif d’une économie soit disant réelle, pourvoyeuse d’emplois et de salaires pour les « honnêtes travailleurs ». Du déjà vu que cette configuration du « bon capitalisme » des Trente Glorieuses pour échapper au mauvais « capitalisme de casino ». Mais également du déjà vu que cette mise au pilori imaginaire de la financiarisation et du marché, à l’extrême opposé du spectre politique, comme lorsque Hi**er pointait le « capital rapace » pour mieux naturaliser le capitalisme.
Dès lors, l’économie politique se mue en protectionnisme national ou global, affirmant que cette politique économique interventionniste vise à protéger et favoriser les producteurs et travailleurs nationaux face à la concurrence étrangère. Avant-même son application matérielle, déjà elle trahit idéologiquement, puisqu’elle tend à nous faire croire qu’un capitalisme « durable », ou « à visage humain » est possible. Cet « anticapitalisme tronqué » traverse tout autant la nébuleuse social-démocrate mélenchoniste, celle de Syriza, de Podemos que la frange gauchiste de l’UCL, du NPA, de LO et de Révolution Permanente. Qu’elle en appelle à l’insurrection du peuple pour atteindre le « point L » (Lénine ou Lordon) ou le vote pour LFI, cette stratégie vise le pouvoir étatique pour opérer « une redéfinition globale du marché en direction de l’État social » ? On atteint là la quadrature du cercle car il ne saurait y avoir d’économie contre l’Économie, pas plus que de politique étatique contre l’État même en l’enjolivant de social.
Dès lors, on se demande bien comment pourraient être remises en cause, en tant que telles, les formes sociales intrinsèquement capitalistes que sont, le travail, la valeur, l’argent, la marchandise, le patriarcat modernisé à la sauce « valeur dissociation », la forme juridique du droit, – protégeant la propriété privées des moyens de production, entre autres – l’oxymore d’une démocratie représentative, l’État couronnant le tout. Un synthèse sociale qui somme toute, n’a que cinq siècles d’existence.
Du côté des luttes, malgré un dévouement militant souvent acharné, le résultat d’un manque d’analyse radical, finit par produire un effet contraire à celui escompté, allant jusqu’à réclamer une reconnaissance institutionnelle, voire des subventions étatiques. Ainsi celles des travailleurs tout comme celles des communautés racisées, de genre et de sexualité réclamant une répartition plus égalitaire des fruits de la richesse. Elles finissent par s’épuiser « à l’intérieur d’un cadre juridique garantissant le jeu de la concurrence, c’est-à-dire une inclusion dans le marché consubstantielle à une exclusion structurelle » (Sandrine Aumercier).
Devant ce mur, les alternatives pensant l’abolition de l’argent par des circuits de trocs, finissent également par se heurter à une socialisation à une échelle plus générale. Initiatives souvent intéressantes dans leurs variantes pédagogiques autogestionnaires mais qui, faute de viser les catégories essentielles de l’Économie dans un large mouvement émancipateur, peuvent jusqu’à se présenter à l’occasion, comme alternative à la seule sphère de circulation capitaliste quand celle-ci s’effondre comme en Argentine dans les années 2000. Il en va de même pour les monnaies locales, les Scoops, les entreprises expropriées et autogérées par le contrôle ouvrier, des SELS, les circuit courts, l’économie relocalisée, la simplicité volontaire, les Amaps, etc., qui par ce manque de projet commun émancipateur finissent par tomber chacune dans une espèce de phénomène identitaire inoffensif. Aussi sous l’emprise de l’Économie garantie par l’État, il ne peut en résulter que des protestations domptées, des résistances soumises, des réactions subordonnées aux fétiches tutélaires qu’elles prétendent contester.
Ernst Schmitter nous le rappelle lucidement :
« Ce que nous appelons « économie » n’est pas un domaine de la vie sociale parmi d’autres, mais un mode de destruction du monde qui s’est imposé comme totalité. L’économie capitaliste ne peut pas être corrigée ou rééquilibrée : elle doit être dépassée dans ses fondements mêmes. Le problème n’est pas la mauvaise gestion de l’économie, mais le fait qu’il y ait économie comme sphère autonome, abstraite, séparée de la vie réelle. »
Murray Bookchin insistait aussi sur cette critique essentielle permettant de nous situer au-delà de la simple critique:
« Il ne suffit pas de critiquer les effets du capitalisme, il faut démanteler les institutions et les relations sociales qui le rendent possible. La critique radicale n’est pas seulement morale ou conjoncturelle ; elle est structurelle, historique, politique. Elle nous invite à déconstruire les catégories sociales héritées du capitalisme pour en faire émerger d’autres, fondées sur la coopération, l’autonomie, la solidarité, l’éthique. »
Faute de pouvoir imaginer et pratiquer une forme de vie sociale inédite par-delà ce monde, sans un mouvement révolutionnaire fondé sur la « rupture catégorielle et ontologique » et le basculement pratique vers une autre forme de synthèse sociale, c’est-à-dire une révolution comme sortie de l’humanité de l’Économie en tant que telle, les insurrections et alternatives vides de contenu, butteront sur les contraintes imposées par la forme de vie capitaliste dont on ne sort toujours pas. Notre lutte contre le Capital, outre la résistance, se doit d´aborder tous les aspects de notre existence et de porter en son sein une autre forme de vie sociale. Soit une négation comme création clairement déterminée.
C’est dans cette direction que s’oriente la perspective communaliste : dépasser l’anticapitalisme incantatoire ou aménageable pour construire une rupture concrète, à travers la démocratie directe. Le politique visant alors la réappropriation communale et l’organisation collective des moyens de vie, une relocalisation éthique des activités productives à échelle humaine en vue de pourvoir aux besoins de toutes et de tous sans exception – minimum irréductible et égalité des inégaux – hors de la sphère marchande. Non pas une utopie hors-sol, mais un processus de reconstruction sociale ancré dans le présent, appuyé sur des agirs et des institutions populaires capables de préfigurer une société post-capitaliste, émancipée et en relation étroite, mutuellement enrichissante avec son milieu naturel.
Floréal Roméro, 12 septembre 2025
Origine : le site à suivre de l'Atelier d'Ecologie Sociale et Communaliste https://ecologiesocialeetcommunalisme.org/