22/09/2025
CANCER ET SEXUALITÉ: ENTRE ÉROS ET THANATOS
Une sexualité possible malgré l’épreuve
Chacun a droit à une vie intime épanouie. Le cancer, ses traitements et leurs séquelles viennent parfois bouleverser cette dimension essentielle. Surmonter la peur, la douleur et les atteintes au corps pour retrouver une sexualité satisfaisante n’est pas simple. Mais aujourd’hui, la médecine et l’accompagnement psychosexuel offrent des perspectives réelles : survivre ne suffit pas, il faut aussi pouvoir revivre.
Quand la maladie s’invite dans l’intimité
Toute personne atteinte d’un cancer peut voir sa sexualité modifiée, parfois réduite au silence. Certains cancers touchent directement les organes de la sexualité (sein, col, ovaires, prostate, testicules…), d’autres exercent un effet indirect via les traitements. On estime encore aujourd’hui que 70 à 80 % des personnes traitées pour un cancer présentent des difficultés sexuelles persistantes.
Les témoignages rappellent la brutalité de cette expérience :
« Comment le croire quand il me dit que je suis belle, sans mes seins, sans mes cheveux ? Comment désirer quand mon corps est le siège de la douleur ? » (Anne-Laure)
L’image corporelle, la confiance en soi et la vitalité psychique conditionnent largement le désir et le plaisir. Or, dans le contexte du cancer, le corps devient souvent synonyme de perte, de douleur ou de menace.
Les retentissements possibles
• Physiques : douleurs, sécheresse vaginale, troubles érectiles, fatigue, infertilité, ménopause ou andropause précoces.
• Psychologiques : anxiété, dépression, peur de la récidive, perte de désir.
• Relationnels : sentiment de culpabilité, crainte de ne plus plaire, difficulté à communiquer.
Ces troubles varient d’une personne à l’autre. Certains sont transitoires, d’autres durables. La bonne nouvelle est que, malgré ces obstacles, une sexualité adaptée et gratifiante reste possible.
Les voix des patients
Murielle (55 ans) raconte :
« La chute des cheveux fut pour moi plus dure que la maladie. Pourtant, grâce à mon mari, qui me répétait qu’il me voyait autrement, j’ai pu apprivoiser mon corps, même avec mes cicatrices. Nous avons parlé, beaucoup. C’est la communication qui nous a sauvés. »
Josette (45 ans) témoigne :
« L’ablation de mon sein fut un choc terrible. La ménopause brutale, la fatigue, l’absence de désir… Je me suis éloignée de mon compagnon, incapable de supporter son regard. Cinq ans plus t**d, j’ai retrouvé mes cheveux, ma libido et une nouvelle sexualité. Rien n’a été facile, mais on peut renaître. »
Carl (47 ans), traité pour un cancer de la prostate, partage son inquiétude :
« Ce qui m’ennuie le plus, c’est la perte d’érection. J’ai peur que cette ‘impuissance passagère’ change notre couple. Mais l’amour de mon épouse m’aide à traverser cette épreuve. »
Les femmes face aux séquelles
La mastectomie ou l’ablation d’organes génitaux constituent une mutilation vécue comme une rupture de féminité. Les cicatrices, la perte de sensibilité ou la ménopause induite par les traitements entraînent souvent sécheresse vaginale, douleurs, baisse du désir. Les lubrifiants, la rééducation, et surtout la communication avec le partenaire et l’équipe soignante, peuvent aider.
Les hommes concernés aussi
Après chirurgie ou radiothérapie de la prostate, 60 à 90 % des hommes présentent une dysfonction érectile. De nouveaux traitements (inhibiteurs de PDE-5 (Vi**ra, Cialis etc…, injections intracaverneuses (Edex), rééducation pénienne précoce) améliorent le pronostic sexuel. Des troubles d’éjaculation (anéjaculation, éjaculation rétrograde) ou d’infertilité sont aussi fréquents.
Marcel (36 ans), opéré d’un cancer du testicule, confie :
« Depuis l’ablation, j’ai des orgasmes sans éjaculer. Ma compagne le vit comme une absence de fertilité et cela pèse sur nous. Pour elle, l’éjaculation est une preuve d’amour… Je me sens diminué. »
Inventer une nouvelle intimité
Le cancer agit parfois comme un révélateur de vulnérabilités au sein du couple. La douleur, la fatigue ou la peur du rejet peuvent briser l’élan érotique. Pourtant, de nombreux couples témoignent qu’ils ont su inventer de nouvelles manières d’aimer : caresses, jeux, tendresse, sensualité sans pénétration.
« Depuis que je suis malade, il ne m’ose plus me toucher… Mon cancer le paralyse et ma peur lui fait peur. »
Retrouver une vie sexuelle satisfaisante demande souvent de redéfinir ce que signifie « faire l’amour » et de s’autoriser à explorer de nouvelles formes d’intimité.
Ce qu’il faut retenir
• Le cancer n’est ni contagieux ni transmissible par la sexualité.
• Les traitements ne mettent pas en danger le partenaire.
• Les rapports sexuels n’augmentent pas le risque de récidive.
• La reprise de l’activité sexuelle doit se faire progressivement, selon l’avis médical.
Vers une sexualité réinventée
Le cancer ne signe pas la fin de la vie intime. Il impose une réadaptation, parfois douloureuse, mais qui peut aussi ouvrir à une sexualité plus authentique, centrée sur l’échange et le plaisir partagé. Le rôle des soignants est crucial : lever les tabous, répondre aux questions, orienter vers des prises en charge sexologiques médicales, chirurgicales et psychothérapeutiques adaptées.
Parce qu’après avoir traversé la maladie, chacun mérite de retrouver non seulement la vie, mais aussi l’amour et le plaisir.
Dr Patrice Cudicio, Jasmine Saunier sexologue, hypnothérapeute