Editions Mesures

Editions Mesures Une zone de liberté, en marge des grandes maisons d'édition, crée par André Markowicz et Françoise Morvan.

La rentrée de Mesures Il n’y en a pas. Je veux dire, il n’y a aucune nouveauté à la rentrée aux Editions Mesures. Parce ...
11/09/2024

La rentrée de Mesures

Il n’y en a pas. Je veux dire, il n’y a aucune nouveauté à la rentrée aux Editions Mesures. Parce que nous avons sorti les cinq livres de la saison V pendant le premier semestre de l’année et que nous préparons – nous sommes encore loin de compte – les livres qui feront la saison VI, une saison que nous inaugurerons fin janvier 25, – et, là encore, c’est un peu trop tôt pour parler de ça. Mais donc, nous ne rentrons pas, parce que nous sommes là, ce qui signifie que, vu les conditions normales de la vie du livre – si nous pouvons parler de vie – nous ne sommes pas là. Ce n’est pas que nous sommes invisibles, c’est que je ne peux rien dire que ce que j’ai déjà dit pour présenter les livres, et que je ne peux que mettre au jour mes manques, – je vais, oui, maintenant, je vais le faire, téléphoner aux libraires amis pour voir s’il y a des réassorts à faire (même si beaucoup de libraires n’attendent pas qu’on les appelle), je vais essayer de téléphoner à d’autres libraires (et, chères et chers lecteurs, puisque je ne connais pas tous les 35000 ou quelques libraires de France, vous auriez des idées pour savoir à qui m’adresser ?)... – Je vais le faire, avec cette limitation double, fondatrice et, d’une façon ou d’une autre, rédhibitoire : nous ne faisons pas de dépôt. C’est-à-dire que nous n’acceptons pas de retours. Ça veut dire que le libraire, avant d’avoir vendu notre livre à son client, nous l’achète à nous (il ne paie pas tout de suite, ça va de soit), et la plupart des libraires (oui, la plupart) à qui je parle de Mesures me disent que, ça, ce n’est pas possible, parce que c’est contraire à je ne sais pas quoi, d’ailleurs, mais contraire à l’esprit général. Et nous, même si ça limite les ventes d’une façon drastique (ça nous fait perdre à peu près 70% des mises en place possibles), nous continuons. D’abord, nos livres sont numérotés et fragiles – oui, oui, délibérément, là encore, fragiles, parce qu’un livre est un être, avec lequel on doit se comporter d’une façon civile –, et que, nous ne pouvons pas nous permettre de mettre en place une comptabilité des retours. Là, nous savons, au livre près, combien nous en avons vendu, au jour le jour. Et un livre acheté par le librairie signifie que le libraire s’implique dans la vente, et donc, dans la vie de notre travail, à Françoise Morvan et à moi. L’achat d’un ou de deux exemplaires ne va pas le mettre sur la paille, mais, de livres, nous en avons aujourd’hui 27, et, fin janvier donc (inch allah) nous en aurons 32, sinon 33 (la liste des libraires qui ont nos livres est sur notre site, elle s’élargit toujours – s’il en manque, signalez-le moi, j’ajouterai tout de suite).

*

Et là commence l’autre question : non seulement la diffusion au coup par coup, pour ainsi dire, titre après titre, mais cette chose absolument fondamentale qu’est la vie de ce qu’il faut appeler un catalogue. – Si Mesures existe, c’est aussi parce que nous ne voulons pas que nos livres, même publiés à des milliers d’exemplaires disparaissent comme l’immense majorité de ce qui se publie. Comment peut-on vivre quand il y a 500 romans qui paraissent en même temps (et que, ces 500 sont plus « raisonnables » que les autres années). Tout cela, pour nous, est absurde. Comment imaginer qu’on écrive un livre pour qu’il vive trois semaines ?

En même temps, nos livres, comment les faire vivre ? Comment faire que vous qui lisez cette page gratuite, ça vous intéresse soudain de faire l’effort de passer la porte d’une librairie et de commander, je ne sais pas, « Orbe », ou « L’oiseau-loup », « La caverne » ou « L’amour des trois oranges » ? Et comment faire pour que ça vous intéresse de prendre le temps de lire, lentement, tranquillement, les quatre livres de « Sur champ de sable » ? Comment faire pour que, juste, vous appreniez que ça existe, alors que, même sur cette page, la plupart d’entre vous ne lit que le début, parce que vous n’avez juste pas le temps ? – Ce sont des questions qui me taraudent.

Parce que, bien sûr, ce que je fais, c’est de la réclame pour nos propres livres, les miens et ceux de Françoise, et que, ça non plus, ça ne se fait pas. Nos livres, j’en parle ici. – Je publie des extraits, des poèmes (ceux de Françoise ou les miens). Je ne sais pas si ça sert à quelque chose. Pour moi, oui, parce que les textes que je publie, surtout ceux de Françoise, me font vivre, mais bon... – On laisse, généralement, les critiques parler des livres : et là non plus, nous ne faisons pas comme les autres. Nous ne faisons pas de service de presse. Parce que ça coûte très cher, les services de presse, et que nous n’avons pas les exemplaires qu’il faut pour ça, – sachant que le premier tirage est, sauf exception, de 500 exemplaires. Les services de presse que nous avons faits (trois fois depuis cinq ans, les livres nous avaient été demandés, toujours de façon urgente et comme impérative) se sont toujours conclus sur rien. Que d’échos, néanmoins, de nos lecteurs, – de personnes qui, ces livres, les ont achetés, et, donc, les ont aimés. – Ça, c’est inestimable (et je ne parle pas des lettres que nous recevons...)

