06/11/2025
SQM n°422 - Xavier Bertrand publie :
Publié chez Robert Laffont, voici "Rien n'est jamais écrit", le tout premier livre de Xavier Bertrand, réalisé avec la journaliste Catherine Ivanichtchenko… à 60 ans tout rond, celui qui a été tour à tour député, maire de Saint-Quentin, ministre de la Santé ou encore président des Hauts-de-France se confie comme
jamais sur son enfance, ses convictions, ses réussites mais aussi ses échecs. S'il a fait de la Région son combat, la France incarne son ambition et il ne s'en cache pas ! Pour la simple et bonne raison que rien n'est jamais écrit… Rencontre. Pourquoi ce livre ? Pourquoi maintenant ? - X.B. : "Parce que le moment était venu. Beaucoup de gens me disaient : au final, on ne sait pas grand-chose de toi, on ne connaît pas ton parcours, on ne comprend pas pourquoi tu parles autant des classes moyennes ou des territoires… Et puis, ma rencontre avec la journaliste Catherine Ivanitchtchenko et l'éditeur Thierry Billard a été déterminante. Ils m'ont convaincu que ça pouvait être le bon moment de me livrer dans un livre. Un exercice pas si évident pour moi qui suis plus à l'aise à l'oral qu'à l'écrit. Mais ça a été l'occasion de revenir sur ces années d'engagement politique où vraiment rien de rien n'était écrit !"En référence au titre de votre ouvrage, vous pensez vraiment que rien n'est jamais écrit dans la vie ? - X.B. : "Ah, j'en suis convaincu ! Pour ceux qui refusent le fatalisme, pour ceux qui ne se laissent jamais aller au défaitisme, rien n'est jamais écrit. En revanche, dans le projet de société auquel je crois, par son travail, par son mérite, l'idée c'est qu'on peut véritablement bousculer les choses pour s'offrir à soi et aux siens de meilleures perspectives. D'ailleurs, c'est cela la République. C'est dire "non" aux déterminismes sociaux et géographiques, c'est dire que tout est possible à condition de s'en donner la peine. C'est ce qui est beau dans la promesse républicaine."Habituellement très réservé sur votre vie privée… - X.B. : "C'est le moins que l'on puisse dire !" (rires)…On découvre dans cet ouvrage votre famille, notamment votre père qui avait coutume de dire : "Quand on a bouffé de la vache enragée, on s'en souvient toute sa vie". Cette phrase semble toujours faire écho en vous.- X.B. : "Tout à fait. C'est vraiment lié à l'histoire de mes parents qui sont tombés amoureux très jeunes, alors qu'ils étaient encore lycéens. Quand ma mère est tombée enceinte, le premier réflexe de mes grands-
parents, ça a été de dire : "On va faire appel à une faiseuse d'anges". Bien sûr, c'était totalement illégal mais ça se pratiquait à l'époque. Mais mes parents, qui n'avaient même pas 18 ans, ont tout de suite dit qu'il n'en était pas question. Pour eux, ça signifiait faire une croix définitive sur leurs études supérieures et devenir indépendants financièrement. Ce qui n'a pas été facile. On est alors dans la Marne au milieu des années 60 et mes parents ont vraiment bouffé de la vache enragée…"Continuons à évoquer votre enfance… Vous aviez 13 ans quand votre famille est venue s'installer à Saint-Quentin et pour le jeune garçon que vous êtes, ça n'est pas une bonne nouvelle…- X.B. : "Effectivement parce que je me sens déraciné. A cette époque, j'habitais Troyes et je me retrouve à devoir abandonner tous mes copains, ceux avec qui je fais les 400 coups. Et puis, quand j'arrive dans ma nouvelle ville, je vois un panneau qui indique : "Saint-Quentin, ses pastels, sa plage". Je n'avais pas une très bonne notion de la géographie et je me dis : tiens, on est à côté de la mer !
