
11/09/2024
La rentrée de Mesures
Il n’y en a pas. Je veux dire, il n’y a aucune nouveauté à la rentrée aux Editions Mesures. Parce que nous avons sorti les cinq livres de la saison V pendant le premier semestre de l’année et que nous préparons – nous sommes encore loin de compte – les livres qui feront la saison VI, une saison que nous inaugurerons fin janvier 25, – et, là encore, c’est un peu trop tôt pour parler de ça. Mais donc, nous ne rentrons pas, parce que nous sommes là, ce qui signifie que, vu les conditions normales de la vie du livre – si nous pouvons parler de vie – nous ne sommes pas là. Ce n’est pas que nous sommes invisibles, c’est que je ne peux rien dire que ce que j’ai déjà dit pour présenter les livres, et que je ne peux que mettre au jour mes manques, – je vais, oui, maintenant, je vais le faire, téléphoner aux libraires amis pour voir s’il y a des réassorts à faire (même si beaucoup de libraires n’attendent pas qu’on les appelle), je vais essayer de téléphoner à d’autres libraires (et, chères et chers lecteurs, puisque je ne connais pas tous les 35000 ou quelques libraires de France, vous auriez des idées pour savoir à qui m’adresser ?)... – Je vais le faire, avec cette limitation double, fondatrice et, d’une façon ou d’une autre, rédhibitoire : nous ne faisons pas de dépôt. C’est-à-dire que nous n’acceptons pas de retours. Ça veut dire que le libraire, avant d’avoir vendu notre livre à son client, nous l’achète à nous (il ne paie pas tout de suite, ça va de soit), et la plupart des libraires (oui, la plupart) à qui je parle de Mesures me disent que, ça, ce n’est pas possible, parce que c’est contraire à je ne sais pas quoi, d’ailleurs, mais contraire à l’esprit général. Et nous, même si ça limite les ventes d’une façon drastique (ça nous fait perdre à peu près 70% des mises en place possibles), nous continuons. D’abord, nos livres sont numérotés et fragiles – oui, oui, délibérément, là encore, fragiles, parce qu’un livre est un être, avec lequel on doit se comporter d’une façon civile –, et que, nous ne pouvons pas nous permettre de mettre en place une comptabilité des retours. Là, nous savons, au livre près, combien nous en avons vendu, au jour le jour. Et un livre acheté par le librairie signifie que le libraire s’implique dans la vente, et donc, dans la vie de notre travail, à Françoise Morvan et à moi. L’achat d’un ou de deux exemplaires ne va pas le mettre sur la paille, mais, de livres, nous en avons aujourd’hui 27, et, fin janvier donc (inch allah) nous en aurons 32, sinon 33 (la liste des libraires qui ont nos livres est sur notre site, elle s’élargit toujours – s’il en manque, signalez-le moi, j’ajouterai tout de suite).
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Et là commence l’autre question : non seulement la diffusion au coup par coup, pour ainsi dire, titre après titre, mais cette chose absolument fondamentale qu’est la vie de ce qu’il faut appeler un catalogue. – Si Mesures existe, c’est aussi parce que nous ne voulons pas que nos livres, même publiés à des milliers d’exemplaires disparaissent comme l’immense majorité de ce qui se publie. Comment peut-on vivre quand il y a 500 romans qui paraissent en même temps (et que, ces 500 sont plus « raisonnables » que les autres années). Tout cela, pour nous, est absurde. Comment imaginer qu’on écrive un livre pour qu’il vive trois semaines ?
En même temps, nos livres, comment les faire vivre ? Comment faire que vous qui lisez cette page gratuite, ça vous intéresse soudain de faire l’effort de passer la porte d’une librairie et de commander, je ne sais pas, « Orbe », ou « L’oiseau-loup », « La caverne » ou « L’amour des trois oranges » ? Et comment faire pour que ça vous intéresse de prendre le temps de lire, lentement, tranquillement, les quatre livres de « Sur champ de sable » ? Comment faire pour que, juste, vous appreniez que ça existe, alors que, même sur cette page, la plupart d’entre vous ne lit que le début, parce que vous n’avez juste pas le temps ? – Ce sont des questions qui me taraudent.
Parce que, bien sûr, ce que je fais, c’est de la réclame pour nos propres livres, les miens et ceux de Françoise, et que, ça non plus, ça ne se fait pas. Nos livres, j’en parle ici. – Je publie des extraits, des poèmes (ceux de Françoise ou les miens). Je ne sais pas si ça sert à quelque chose. Pour moi, oui, parce que les textes que je publie, surtout ceux de Françoise, me font vivre, mais bon... – On laisse, généralement, les critiques parler des livres : et là non plus, nous ne faisons pas comme les autres. Nous ne faisons pas de service de presse. Parce que ça coûte très cher, les services de presse, et que nous n’avons pas les exemplaires qu’il faut pour ça, – sachant que le premier tirage est, sauf exception, de 500 exemplaires. Les services de presse que nous avons faits (trois fois depuis cinq ans, les livres nous avaient été demandés, toujours de façon urgente et comme impérative) se sont toujours conclus sur rien. Que d’échos, néanmoins, de nos lecteurs, – de personnes qui, ces livres, les ont achetés, et, donc, les ont aimés. – Ça, c’est inestimable (et je ne parle pas des lettres que nous recevons...)