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Nous proposons nos livres sur notre site, évidemment. Ce site, il faudra en faire une refonte complète (je n’ai jamais le temps, mais je le trouverai cet automne) parce qu’il n’est qu’un site marchand, – je veux dire une plateforme de vente. Petit à petit, oui, dans le courant de l’automne, nous ajouterons des extraits de chaque livre, parce que, de fait, ces livres, vous ne les connaissez pas. Là aussi, il s’agit de faire vivre, un tant soit peu, mais d’une façon constante, les 27 livres qui existent et qui, tous, oui, tous, sans exception, sont vitaux, je veux dire – la main sur le cœur – qu’il n’y en a pas un seul qui soit moins important que l’autre, qui nous soit moins précieux. Et donc, il faut qu’ils vivent. Là encore, imaginez... comment faire vivre un livre qui existe depuis quatre ou cinq ans ? – Parce que les livres dits-de fond, eh bien, justement, chez les libraires, ils existent par eux-mêmes, parce qu’ils sont connus... Quadrature du cercle.

Notre source de vente principale est l’abonnement, le principe de l’AMAP, – le circuit le plus court possible (en dehors de la librairie). Vous achetez soit les cinq livres de la saison – et, donc, vous ne les connaissez pas, vous n’avez pas même pu les feuilleter, mais vous nous connaissez, nous – et donc, vous nous faites confiance, comme vous le faites pour le producteur de l’AMAP. Vous pouvez aussi vous abonner « à la carte », c’est-à-dire que vous pouvez choisir cinq livres sur notre catalogue, sur n’importe quelle année. L’abonnement, quelle que soit sa forme, pour nous, c’est l’idéal. Sauf que cette confiance, pour vous, elle a un prix : c’est 100 € (en France métropolitaine), ce qui n’est pas rien, on comprend. Aujourd’hui, pour la saison V, nous avons 250 abonnés, – des abonnés dans le monde entier (ce qui nous touche profondément). – Nous rentrons dans nos frais et payons des impôts, et donc, c’est bien. Mais, je le dis comme je pense, ce n’est pas assez.

Le fait est que tous nos livres sont liés. Tous, d’une façon ou d’une autre – d’une dizaine de façons différentes, ils se répondent. – Les livres de Françoise Morvan, les uns après les autres, se développent comme des constellations, depuis « Sur champ de sable » jusqu’à « L’oiseau-loup » et « Pluie », depuis les « Contes de Bretagne » jusqu’à « L’amour des trois oranges », de « La Folie Tristan » jusqu’à « La Grièche d’hiver » de Rutebeuf – jusqu’aux « Enfants de la guerre », – et ce monde de la guerre, il se retrouve dans les livres traduits du russe que je publie, « De vie à vie » de Tsvétaïéva/Volochine, « Les Douze » de Blok. Les livres que nous publions ont été écrit par des écrivains libres, je veux dire des gens qui, là encore, je le dis sérieusement, ont payé le prix de leur liberté, – le prix, le plus souvent, de leur vie même.

*

Vous n’imaginez pas comme ça nous touche quand nos lecteurs nous envoient des photos de leur bibliothèque « Mesures ». Quand nous avons que nos livres vous accompagnent, longuement, chaleureusement, – douloureusement parfois – au quotidien, qu’ils vivent sous vos yeux, qu’ils sont, là, près de vous, alors que, nous, nous n’avons même jamais vu votre visage.

Dites, vous aussi, parlez de nos livres, – je ne dis pas offrez-les (bien sûr que si... je pense à une dame, que je ne connais que d’ici, sur internet, et qui, pour une fête, m’a demandé, au total, une quarantaine d’exemplaires des « Juifs », cette pièce inouïe, inconnue, et pourtant indispensable), vous aussi faites-les vivre, – et pas seulement les derniers, mais tous, peu à peu. Tous, je le crois vraiment, ils existent.

*

Editions Mesures, je le redis, est un mouvement de liberté, peut-être de survie : aucun éditeur ne peut nous permettre de mettre ensemble, ou plutôt en réseau, de la poésie non traduite et de la poésie traduite, du théâtre et des nouvelles, des formes longues et des formes courtes en même temps, le conte et la photo (le seul genre que nous n’ayons pas exploré pour l’instant est celui du roman), – parce que nous sommes pas des poètes ou des romanciers ou des dramaturges ou je ne sais pas quoi, Françoise Morvan et moi, nous sommes des écrivains, – nous traduisons, et donc nous écrivons ; nous écrivons, et donc nous traduisons, et nous le faisons à nos risques et périls, en assumant cette fragilité fondatrice, désormais, de notre rapport avec vous.

