15/07/2025
Au bord dâun village oubliĂ© prĂšs de Lublin, dans une petite chaumiĂšre isolĂ©e, vivait Weronika Nowak â une femme que le village appelait simplement « la Nowakowa ». Son prĂ©nom sâĂ©tait estompĂ© dans la mĂ©moire des voisins, mais le respect pour elle rĂ©gnait dans chaque foyer.
Ă quatre-vingt-quatorze ans, elle tenait encore solidement debout : elle gĂ©rait seule sa ferme, cultivait un jardin impeccable et entretenait une maison dâune propretĂ© irrĂ©prochable, comme si ce nâĂ©tait pas une vieille dame solitaire qui y vivait, mais toute une armĂ©e dâagents dâentretien. Son foulard blanc amidonnĂ©, son tablier clair, ses rebords de fenĂȘtres Ă©clatants avec des fleurs fraĂźches â la Nowakowa faisait partie de ces rares qui vivent avec Ă©lĂ©gance et dignitĂ©.
V***e depuis dix ans, elle Ă©tait seule. Ses trois enfants â Marek, son fils, et ses filles Ewa et Kasia â avaient quittĂ© le village depuis longtemps, dispersĂ©s tels des feuilles emportĂ©es par le vent, chacun vers sa propre destinĂ©e. Les petits-enfants, dĂ©sormais adultes, absorbĂ©s par leurs vies, Ă©voquaient rarement leur grand-mĂšre campagnarde. Au mieux, un appel pour les fĂȘtes.
Mais elle nâen tenait pas rigueur. Elle comprenait : chacun mĂšne sa vie. Et elle⊠continuait juste Ă vivre, Ă travailler, Ă aimer ses chĂšvres, Ă faire des pierogis, croyant fermement que tout cela avait un sens.
Les cadeaux qui reviennent
â Bonjour, Nowakowa ! â lança un jour la voisine GraĆŒyna, accompagnĂ©e de sa fille. â On est venues chercher du fromage. Ola ne mange que le tien, pas celui du magasin !
â Oh mes chĂšres, comme je suis heureuse ! Vous avez un pierogi aux myrtilles â Ola, ton prĂ©fĂ©rĂ©.
â Merci, mamie ! â sourit joyeusement la fillette.
â Je vous gĂąte, je sais bien â riait Weronika. â Qui dâautre que les enfants ? Les miens refusent tout, toujours occupĂ©s⊠RĂ©cemment Krzysiek, le voisin, a apportĂ© mes colis â ils ont dit quâils nâavaient rien reçu. Ni pierogis, ni fromage, ni lait, ni confitures. « On nâen mange pas ». Et moi, stupide et vieille, jâessayais quand mĂȘme...
Les voisines Ă©changĂšrent un regard complice. Elles savaient : le fils ne venait quâune fois par an â il ramenait son patron pour aller pĂȘcher. Le petit-fils â avec ses copains pour le weekend, toute la nuit Ă boire et hurler. Au matin, plus aucune trace. Quant aux filles, elles nâavaient pas montrĂ© le bout de leur nez depuis cinq ans. Autrefois, leurs enfants passaient chaque Ă©tĂ© chez leurs grands-parents. Maintenant, elles avaient oubliĂ© le chemin, prĂ©fĂ©rant les stations balnĂ©aires Ă lâĂ©tranger.
â Et tes chĂšvres, ça va ? Ce nâest pas trop dur avec elles ? â questionna GraĆŒyna.
â OĂč serais-je sans elles ? Elles me tiennent en vie. Sans occupation, lâhomme tombe vite. Avec elles, il faut se lever, nourrir, traire⊠Le mouvement, câest la santĂ©, GraĆŒynka.
Le jardin devenu inutile
LâĂ©tĂ©, fidĂšlement, Nowakowa sâaffairait au potager. Les carrĂ©s impeccablement rangĂ©s. Tomates, choux, pommes de terre, concombres⊠Tout Ă sa place, pas une seule mauvaise herbe. Mais les voisins remarquaient : elle sâarrĂȘtait souvent, haletante.
Un jour, elle chuta â prise de faiblesse. Elle demanda Ă GraĆŒyna : appelle mes enfants, dis-leur que maman est mal. Celle-ci appela. Mais personne ne vint. Ni Marek, ni Ewa, ni Kasia. Seulement un silence pesant Ă lâautre bout du fil.
Les voisins veillaient sur elle comme ils pouvaient. Krzysiek apporta des mĂ©dicaments, GraĆŒyna trait les chĂšvres, donnait Ă manger aux poules, une autre voisine portait soupe et gĂąteaux. La grand-mĂšre avait honte â elle nâĂ©tait pas habituĂ©e Ă ĂȘtre un poids.
Elle faiblit. Beaucoup. Elle écrivit une lettre :
« Prenez-moi avec vous. Je nâen peux plus seule⊠»
Pas de réponse. Comme si elle écrivait dans le vide.
Lâadieu
Cet Ă©tĂ©-lĂ , elle prit une dĂ©cision : assez. Elle confia ses chĂšvres Ă GraĆŒyna. Nâa pas plantĂ© de jardin â pour la premiĂšre fois en un demi-siĂšcle. Elle sâasseyait Ă la fenĂȘtre, regardait la terre envahie dâherbes â cette terre quâelle aimait tant et quâelle nâĂ©tait plus en mesure dâentretenir.
Un jour, dans le grenier, elle retrouva de vieux cahiers dâĂ©cole. Elle arracha une feuille blanche et Ă©crivit longuement. Chaque lettre, une douleur, chaque mot, une larme. Puis elle posa la lettre sur la table, Ă cĂŽtĂ© dâun paquet dâargent.
⊠Il pleuvait. Le feu ne fumait plus dans la cheminĂ©e depuis plusieurs jours. Les voisins sâinquiĂ©tĂšrent.
Ils entrĂšrent⊠La grand-mĂšre gisait silencieuse, recouverte dâune couverture, comme endormie. Mais elle ne se rĂ©veillerait plus.
Ils appelÚrent les enfants. Personne ne répondit. Ils écrivirent. RAS.
Les obsĂšques furent organisĂ©es par les voisins. GraĆŒyna, Krzysiek, quelques autres. Les femmes cuisinaient, les hommes aidaient avec le cercueil. Tout â comme pour la leur.
Les enfants arrivĂšrent le soir suivantâŠ
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