En fin de journée, après avoir fini toutes les formalités, notamment signer les papiers pour notre premier appartement situé en face de la Poste, rue de Lyon, mes parents nous emmènent avec ma petite sœur voir la plage. La plage de l'étang d'Isle. Mais ça n'est pas celle qu'on connaît aujourd'hui, il y a un grand mur qui cache la vue. C'est pas la mer, c'est un étang… Mon Dieu que je suis déçu ! Tout cela restera ancré en moi et c'est peut-être ce souvenir qui, bien plus t**d, a fait naître l'idée de créer la première plage urbaine au monde. "En inaugurant en 1996 la toute première plage de l'hôtel-de-ville, vous avez enfin donné du rêve au petit bonhomme que vous étiez à 13 ans… - X.B. : "Sans doute. D'autant que l'idée première de cette plage, c'est d'offrir des vacances à ceux qui ne partent pas, en tout cas pas deux mois. La plage de l'hôtel de ville reste pour moi une aventure extraordinaire. Ma fierté, c'est de voir que ce concept a été repris par de nombreuses villes et qu'il profite à plein d'autres enfants partout en France."Restons à Saint-Quentin pour évoquer Jacques Braconnier, votre premier mentor politique… - X.B. : "A la fois mon mentor et aussi un peu mon grand-père. J'avais avec lui des rapports quasi familiaux. J'étais l'un des rares à être régulièrement invité à Berthenicourt, qui était son refuge, son havre de paix… Malgré nos caractères très différents, c'est quelqu'un qui a énormément compté pour moi."Une carrière politique est faite de "premières fois". Quel jour vous a le plus marqué : celui où vous devenez député en 2002 ou celui où vous entrez au gouvernement en 2004 ? - X.B. : "Non, ce ne sont pas ces moments-là… A la différence de beaucoup de politiques, c'est pas la conquête du pouvoir, c'est pas l'élection qui me procure le plus de satisfaction. D'autant que je mesure aussitôt l'ampleur de la tâche pour ne pas décevoir ceux qui m'ont fait confiance. Ce qui me rend le plus fier, qui m'a le plus marqué, ce n'est pas le fait d'avoir été ministre de la Santé mais d'être parvenu, en tant que tel, à faire interdire la cigarette dans les lieux publics. Là, on peut parler d'une véritable victoire politique. D'ailleurs, si je n'étais pas parvenu à instaurer cette interdiction, j'avais déjà annoncé que je démissionnerais du gouvernement."Quand vous étiez ministre de la Santé, Chirac avait coutume de vous appeler "Docteur"…- X.B. : "Je passais mon temps à lui dire : "Monsieur le président, vous savez bien que je ne suis pas médecin." Il me répondait : "Oui, je sais, mais ça te va bien !" (rires) Il était génial Chirac !"Une autre figure politique vous a incontestablement marqué : Nicolas Sarkozy…- X.B. : "C'est effectivement celui qui m'a permis d'exercer des responsabilités politiques plus importantes encore et d'être directement associé à l'exercice du pouvoir. Avez Sarkozy, j'ai eu une proximité plus importante qu'avec Chirac, qui a toutefois été le premier président à me faire confiance. Concernant l'incarcération de Nicolas Sarkozy, qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas, chacun doit se rendre compte de l'épreuve que cela constitue pour lui. Moi, je pense à lui tous les jours et on n'a qu'une envie, c'est que sa demande de remise en liberté puisse être examinée le plus rapidement possible."
Depuis des décennies, vous êtes un opposant acharné à l'extrême-droite et plus encore au clan Le Pen. Il vient d'où ce combat ? - X.B. : "Je l'explique dans le livre. Cela remonte à 1983, Dreux, des élections municipales partielles, Jean-Pierre Stirbois candidat du FN, un discours de haine, anti-immigrés, les boucs-émissaires, je déteste ça. Et puis 1998, avec les élections régionales et les méthodes du Front national qui reposent avant tout sur le chantage. On est face à des gens qui sont prêts à tout. Ce qui m'a d'ailleurs valu de me retrouver sur la liste noir du FN. Pour moi, la politique est là pour apporter des solutions aux Français, pas pour profiter de leurs problèmes. J'estime que le rôle d'un politique, c'est de chercher à rassembler et à unir, pas à diviser et fracturer. C'est pour ça que je combats ces gens-là en permanence. Dans les Hauts-de-France, je suis en première ligne face à eux. Une région soi-disant promise à Madame Le Pen. Mais encore une fois, rien n'est jamais écrit…"Cette histoire de liste noire témoigne du niveau élevé de violence qui règne dans l'univers politique…- X.B. : "Si je suis toujours resté vivant, c'est bien grâce aux habitants du Saint-Quentinois qui sont nombreux à m'avoir gardé leur confiance. Toute mon histoire est celle de ce jeune homme qui, lorsqu'il commence à faire de la politique, n'a qu'une seule ambition : devenir maire de Saint-Quentin. De 2004 à 2012, je suis embarqué dans une aventure gouvernementale où là, pour être honnête, je me dis que je n'ai pas les codes. Est-ce un complexe ? Certainement en partie. Je n'ai fait ni Sciences Po ni l'ENA, je ne suis pas dans les petits secrets, je n'appartiens à aucun clan. Mais quand je deviens ministre, on me fait comprendre qu'il y a des codes à respecter si je veux le rester et c'est là où je me transforme. C'est là où je fais des dîners en ville, là où je privilégie les réunions à Paris, les réseaux, les conseillers en communication, le relookage. Que de conneries avec le recul ! A partir de 2012, je me dis, la vérité n'est pas là. La vérité, c'est ce que je suis, c'est Saint-Quentin, là où c'est chez moi… Mais ce besoin d'authenticité n'empêche pas de commettre les erreurs, notamment en 2021 ou j'accepte de