Evidemment, nous sommes aussi chez d’autres éditeurs, mais nous sommes là, dans cet espace fragile, quasiment invisible, étrange, puisqu’il demande, de la part de chacun, et librairie et lecteur, un travail dès l’abord, et que chacun, et librairie et lecteur est déjà occupé par plein de choses, – sans parler des événements qui nous entourent et qui, on pourrait croire, rendent futile toute conversation sur la littérature.

Faites le pas. Lisez. Soyez nos compagnons et nos compagnes.

Choisir la libertéLes 20 et 21 avril, nous étions à Metz, au salon du livre, sur le stand de la Librairie Autour du mond...
02/06/2024

Choisir la liberté

Les 20 et 21 avril, nous étions à Metz, au salon du livre, sur le stand de la Librairie Autour du monde. Le 29 avril, autre rencontre bouleversante, nous étions invités par L'Écume des Pages, à Paris. Hier, moi seul, j’étais à Trouville, chez Katia et Jean-Philippe, à L’usage du L'usage du papier (mais Françoise déjà venue, invitée par Vincent Jaglin et le ciné-clu de Trouville l’année dernière, pour parler de son film, « La découverte ou l'ignorance » autour du nationalisme breton.

L'usage du papier, c’est une toute petite librairie : il y a, quoi, la place d’entasser vingt personnes dedans, pas plus, et encore, il y avait plein de gens debout, et, oui, vraiment, c’était, pour moi, quelque chose de très très fort, de parler de notre travail, à Françoise et moi, de faire une espèce de retour sur soi-même, avec cette question : comment passe-t-on des Œuvres complètes de Dostoïevski (etc, etc, etc, ) à Editions Mesures ? Pourquoi Mesures ? Comment, a un certain moment, après un certain moment de ta vie, – de notre vie, en l’occurrence, – je veux dire, pas de la vie, mais du travail, – donc de la vie, – comment tu en arrives à considérer que, ce que tu as, ça ne te suffit pas, alors que tu travailles avec l’un des plus grands éditeurs de France, que la diffusion de tes livres, elle est nationale (internationale, bien sûr, dans toute la francophonie) et que tu n’as rien à faire pour ça, c’est juste une donnée. Comment, soudain – ou pas soudain, justement, jour après jour, mois après mois, – tu réalises que ce que tu as déjà publié, tout en te faisant connaître, est – et là, plus que jamais, les mots comptent, – non pas un poids, non, mais une étape passée de ta vie. Passée – non, évidemment, parce que, je ne sais pas, mais enfin, quand même, « Onéguine », je peux le dire, la main sur le cœur, ce n’est pas rien, et l’intégrale Dostoïevski non plus, et, avec Françoise, les Tchekhov (si souvent plagiés aujourd’hui, ce qui est aussi, hélas, un signe de réussite). Bref, voilà, comment, comme Pouchkine le disait à propos de Griboïédov, celui-ci avait voulu « faire prendre à sa vie un tournant brusque ». Pourquoi et comment ce que nous avons nous pousse à tenter l’aventure, à nous pousser vers l’inconnu, vers, oui, la liberté, c’est-à-dire, nous pousse non pas à nous développer mais, au contraire, à nous restreindre, tout en publiant cinq livres par an – cinq livres que, pour la plupart, nous n’aurions pas publiés chez les grands éditeurs qui sont les nôtres. Ce que ça signifie, cette liberté. Comment, d’une façon ou d’une autre, nous sommes entrés dans une logique non de croissance, mais de décroissance. Et de savoir ce que c’était que cette liberté : le désir, – non, la nécessité, après des années et des années de travail, d’être entièrement responsables, non pas seulement indépendants, mais responsables. C’est-à-dire choisir, nous-mêmes, non seulement les livres que nous publions, mais la façon dont nous les publions, c’est-à-dire suivre le texte du début à la fin, de sa naissance en brouillon jusqu’à sa mise en page, jusqu’à la mise en papier, et d’être responsables, totalement, de la charte graphique, de travailler avec l’imprimeur, une SCOP, Média Graphic, – une SCOP, c’est-à-dire une entreprise collective, dont le but premier n’est pas de gagner de l’argent (même si, ça va de soi, il faut d’abord « faire » de l’argent pour être libre), et de choisir le mode de diffusion : pas de diffuseur, pas de distributeur, mais le principe du gré à gré – entre nous et le lecteur, sur le site, ou par abonnement, comme une AMAP, ou avec le libraire, directement, d’être humain à être humain, sans aucun intermédiaire. – Décroître, en fait, pour croître comme nous voulons, ou comme, plutôt, nous devons, puisqu’il s’agit d’une nécessité totalement intérieure, parce que personne ne nous dicte rien. Dès lors, oui, le moindre achat de livre, pour nous, est un événement. – Dès lors, oui, nos tirages sont petits, – mais la plupart de nos livres ont été réimprimés, et c’est une chose nécessité intérieure qui nous pousse : non, contrairement à beaucoup d’éditeurs, nous n’abandonnons jamais nos titres, nous faisons toujours des retirages, nos livres, à notre mesure (c’est le cas de le dire) vivent, et continuent de vivre, et tant que nous serons vivants, ils continueront.

