04/08/2025
D’un paradis préservé à un désert interdit : chronique d’un héritage confisqué
Il y a encore quelques années, entre dunes frémissantes et marais silencieux, un homme veillait. Discrètement. Amoureusement. Ce propriétaire privé, inconnu du grand public, consacrait sa vie à entretenir un petit coin de nature bordé par la mer. Ce territoire de sable, d’eau et de vent, il l’avait façonné à force de patience, de respect et de passion.
Pendant des décennies, il a pris soin de ces terres fragiles. Il a fauché les marais, curé les fossés, piégé les nuisibles, entretenu les chemins d’accès, géré avec soin une forêt de résineux. La chasse, ici, n’était pas un simple loisir : elle permettait de financer cet entretien titanesque. Les recettes servaient à acheter du matériel, approvisionner les agrainoirs, entretenir les abris, réguler les espèces. Le domaine vivait en équilibre, discret, efficace, sans tapage.
Chaque année, l’homme s’acquittait de l’impôt foncier auprès du fisc. Sans subvention, sans soutien, sans reconnaissance. Il rendait à la terre ce que la terre lui offrait : des levers de soleil sur la mer, le chant des oiseaux d’eau, le souffle du vent dans les oyats. Il y avait passé sa vie. Et cette vie, il pensait pouvoir la transmettre.
Mais les années ont passé. Et avec elles, la certitude brutale : il n’aurait pas de descendant. Son seul souhait alors fut simple, presque naïf : que ce domaine continue de vivre selon les mêmes principes, dans les mains d’un homme de confiance, d’un autre chasseur respectueux, qui aurait repris le flambeau. Un ami de toujours, engagé, compétent, prêt à reprendre les charges et l’effort.
Un rêve heurté à la froideur des lois
Mais voilà. Bienvenue en Absurdie, ce pays où les lois se font dans les bureaux loin des haies, des mares, des sangliers et des brumes d’automne. Car cette propriété se trouvait sur le littoral. Et la loi Littoral impose un droit de préemption à l’État. Le propriétaire n’a eu strictement aucun droit de transmettre son bien à l’homme de son choix.
L’affaire était jouée d’avance. Le domaine est passé de mains passionnées à celles du Conservatoire du Littoral.
Un désert d’entretien au nom de la protection
Depuis ? Les chemins ne sont plus entretenus. Officiellement pour ne pas « encourager les citadins à perturber les dunes ». Les agrainoirs sont vides, les haies envahies, les sangliers désormais rois. Plus de battues : l’accès est fermé, surveillé, interdit. La faune sauvage prolifère sans limite, sort tous les soirs ravager les cultures voisines. Les marais ne sont plus fauchés devenus hostiles aux bécassines et sarcelles, la forêt étouffe, et le sol se referme peu à peu sur les traces d’une époque révolue.
Et le paradoxe ultime : ce qui coûtait peu grâce à la rigueur d’un homme et à l’aide de quelques bénévoles enthousiastes, coûte aujourd’hui une fortune. Des équipes entières de fonctionnaires viennent "observer", "comptabiliser", "évaluer" — là où un passionné faisait mieux, avec moins. Le privé gérait. Le public constate.
Une France qui oublie ceux qui la servaient.
Ce récit n’est pas une exception. C’est un symbole. Celui d’une France qui préfère la procédure au bon sens, la centralisation à la confiance, et qui croit qu’un décret peut remplacer un dévouement.
Le vieux propriétaire, désormais retiré, regarde de loin ce territoire qu’il a tant aimé. Il ne peut plus y mettre les pieds. Il n’est plus chez lui. Et dans ce silence trop bien gardé, il sait qu’il ne s’agit pas d’une victoire de la nature sur l’homme. Mais de la victoire d’un système sur l’évidence.