passer sous les fourches caudines d'une primaire fermée qui est biaisée depuis le départ. Mais il faut aussi avouer que je ne suis pas assez préparé pour la présidentielle de 2021 et c'est la première raison pour laquelle je suis battu. Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même."Dans ce livre, vous écrivez : "La paranoïa m'est venue avec la politique". Il faut toujours rester sur ses gardes ? - X.B. : "Ah oui ! Ça ne garantit pas de rester en vie mais ça aide. Je me souviens toujours de ces quelques jours de vacances passés fin 2009 à Center Parcs. Certains journalistes avaient alors affirmé que ce séjour avait été pris en charge par l'UMP et il avait fallu, avec l'aide de ma fille aînée, que je retrouve la facture pour prouver que j'avais moi-même payé ce séjour. Les politiques doivent toujours conserver toutes leurs factures pendant au moins dix ans !"Revenons au temps présent… De l'aveu même du président Macron, vous étiez "le mieux préparé et le plus motivé" pour être nommé à Matignon après la dissolution. ça reste une déception pour vous ? - X.B. : "Pas du tout parce que j'étais vraiment convaincu que ça pouvait se faire comme ça pouvait ne pas se faire. à la fin, le président de la République a craint la réaction de Marine Le Pen en disant qu'elle allait me censurer. Et puis, la censure, elle l'a appliquée à Barnier. Comme quoi… Moi, ce que je proposais, c'était une logique de cohabitation puisque je n'étais pas un soutien du président. Si j'avais été nommé à Matignon, j'aurais mis en place une politique différente, notamment pour le rétablissement de l'ordre, de l'autorité, l'immigration, les classes moyennes… Et puis, j'étais décidé à prendre des mesures très rapidement dans le domaine de la santé, de l'école, du logement, mais aussi pour protéger la culture. C'est ce que j'avais expliqué au président. Donc, avec Emmanuel Macron, on se voit à trois reprises et la quatrième, je comprends que ma nomination à Matignon ne se fera pas. La crainte de la censure du Front national aura été trop forte. Après la décision funeste de la dissolution, le président n'a voulu prendre aucun risque."Les Français ont du mal à comprendre pourquoi leurs dirigeants s'obstinent à jouer avec le feu avec la dissolution. Ils veulent passer pour de grands stratèges mais à chaque fois, ils se vautrent lamentablement…- X.B. : "Il ne faut jamais jouer avec les institutions. 1997 Chirac, 2024 Macron… Il ne faut jamais oublier que la dissolution peut avoir un effet boomerang. C'est d'autant plus vrai en France qui n'est pas un pays apaisé, qui est un pays où il faut toujours veiller à la stabilité des institutions." Dans votre viseur, on suppose qu'il n'y a plus qu'une échéance : la présidentielle de 2027…- X.B. : "Non, non, il y a aussi la transformation de la Région que j'entends poursuivre. C'est ma mission première, c'est celle que m'ont confiée les habitants des Hauts-de-France en 2021. Que ce soit le canal Seine-Nord Europe, les usines de batteries électriques, la construction de deux réacteurs nucléaires EPR, le virage à prendre dans le domaine de l'intelligence artificielle, faire des Hauts-de-France une grande région touristique… les projets ne manquent pas ! Tout cela continue à me mobiliser. Maintenant, je me dis aussi que quand on a des résultats avec 6 millions de personnes, on peut aussi en avoir avec 68 millions de Français."Un élu, qui n'avait sans doute pas lu Victor Hugo, vous a un jour lancé : "Deux prénoms ne font pas un nom". Vous pensez que le vôtre rentrera dans l'Histoire ? - X.B. : "Ça n'est pas cela qui me motive. On est tous de passage, encore plus dans les fonctions politiques. La question est de savoir si on s'efforce de faire des choses bien pendant son passage. Pour ma part, j'ai toujours eu le sentiment d'agir pour mon pays, pour ma région et ma ville, toujours avec la même passion. Dans mon livre, j'explique qu'il y a deux moments importants dans l'existence : c'est l'aube de la vie et le soir de la vie. C'est pourquoi il faut agir énormément pour nos aînés comme pour nos enfants. On dit toujours qu'on aime nos jeunes mais à mes yeux, on ne s'en occupe pas assez bien. Moi, j'aimerais qu'on mette en place en 2026 un vrai pacte générationnel. Et là, on va s'apercevoir que les Français ne sont pas uniquement centrés sur eux-mêmes et qu'ils sont prêts à faire des efforts pour leur pays et leurs enfants. Ce que je fais aujourd'hui, je le fais pour mes enfants mais aussi tous les autres. Je suis très attaché à la cause de l'enfance, la cause de la transmission, et quand on n'est que de passage, on doit s'efforcer de faire le maximum pour ses enfants." Bertrand Duchet