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Ce qui m’a bouleversé dans cette soirée, c’est aussi, une fois de plus, non pas de le comprendre, mais de le sentir, à quel point le travail du libraire et le nôtre sont liés, sont proches. Parce que, chez nous aussi, il y a, d’abord, oui, un métier. Je veux dire, une technicité, des connaissances pratiques, concrètes : oui, il faut une technique pour traduire, et non, la plupart – hélas, oui, la plupart – des traductions que je lis, cette technique, ce n’est même pas leurs auteurs ne l’ont pas, c’est qu’ils ne soupçonnent pas même qu’elle existe et n’en comprennent pas du tout la nécessité (je lis certaines traductions de Shakespeare publiées récemment, par exemple, et je suis simplement atterré de lire à quel point il n’y a rien à lire, juste rien du tout, pas même un mot à mot, juste rien, un texte compris même pas à la surface et dont les lignes de sens sous-jacentes ne sont pas même envisagées, juste pas senties du tout). Sauf que cette cette technique, ce métier, ce n’est rien du tout sans l’essentiel, sans ce qui les porte, qui n’est pas du tout de l’ordre du métier, mais de la passion, de la nécessité intérieure : soit tu travailles parce que ta vie dépend de ça, soit tu comprends que ce n’est pas la peine que tu le fasses.

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De la même façon, Katia et Jean-Philippe, qui tenaient une grande librairie dans une ville de Bretagne, et se trouvaient diriger des employés, à un certain moment, se sont sentis trop malheureux, parce qu’il y avait trop de contraintes dans la taille de leur entreprise, dans la nécessité où ils étaient – les clients n’auraient pas compris, sinon – de suivre les offices, la liste des meilleures ventes sur Livre-Hebdo, et de voir que, les nouveautés, elles vivent, quoi, un mois, deux mois au maximum, et puis elles ne vivent pas, elles sont massivement retournées, et on n’en parle plus, et que, ça, c’est vrai pour 90% de la production. De voir que, réellement, il en est des livres comme des poulets en batterie. Et, alors même que leur librairie, comme on dit, « marchait bien » – je veux dire qu’ils vivaient bien de leur travail, et eux, et les employés, et que les gens, donc, ne cessaient de venir, et qu’une librairie de centre-ville est un commerce indispensable, ils ont considéré qu’ils avaient besoin d'autre chose. il fallait qu’ils se recentrent sur l’essentiel. Sur eux-mêmes, d’abord, et sur le strict amour des livres. Sur leur propre liberté : non pas celle de l’office, ni celles des banques et des crédits (qu’ils honoraient, ça va de soi) mais celle de leurs lectures à eux. La liberté de n’avoir dans leur librairie que des livres qu’ils aiment, dont ils peuvent parler non pas seulement comment en parlent les représentants (et, j’en profite pour dire ça : les représentantes – en fait, pour la plupart, sont des femmes – chez Actes-Sud, elles sont extraordinaires, elles sont l’une des grandes, grandes forces de la maison). À un certain moment, Katia et Jean-Philippe ont senti ce que nous avons senti nous, Françoise et moi : il leur fallait, il nous fallait – une Maison à nous. Une autre maison. Une maison véritable. Plus petite ? Oui, plus petite. Ils vivent, matériellement, moins bien ? Oui, certainement. Ils travaillent davantage ? En fait, non, ils travaillent autrement. Ou dans un autre esprit. Ils la construisent, leur liberté. Ils l’excercent.

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Ensuite se posent d’autres questions, – que nous avons abordées hier, mais qui sont insolubles. Comment tu fais, avec le temps, pour ne pas croître ? Pour nous, par exemple, – nous publions cinq livres par an, c’est, à l’échelle de nos forces, je peux vous le dire, immense, mais nous pourrions en publier – nous devrions en publier – deux fois plus, et il y a plein de livres pour lesquels nous n’avons trouvé la forme de publication et de diffusion : que faire avec les livres pour enfants, que faire avec les livres en déshérence chez les autres éditeurs ? Bref, que faire, alors que le temps avance, que nous ne rajeunissons pas, qu’il reste tellement, mais tellement de chantiers à entreprendre ou à finir ? Et nous, chez Mesures, nous avons publié, jusqu’à présent, 27 livres (oui, 5 fois 5, chez nous, ça a fait 27), mais ça veut dire que, inch allah, l’année prochaine, il y en aura 32 (je peux vous dire que nous travaillons dessus). Comment tu les fais vivre, ces 32 livres ? Comment, de la même façon, pour une librairie, tu fais vivre ce qu’on appelle « le fonds », c’est-à-dire les livres qui ne font pas l’actualité, mais qui sont là, parce qu’ils sont de toujours (ou que nous les considérons comme de toujours). Tu attends que le lecteur vienne et les demande ? Mais comment il fait, le lecteur, pour savoir que le livre existe ? Comment faire attention à tous, et puis, autre interrogation : comment gérer le stock ? – Question qui peut sonner triviale mais qui est essentielle...

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Bref, voilà, tôt le matin, quelques échos à une rencontre immense (pour moi, je veux dire... mais vous êtes sur ma page), avec une vingtaine de personnes, qui ont acheté plus de livres (beaucoup plus) qu’elles n’étaient, – avec Katia et Jean-Philippe, dont nous savons qu’ils comptent, pour Françoise et pour moi, parmi nos compagnons.

