10/10/2025
Dans les entrailles de “Branche Palestine” : plongée dans une prison symbole de la répression en Syrie
Cachée dans la périphérie de Damas, derrière d’imposants murs sanitaires, la “branche Palestine” — ou “branche 235” — demeure un nom hanté, un symbole de peur pour des milliers de Syriennes et Syriens. Autrefois dirigée par les services de renseignement sous Hafez puis Bachar al-Assad, cette prison est aujourd’hui un vestige silencieux d’un système qui a institutionnalisé la torture et l’humiliation.
Un lieu verrouillé, gardé et vidé
Depuis la chute du régime, le 8 décembre 2024, des soldats de la nouvelle mouvance transitionnelle contrôlent l’accès à ce complexe lugubre. La visite y est strictement encadrée : seuls les sous-sols sont accessibles au public curieux ou aux témoins, à condition d’obtenir la double autorisation des ministères de l’Intérieur et de l’Information. Les slogans à la gloire d’Assad — « Al‑Assad pour toujours », « Le martyre est le chemin de la victoire » — sont encore visibles, gravés sur les murs de la cour centrale.
Des vestiges matériels jonchent les lieux : lits, meubles, uniformes, objets personnels — tout un bric-à-brac laissé dans la hâte du retrait du régime. Un bâtiment de sept étages domine le site, mais c’est sous terre que se concentrent les véritables cicatrices.
Sous-sols d’horreur : descentes et témoignages
Dès l’entrée souterraine, l’obscurité s’impose. Des escaliers — que l’ex-détenue Asma appelle les « 126 marches » — conduisent dans un labyrinthe de cellules dont les murs sont noircis par l’humidité ou les traces de flammes.
Les cellules d’isolement s’enchaînent : minuscules espaces de deux mètres carrés, portes numérotées en métal, ouvertures réduites. Sur ces parois, des inscriptions manuscrites : prières, noms, chiffres que des détenus gravaient pour ne pas disparaître dans l’oubli.
Dans les dortoirs collectifs adjacents, femmes et hommes étaient entassés. Les conditions sanitaires y étaient effroyables : pénurie d’eau, promiscuité, vermine, et privations extrêmes. Des objets abandonnés témoignent d’abus sexuels et de fouilles humiliantes : sous-vêtements, instruments gynécologiques, boîtes de médicaments, vêtements d’enfants.
Certaines détenues racontent comment on les privait de leurs vêtements — hijabs, robes — les laissant dans des conditions d’humiliation totale. D’autres évoquent les violences qui les accompagnaient jusque dans les toilettes, surveillées au pas près, selon des horaires stricts : trois minutes pour faire ses besoins, au-delà desquelles on était puni.
Une mémoire dispersée, des preuves effacées
Avant leur fuite, les agents du régime ont tenté de brûler ou de détruire les preuves des atrocités commises. De nombreux documents sont manquants ou illisibles. Pourtant, quelques reliques subsistent : un agenda de 2012 encore lisible, des photographies retrouvées dans les recoins, une pièce d’identité. Ces fragments muets sont des témoins fragmentaires des vies brisées.
L’ONG Lawyers and Doctors for Human Rights (LDHR) note que la “branche Palestine” était l’un des centres de torture les plus cruels parmi les nombreuses “branches” disséminées à Damas. Elles rivalisaient pour infliger les pires sévices — y compris sexuels — pour obtenir promotion ou reconnaissance au sein du régime.
Au-delà des murs : l’urgence de vérité et de justice
La visite se termine. Dans le vestibule, les visages figés sur les clichés recueillis parlent d’eux-mêmes : enfants, femmes, détenus. Ces images, à peine révélées, pourraient constituer les fondements d’une enquête internationale sur les crimes du régime.
Mais tant que les registres sont détruits, que les actes restent impunis, et que les survivantes et survivants restent traumatisés dans le silence, la “branche Palestine” demeure une antichambre de l’oubli. Son souvenir est une blessure béante dans l’histoire syrienne — une prison dont la réhabilitation en mémoire exige des actes, pas seulement des mots.