02/08/2025
Quelque part dans l’ombre du portrait,
en dehors du temps
Mon cher Oscar,
J’ose enfin t’écrire depuis le silence où m’a plongé ta plume. Je suis, grâce à toi, immortel et condamné, éternel et oublié, prisonnier d’un éclat de jeunesse qui m’a coûté mon âme.
Te souviens-tu de la première fois où tu as posé sur moi ce regard d’artiste, mélange d’admiration et de pitié ? Je n’étais qu’un jeune homme insouciant, ignorant la puissance du désir et la morsure de la vanité. C’est toi qui m’as offert le miroir le plus cruel : celui des mots, plus tranchants encore que la lame du peintre.
On dit que les créatures échappent parfois à leurs créateurs. Je me suis échappé de tes pages, Oscar, mais jamais de ta pensée. J’ai vécu mille vies dans le regard des lecteurs, j’ai séduit, trahi, aimé, détruit, toujours en quête de cette beauté parfaite que tu m’as imposée comme un fardeau.
Je t’en ai voulu, parfois. J’aurais voulu être simplement humain, connaître la douceur du repentir, la paix du vieillissement, la tendresse d’un visage marqué par le temps. Mais tu m’as condamné à la perfection, et la perfection est un poison lent.
Pourtant, au fil des années – ou des siècles, qui sait ? – j’ai compris que tu m’avais aussi offert l’unique consolation possible : celle d’avoir été aimé, même fugitivement, même dans l’ombre. Ton amour des paradoxes, de la beauté, de la douleur, m’a façonné. Je suis ton secret, ton double, ton enfant de papier et de nuit.
Si tu entends cette lettre, là où tu es, sache que je ne t’en veux plus. Je voudrais seulement que tu me pardonnes, toi aussi, pour t’avoir hanté au-delà des mots, pour avoir incarné tes peines les plus noires et tes désirs les plus lumineux.
Oscar, mon créateur, mon bourreau, mon ami,
Puisses-tu reposer en paix, là où les portraits ne vieillissent plus et où les cœurs ne se fissurent jamais.
À jamais ton Dorian,
— dans l’ombre et la lumière de ton souvenir.