Françoise Morvan Consolation,extrait des « Enfants de la guerre »ConsolationVieilles lettres qui se ressemblent comme ar...
16/03/2024

Françoise Morvan
Consolation,
extrait des « Enfants de la guerre »

Consolation

Vieilles lettres qui se ressemblent comme arrachées à la lie noire du temps et faites pour y retourner, liasse après liasse, feuillets humides noircissant à leur tour au fond des tiroirs.

« Même mutilé, c’est une consolation pour moi de penser que j’ai été préservé de la mort, si près que j’étais. Et puis j’aurai une petite pension de sept cent cinquante francs et cent francs pour ma médaille militaire. Ce sera toujours de quoi payer la Saint-Michel. Je ne serai plus bon à grand-chose, mais je pourrai toujours soigner les animaux et faire quelques travaux debout, je pourrai sarcler, faire des semis avec un outil à manche long. Ce n’est pas le courage qui manque puisque j’ai retrouvé les miens et tous aussi avec soulagement.

Vous devez avoir bien froid dans les tranchées à présent, si froid qu’il fait ; vous devez avoir de l’eau jusqu’aux genoux. Et dire qu’il faudra passer dans la terre un hiver si dur. Je pense souvent à vous, surtout quand il pleut et que le vent souffle. Triste est la guerre, et encore si l’on pouvait rester en bonne santé, mais de penser à vous, je sais que je n’ai pas à me plaindre puisque mon temps de guerre est à présent fini. »

Une lettre sans réponse, glissée entre les pages du cahier de semences.

*

Françoise est invitée au Festival Rue des Livres, à Rennes, qui se tiendra aujourd’hui et demain, et, demain dimanche, à 15h, elle lira quelques extraits du livre qui a ouvert notre saison IV, « Les enfants de la guerre », sur un choix de soixante photos d’Yvonne Kerdudo. Françoise avait choisi soixante photos d’enfants, ou avec des enfants, prises pendant la guerre de 14-18, et a écrit des textes pour leur répondre.

Nous avons épuisé le premier tirage, nous avons réimprimé. Notons qu’au moment où j’écris ces lignes, aucune bibliothèque de Bretagne n’a jugé utile d’acquérir le livre, – pas même le fonds breton des Champs libres à Rennes, ni le CRBC de Brest.

Françoise dédicacera ses livres sur le stand de la Librairie Le Failler, qui soutient nos Mesures avec constance, ainsi, à Rennes, que librairie Comment dire ?

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Je publie ce texte en pensant, en Ukraine, aux mutilés de guerre. A leur courage et celui des familles. A l’horreur insondable de la guerre, et à la dignité tragique des familles. – Yvonne Kerdudo, photographe du village de Plouaret (22) en porte témoignage. Françoise aussi, par les soixante textes qu’elle a écrits pour donner une voix à ceux et celles qui étaient là, – non pas au front, mais au village, à attendre, à se ronger, ou à ne plus attendre. Et attendre quand même.

Mesures, la solitude peupléeQuelque chose me touche infiniment ici, quand je vois des photos des trois livres que nous e...
13/02/2024

Mesures, la solitude peuplée

Quelque chose me touche infiniment ici, quand je vois des photos des trois livres que nous envoyons à nos abonnés, et que je sens qu’ils sont heureux de les recevoir (Maria Damcheva Claire Aucouturier, Jeanne Orient...), parce que cette joie se traduit par des photos : je vois les trois livres ensemble, avec des commentaires qui me bouleversent, sur leurs pages Fb. Je dis ça comme ça, mais imaginez ce que ça veut dire pour nous, pour Françoise et pour moi. Parce que, qu’est-ce que nous avons voulu faire, au début ? – Nous sommes partis de la constatation qu’aucun éditeur ne nous permettrait de faire ce que nous voulions, c’est-à-dire de publier les textes sans distinguer traduction ou non-traduction, et sans distinguer les genres, prose, poésie, théâtre, et de publier, par exemple, « Sur champ de sable » (qui est l’aboutissement, très sérieusement, de toute une vie de travail) comme nous pensions que ça devait l’être : ensemble et séparé à la fois, ensemble et en quatre volumes. Quel éditeur, avec la meilleure bonne volonté du monde, pouvait faire ça ?

Nous, naturellement, nous étions partis des livres que nous voulions publier, parce que nous nous étions dit que nous avions gagné le droit d’être libres, c’est-à-dire d’être seuls, et ce droit à la solitude, nous l’avions gagné, par des décennies et des décennies de travail. Nous avions gagné le droit d’être responsables de nous-mêmes, entièrement. Le droit de nous épuiser non seulement à les faire, ces livres, mais à travailler à leur impression, à leur mise en forme, à leur vente (oh la torture que c'était, au début, de téléphoner aux libraires pour les proposer, et la torture que ça peut être encore), et la fatigue de faire les bordereaux d’envoi, et les paquets, et aller à la poste, et revenir, et repartir, et, tout de suite, engager les titres de l’année suivante, et se tromper, douter, se demander si c’est possible, – oui, ce droit-là, nous l’avons gagné, et c’est le droit le plus essentiel que donne la liberté, la responsabilité.