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Nous proposons nos livres sur notre site, évidemment. Ce site, il faudra en faire une refonte complète (je n’ai jamais le temps, mais je le trouverai cet automne) parce qu’il n’est qu’un site marchand, – je veux dire une plateforme de vente. Petit à petit, oui, dans le courant de l’automne, nous ajouterons des extraits de chaque livre, parce que, de fait, ces livres, vous ne les connaissez pas. Là aussi, il s’agit de faire vivre, un tant soit peu, mais d’une façon constante, les 27 livres qui existent et qui, tous, oui, tous, sans exception, sont vitaux, je veux dire – la main sur le cœur – qu’il n’y en a pas un seul qui soit moins important que l’autre, qui nous soit moins précieux. Et donc, il faut qu’ils vivent. Là encore, imaginez... comment faire vivre un livre qui existe depuis quatre ou cinq ans ? – Parce que les livres dits-de fond, eh bien, justement, chez les libraires, ils existent par eux-mêmes, parce qu’ils sont connus... Quadrature du cercle.
Notre source de vente principale est l’abonnement, le principe de l’AMAP, – le circuit le plus court possible (en dehors de la librairie). Vous achetez soit les cinq livres de la saison – et, donc, vous ne les connaissez pas, vous n’avez pas même pu les feuilleter, mais vous nous connaissez, nous – et donc, vous nous faites confiance, comme vous le faites pour le producteur de l’AMAP. Vous pouvez aussi vous abonner « à la carte », c’est-à-dire que vous pouvez choisir cinq livres sur notre catalogue, sur n’importe quelle année. L’abonnement, quelle que soit sa forme, pour nous, c’est l’idéal. Sauf que cette confiance, pour vous, elle a un prix : c’est 100 € (en France métropolitaine), ce qui n’est pas rien, on comprend. Aujourd’hui, pour la saison V, nous avons 250 abonnés, – des abonnés dans le monde entier (ce qui nous touche profondément). – Nous rentrons dans nos frais et payons des impôts, et donc, c’est bien. Mais, je le dis comme je pense, ce n’est pas assez.
Le fait est que tous nos livres sont liés. Tous, d’une façon ou d’une autre – d’une dizaine de façons différentes, ils se répondent. – Les livres de Françoise Morvan, les uns après les autres, se développent comme des constellations, depuis « Sur champ de sable » jusqu’à « L’oiseau-loup » et « Pluie », depuis les « Contes de Bretagne » jusqu’à « L’amour des trois oranges », de « La Folie Tristan » jusqu’à « La Grièche d’hiver » de Rutebeuf – jusqu’aux « Enfants de la guerre », – et ce monde de la guerre, il se retrouve dans les livres traduits du russe que je publie, « De vie à vie » de Tsvétaïéva/Volochine, « Les Douze » de Blok. Les livres que nous publions ont été écrit par des écrivains libres, je veux dire des gens qui, là encore, je le dis sérieusement, ont payé le prix de leur liberté, – le prix, le plus souvent, de leur vie même.
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Vous n’imaginez pas comme ça nous touche quand nos lecteurs nous envoient des photos de leur bibliothèque « Mesures ». Quand nous avons que nos livres vous accompagnent, longuement, chaleureusement, – douloureusement parfois – au quotidien, qu’ils vivent sous vos yeux, qu’ils sont, là, près de vous, alors que, nous, nous n’avons même jamais vu votre visage.
Dites, vous aussi, parlez de nos livres, – je ne dis pas offrez-les (bien sûr que si... je pense à une dame, que je ne connais que d’ici, sur internet, et qui, pour une fête, m’a demandé, au total, une quarantaine d’exemplaires des « Juifs », cette pièce inouïe, inconnue, et pourtant indispensable), vous aussi faites-les vivre, – et pas seulement les derniers, mais tous, peu à peu. Tous, je le crois vraiment, ils existent.
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Editions Mesures, je le redis, est un mouvement de liberté, peut-être de survie : aucun éditeur ne peut nous permettre de mettre ensemble, ou plutôt en réseau, de la poésie non traduite et de la poésie traduite, du théâtre et des nouvelles, des formes longues et des formes courtes en même temps, le conte et la photo (le seul genre que nous n’ayons pas exploré pour l’instant est celui du roman), – parce que nous sommes pas des poètes ou des romanciers ou des dramaturges ou je ne sais pas quoi, Françoise Morvan et moi, nous sommes des écrivains, – nous traduisons, et donc nous écrivons ; nous écrivons, et donc nous traduisons, et nous le faisons à nos risques et périls, en assumant cette fragilité fondatrice, désormais, de notre rapport avec vous.
Evidemment, nous sommes aussi chez d’autres éditeurs, mais nous sommes là, dans cet espace fragile, quasiment invisible, étrange, puisqu’il demande, de la part de chacun, et librairie et lecteur, un travail dès l’abord, et que chacun, et librairie et lecteur est déjà occupé par plein de choses, – sans parler des événements qui nous entourent et qui, on pourrait croire, rendent futile toute conversation sur la littérature.
Faites le pas. Lisez. Soyez nos compagnons et nos compagnes.