01/12/2025
AMOUR OU ATTACHEMENT TOXIQUE ?
Quand aimer, c’est commencer à s’oublier
Sophie, 38 ans, regarde les séances de cinéma sur son téléphone. Elle aimerait proposer une sortie à Rodrigue… mais elle sait déjà qu’il déteste ça. Avec son planning imprévisible, ce sera encore impossible. Alors elle renonce. Comme souvent.
Elle préfère être disponible, au cas où il aurait un moment. Elle l’attend. Elle s’inquiète. Elle espère. Elle s’oublie.
Sophie “donne tout”. Et tant p*s si elle souffre : mieux vaut patienter que risquer de perdre.
Mais est-ce encore de l’amour quand on se sent vivre à moitié ?
L’amour doit-il faire mal ?
Dans la littérature, les films et les chansons, la passion dévorante est reine.
Si l’amour n’est pas intense, fusionnel, “fou”… est-il encore de l’amour ?
Nous avons grandi avec des métaphores spectaculaires :
“tomber amoureux”, “mourir d’amour”, “brûler de désir”, “être submergé d’émotion”…
L’amour y ressemble à une tempête qui emporte tout sur son passage. Et l’être aimé devient alors le centre de gravité de notre vie.
Benjamin, 29 ans, vit exactement cela avec Émilie. Quand elle s’absente :
Il dort mal, mange peu, vérifie sans cesse son téléphone, redoute qu’elle s’éloigne, qu’elle l’oublie.
Son humeur dépend de ses messages. Sa vie intérieure aussi.
Ce qu’il ressent est intense.
Mais est-ce de l’amour… ou une forme d’attachement anxieux ?
L’amour est-il une drogue comme les autres ?
Quand on parle de “dépendance”, on pense spontanément aux drogues, à l’alcool, aux jeux, au sport, aux écrans… et désormais à l’amour.
Mais faut-il vraiment mettre l’amour dans la même catégorie qu’une addiction ?
Pas tout à fait.
Cependant, l’amour active effectivement les mêmes circuits cérébraux que certaines substances addictives :
circuit de la récompense, anticipation du plaisir, recherche compulsive, malaise du manque.
On peut donc ressentir une forme de manque émotionnel ou physique en l’absence de l’être aimé.
La dépendance amoureuse n’est pas une question de quantité d’amour…
mais de perte de liberté intérieure.
On commence à vivre en fonction de l’autre :
• ses horaires,
• ses humeurs,
• ses désirs,
• ses silences.
Et l’on finit par n’exister qu’à travers lui.
La chimie de l’amour (version moderne)
L’état amoureux n’est pas qu’un phénomène psychologique : c’est aussi une véritable tempête biologique.
• Dopamine
Hormone du désir, de la motivation et de la récompense.
Elle donne l’euphorie, l’énergie, la focalisation excessive sur l’autre.
• Noradrénaline
Responsable de l’excitation et de l’hypervigilance : cœur qui bat, pensées incessantes, impatience, nervosité.
• Phényléthylamine (PEA)
Substance naturellement produite qui agit comme un stimulant :
diminution du sommeil, perte d’appétit, sentiment de toute-puissance affective.
En bref : l’amour naissant ressemble neurologiquement à un état de “shoot”.
On plane. On idéalise. On veut recommencer.
Puis, avec le temps, d’autres molécules prennent le relais :
• Ocytocine
Hormone du lien, de la tendresse, de la sécurité affective.
• Endorphines
Produites lors des moments intimes, du plaisir et de la détente.
On passe alors de la passion brûlante… à l’attachement profond.
De l’ivresse à la présence.
Accro à l’amour… ou à quelque chose d’autre ?
Benjamin désire Émilie plus que tout. Il ne voit plus personne d’autre.
Il se sent dépendant… mais ne sait pas de quoi exactement :
du sexe ?
de la tendresse ?
de la reconnaissance ?
de la peur d’être quitté ?
Souvent, la dépendance amoureuse n’est pas une addiction à l’autre…
mais une tentative inconsciente de réparer quelque chose en soi.
Ce que l’on appelle “amour excessif” est parfois :
• une terreur de la solitude,
• un besoin irrépressible de réassurance,
• une quête de valeur personnelle à travers le regard de l’autre.
Quand l’amour sert à calmer nos peurs
Rodrigue part une semaine en formation.
Sophie ne dort plus. Elle imagine les pires scénarios. Elle attend ses appels comme une bouée.
L’amour devient alors un calmant émotionnel :
un anxiolytique affectif.
On attend de l’autre :
• qu’il rassure nos blessures anciennes,
• qu’il colmate nos insécurités,
• qu’il nous donne une identité.
Mais aucun amour ne peut porter ce poids indéfiniment.
La relation se déséquilibre.
L’un respire à peine.
L’autre étouffe.
Sommes-nous programmés pour la dépendance ?
Nos premières relations affectives — avec nos parents, nos éducateurs — laissent une empreinte durable.
La psychologie moderne parle de styles d’attachement :
• sécurisant,
• anxieux,
• évitant,
• désorganisé.
Ce que nous avons appris enfants :
• à demander de l’amour,
• à le mériter,
• à le craindre,
• à le refuser…
…nous le rejouons souvent en couple.
La dépendance amoureuse n’est pas un défaut moral.
C’est souvent une fragilité affective non reconnue.
Peut-on aimer sans se perdre ?
Oui. Mais cela s’apprend.
Aimer sans dépendre, c’est :
• rester soi en étant deux,
• désirer sans s’effacer,
• s’attacher sans se dissoudre.
La dépendance commence là où l’autonomie émotionnelle s’arrête.
Un couple ne guérit pas une enfance.
Il révèle ses cicatrices.
Quand l’amour devient souffrance permanente, peur constante ou abandon de soi…
il est temps de demander de l’aide.
Non pas pour aimer moins.
Mais pour aimer mieux.
L’amour n’est pas une maladie
Il engage le corps, le cerveau, l’histoire personnelle, l’inconscient, les émotions.
Il fait parfois trébucher… mais il n’est pas une pathologie.
Il devient dangereux seulement quand on le confond avec :
• la peur de perdre,
• la peur de manquer,
• la peur de ne pas être aimé.
Aimer, ce n’est pas s’accrocher.
C’est rencontrer l’autre… sans se quitter soi-même.
Dr Patrice Cudicio, Mme Jasmine Saunier sexologue, hypnothérapeute, Paris