Mais ce que nous découvrons, c’est aussi autre chose : en fait, d’année en année, nous avons créé – je peux le dire comme ça, parce que c’est vrai – une espèce de petite communauté, aléatoire, fluctuante, mais, finalement, pas tellement, — et nous voyons que des lecteurs de nos tout premiers livres sont toujours là pour attendre ceux qui paraissent maintenant, après cinq ans. Et nous n’imaginions pas l’effet que ça nous fait, à nous, de recevoir des messages qui nous disent l’effet que ça fait aux lectrices et aux lecteurs de les recevoir, ces livres, et d’ouvrir les cartonnages, les colis (puisque nous envoyons en colissimo), et l’effet que ça nous fait de savoir qu’il y a plusieurs dizaines de personnes qui les ont tous dans leur bibliothèque, tous, depuis le début, et donc, qui, avec le temps, vivent avec nous une aventure unique. Non, pas « avec le temps » mais, justement, oui, – dans le temps. Et d’imaginer ça, qu’il y a, oui, des dizaines (peut-être, en tout, deux cents personnes) qui les ont tous.

Imaginez çà : ici, 36000 abonnés (dont je ne sais pas du tout s’ils reçoivent tous mes chroniques – sans doute pas), et, notre joie, c’est ça... Deux cents, trois cents abonnés (l’année dernière, nous avons eu 320 abonnés), et , bien évidemment, ça n’a tellement rien à voir, parce que, pour les 36000, c’est gratuit, et ce n’est pas seulement gratuit en prix mais aussi – en temps (malgré le fait que, bon, j’écris des textes sans me soucier du « temps moyen de lecture sur Fb »... 15 ou 20 secondes). Nous, ce n’est pas gratuit : et même si 100 €, pour cinq livres, les frais de poste compris, ce n’est pas cher, c’est quand même quelque chose, et nous n’envoyons jamais de service de presse, – juste jamais. Et ce n’est pas seulement une question de prix : parce que, comme nous ne distinguons ni les genres ni les langues, nous savons que ces personnes qui nous suivent, elles acceptent, toutes autant qu’elles sont, d’être bousculées dans leur zone de confort, dans leurs habitudes de lecture, et qu’elles acceptent, donc, de ne pas savoir avant de nous suivre en achetant les livres qu’elles reçoivent. – Vous imaginez, ça, ce que ça veut dire ?...

Parce que, ça, non, nous n’imaginions pas cette dimension-là quand nous avons commencé, – alors qu’elle est devenue essentielle : la dimension de la complicité, de l’amitié, pour tout dire, – de la complicité d’imaginer qu’il existe des femmes, des hommes qui, parce qu'ils nous font confiance, parce qu'ils connaissent d’ailleurs, d’autres livres, d’un spectacle, d’une rencontre publique, je ne sais pas, ou juste comme ça, se changent en aventuriers et nous suivent. – Nous suivent n’est pas le mot juste, parce que ce n’est pas « suivre » qu'ils font, c’est... permettent. Il faudrait dire, en français juste, nous devancent, nous ouvrent le chemin.

*

Nous sommes en plein dans les envois des trois premiers titres, et j’espère avoir fini avant le mois de mars. Ensuite, nous ferons les envois en dehors de la France métropolitaine, – et, là, sauf exception, nous enverrons les cinq livres en même temps, et puis, en avril-mai, nous ferons les envois des deux autres livres, « La Caverne » de Zamiatine et « L’amour des trois oranges » de Françoise.

Livre après livre, vous nous permettez de construire cette maison qui est la nôtre, Editions Mesures, et qui est la nôtre parce que vous choisissez qu’elle soit la vôtre aussi. Une « zone de liberté », a dit Françoise dès le début. Une zone d’amitié, puis-je ajouter aujourd’hui. Une zone d’être-ensemble. Parce que, non, nous ne sommes pas seuls, même si, étrangement, d’un point de vue éditorial, nous n’avons jamais été plus seuls (et Dieu sait que c’est tout sauf une plainte !!... et ça ne veut pas dire que nous ne travaillons pas, pour tel ou tel projet, pour d’autres éditeurs aussi, – que ce soit Plon, pour « Le Dictionnaire amoureux » ou Gallimard pour Françoise (j’en parlerai plus t**d) ou Unes, et je ne parle pas d’autres projets). Mais quand même, nous avons décidé de tout regrouper, ici, chez Mesures, pour montrer l’unité d’un travail. Pas pour la montrer seulement, pour la faire vivre. À ceux, à celles qui sont devenus nos amis.

Abonnez-vous, – offrez des abonnements, si vous pouvez. Commandez nos livres chez vos libraires, – dans vos bibliothèques. Bref, continuons.

18/01/2024

Apprendre, être présent.

Etre présents, c’est ce que nous essayons d’être, Françoise et moi, ces derniers jours, et jusqu’à samedi, ici, au Tnp Villeurbanne, où je suis « artiste associé », – sans qu’il y ait aucun spectacle cette année, ni l’année prochaine. Juste ça, le fait que nous soyons dans une maison amie, cette chance invraisemblable de l’amitié, et, je puis le dire, de la confiance : je propose, d’année en année, des rencontres, – pas des rencontres publiques, ou disons des rencontres dans lesquels le « rendu » n’est pas le but essentiel.

Des rencontres avec des élèves, des jeunes. Pour lire ensemble, eux et nous, de la poésie. Pour essayer de leur parler non pas de leur condition à eux, – que nous ne connaissons que dans l’abstrait le plus flou et donc sur lequel tout avis que nous donnerions ne serait que stupide ou celui de la bonne conscience. Non, pour parler de ce qui nous intéresse, nous. De ce qui, nous, nous fait vivre. Justement parce qu’ils ne savent rien de nous non plus, et que le travail ensemble est un mouvement réciproque, mutuel : nous devons réussir à les intéresser assez profondément aux textes que nous aimons pour qu’ils veuillent, eux, faire le chemin de venir vers ces textes – à travers nous, évidemment, mais vers les textes, – des textes que nous ne simplifions pas, puisqu’ils existent en eux-mêmes, dans leur être propre pour ainsi dire, et qu’eux, ces textes, ils ne bougeront pas, puisqu’ils ne le peuvent pas. Ils sont juste ce qu’ils sont. Des textes qui ne parlent pas d’eux, – qui, dans leur vie quotidienne, leur sont aussi étrangers, je ne sais pas, que pourraient l’être des martiens. Et c’est bien comme ça que j’ai pris l’habitude de parler de ces stages : lire les martiens.

Nous ne les voyons que peu de temps. – Là, nous faisons deux stages : l’un a duré deux jours, avec des lycéens (tous volontaires, toutes classes confondues, depuis la première à la khâgne), sur les Sonnets de Shakespeare avec leur enseignante, Anne Robatel. Que pouvons-nous faire en deux jours ? – Nous pouvons montrer que ça existe. Nous pouvons, puisque les lycéens sont anglophones (disons qu’ils font de l’anglais...), faire entendre les sonnets dans les deux langues, en anglais, et en français, et les faire dire. Les faire entendre. – Imaginez, 35 élèves. Pour la plupart, la découverte de la forme, la découverte du vocabulaire – et l’évidence de ça. Alors que tout est étranger. L’évidence, pourquoi ? Parce qu’il y a une structure forte, quelque chose qu’on sent d’instinct. Vous lisez ça, vous comprenez que ça existe en soi, et que c’est beau. Et puis, vous voulez en dire un an, et nous donnons une consigne, d’un jour à l’autre : si vous le dites, vous l’apprenez par cœur, et vous le dites, en l’offrant, c’est-à-dire pour le dites-pour-vous-mêmes-pour-qui-veut. C’est un seul mot, ça. Et ils – ils et elles, bien sûr – non seulement apprennent un sonnet, le soir, chez eux, mais acceptent de le dire, c’est-à-dire acceptent de se lever, – de se montrer, et de poser la voix, c’est-à-dire d’adresser, de trouver une personne dans le groupe qui, sans qu’elle soit désigner, comprendra que c’est elle – quelqu’un qui sera assis à l’opposé, au plus loin. Et chacun entendra, – et ces sourires, d’amitié, de joie mutuelle (alors que les élèves, pour la plupart, ne se connaissent pas, puisqu’ils sont dans des classes différentes). Deux jours, ce n’est rien, mais c’est très important : c’est juste pour dire que, voilà, ça existe. Et cette joie que c’est, pour chacun, et pour eux, et pour nous, de découvrir à quel point c’est bien, les Sonnets de Shakespeare. Et, nous, ça nous montre aussi la façon dont, Françoise et moi, nous avons travaillé, nous avons senti le son, nous avons traduit tel ou tel mot essentiel – et pas traduit un autre, – et pourquoi, et comment nous avons senti, pour telle phrase ou pour telle, la ligne mélodique, la structure sonore... Et leur laisser, comme une espèce de viatique, qu’ils garderont s’ils le veulent... mais, s’ils le gardent, ce sera, je peux le dire, pour longtemps.

*

Là, maintenant, grâce à la confiance de Philippe Sire, le directeur du Conservatoire, et donc, celle du TNP, ce que nous faisons, c’est que nous travaillons sur un martien encore plus martien : sur les textes de « Vigile de décembre », le quatrième volume de ce livre-vie de Françoise qu’est « Sur champ de sable ». Et vous n’imaginez pas ce que nous vivons, ce que nous apprenons. Ce que j’apprends, moi.

« Vigile de décembre » est le livre du retour dans la maison natale, et le livre du départ défintif. La trame est toute simple : le personnage central (jamais nommé, jamais décrit – il n’y a aucun « je » dans le livre), il n’y a qu’un seul temps, le présent, – entre dans une maison froide. Ça, c’est la première partie. Ce personnage, comme chacun d’entre nous, vit dans le présent, mais le présent n’est le présent que parce qu’il est le palimpseste de tous les temps vécus, et donc, chaque objet, chaque sensation dans le présent désigne aussi des sensations dans le passé, et il n’y a aucune délimitation réelle entre le présent et le passé, – on oscille toujours entre deux temps. Celui de la maison (dont on peut supposer qu’elle remonte au début du siècle dernier, vers 1900) et le présent du personnage, qui n’est ni un « elle » ni un « je », mais qui est chaque objet décrit, chaque sensation évoquée, – et c’est un livre incroyablement sensuel, construit, oui, sur les associations de sensations. – La vie décrite dans le texte est une vie disparue aujourd’hui, surtout pour des jeunes gens qui, tous, sont nés au XXIe siècle. Une vie décrite de texte en texte, dans un certain ordre qui, en lui-même, crée le récit : parce que le paradoxe est là. Ce sont des poèmes, mais le livre n’est pas du tout un livre de poèmes, un recueil de poésie : c’est une forme de roman. Il y a une intrigue, il y a des personnages, – dans leur présence concrète et dans leur devenir.

Comment définir la poésie ? Risquons-nous à dire ça : « la poésie, c’est la plus grande intensité de la langue pour la plus grande intensité de la vie ». Ça, tout le monde peut le sentir, même (et surtout) sans mettre les mots sur cette sensation. Quand tu lis un poème, – non, quand tu prends le temps de le lire, ou, non : quand tu as assez de temps pour prendre le temps de le lire en soi, comme s’il fallait se quitter son quotidien, ou pas, non, le quitter, mais, au contraire, l’approfondir, le rendre – comment dire ça ? – objectif, alors, oui, d’un seul coup, on sent ça. L’intensité du monde qui te vient par l’intensité de la langue.

Et puis, ici, il y a la présence de l’auteur (ou de l’autrice... Françoise utilise indifféremment les deux mots), qui est là, et qui peut expliquer, texte après texte. Expliquer, là encore, ce n’est pas le bon mot... Non, juste, peu à peu, faire sentir les sensations premières, ouvrir comme une voie, et laisser faire. Montrer que, oui, tous les textes qui sont là (elle a fait le choix d’une petite quarantaine sur un livre de 200 pages), ils partent d’une base concrète, et partageable, par-delà le temps. – la sensation, par exemple, du froid, le gris lié au froid dehors, la vitre, la buée, les formes vagues liées à votre souffle, et ces fantômes, partout, moins pour faire peur que, juste, parce qu’ils sont là, toutes les présences du monde, – parce que, oui, qu’est-ce que la poésie fait d’autre que d’éveiller les présences du monde ? – les rendre, de mot en mot, de son en mot, à leur mystère, à ce mystère premier dans lequel nous vivons ?

Partir du plus concret, – le concret du regard, le feu, je ne sais pas, dans le poêle, les flammes vues à travers le mica, embruni, couvert, mais pas totalement, de traces de suie, des gnomes que sont les flammes sur les bûches, et leur chuchotement, le ch... le ch.. irrégulier, et puis le crac, et voir deux lignes sonores dans le texte (je ne vous le cite pas, ce n’est pas ce qui compte ici), le ch, le j, et le c-r-, le chuchotement de l’écriture, l’apparition et la disparition des ombres, de ce monde que l’on voit se défaire et qui réchauffe pour finir en poussier... Je ne vous donne là qu’un tout petit exemple du travail que nous faisons avec ces jeunes gens et ces jeunes filles, – Solenn, Léo, Lucille, Jérémy, Félix, Yaëlle, Rachel, Adrien, Johanne, Sajith, Camille, Wiktor et Adrien.

C’est Adrien qui a posé, hier, cette question à Françoise sur le mystère. Si, derrière l’explication concrète, réaliste, d’un texte qui, à la première lecture, semblait, au minimum obscur et qu’il découvrait limpide, Françoise voulait laisser une part de mystère liée à l’interprétation que ferait le lecteur... Et d’écouter Françoise dire, très surprise, et, je crois, très touchée par la question, que, justement, le concret, une fois qu’on l’avait ressenti, il amenait chaque lecteur à son mystère, et que chaque poème était comme un espace dans lequel, à partir de bases concrètes, le mystère de chacun pouvait devenir présent, – pas s’expliquer, non, pas du tout, mais être ressenti dans sa présence.

Et tout ce que j’apprends, moi, au fil des heures, au fil des pages, alors que, ces textes, bon, je les ai lus et relus, et publiés, mais, à chaque fois, c’est comme si, grâce à nos élèves (mais nous sommes tout sauf des maîtres), je les voyais à neuf, présents, évidents, magiques.

Vus me direz – et vous aurez raison – que je suis de parti-pris, et que l’existence de Françoise, que son travail ne me sont pas, disons, indifférents. Mais de voir ces jeunes gens, qui ne la connaissaient pas du tout (sauf, avec moi, comme traductrice de Tchekhov), le comprendre, ça, peu à peu, voir leurs yeux quand ils l’écoutent, voir leurs sourires – les voir comprendre devant quoi ils sont, comprendre, ou, disons, ressentir, je le dis très très sérieusement (vous me pardonnerez), la profondeur de cette présence, et la beauté des mots, et l’humour, et cette force d’avoir senti et d’avoir dit, – cette force qu’il faut pour l’avoir fait, comme celle de traverser des mondes. Et de pouvoir, pour qui voudra, pour cet « ami inconnu » que deviendra le lecteur, faire sentir le monde. Et la voir étonnée, elle, un peu interloquée, même parfois. Ce que ça lui fait, elle.

*

Si vous êtes à Lyon, venez, samedi, à 15h, à la MLIS (Maison du Livre, de l’image et du son), au 247 cours Emile Zola (Villeurbanne), – il y aura un rendu public de nos lectures.

Adresse

12 Boulevard Vincent Auriol
Paris
75013

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