11/09/2025
SQM n°418 - L'invité de Mousset
Inlassablement, Emmanuel Mousset poursuit ses rencontres avec celles et ceux qui façonnent l'histoire de notre ville. Voici cette fois Philippe Vignon, maintes fois bâtonnier du barreau de Saint-Quentin, connu comme "l'avocat des enfants" et qui vient tout juste de raccrocher la robe. Un homme épris de justice et qui n'a pas souhaité sacrifier sa carrière à la politique, son autre grande passion…
Que fait un hyperactif depuis peu en retraite ?
Il continue de travailler ! Philippe Vignon, bien connu depuis plus d'une trentaine d'années comme "l'avocat des enfants", reste vice-président du conseil régional de discipline de la cour d'appel d'Amiens et membre du jury de recrutement des avocats. Il a encore le droit de porter la robe et vous pouvez l'appeler "Maître". Son histoire commence à Chauny, issu d'une famille modeste ; les grands-parents ouvrier et couturière vivent dans une baraque. Ils se saignent aux quatre veines pour que leur fils Maurice connaisse une situation meilleure : il deviendra saint-cyrien, colonel et officier de la Légion d'honneur. Philippe Vignon, le petit-fils, reçoit ce double héritage : le goût du travail et la passion de l'histoire.
Maître d'internat pour financer ses études, il est très attaché à l'école publique, garant de la promotion sociale. S'il choisit le droit pénal, c'est parce qu'il aime le contact humain, avec une image d'Epinal en tête : défendre la v***e et l'orphelin. Un événement l'a fortement impressionné : en 1977, à Troyes, une foule haineuse réclame la mort pour Patrick Henry, tueur d'un enfant de sept ans ; un jeune avocat, maître Badinter, a le courage de se lever contre la peine capitale. Philippe Vignon partage ce combat et milite en ce sens au sein d'Amnesty International. Il prépare le concours d'entrée à l'école d'avocat au sein de la faculté parisienne d'Assas réputée pour ses fachos qui n'attirent nullement sa sympathie. Très vite, Philippe Vignon s'installe à Saint-Quentin auprès de son frère, lui aussi avocat. Il veut se sédentariser, ayant trop vécu dans les déménagements durant sa jeunesse, de caserne en caserne.
"Autrefois, on n'osait pas attaquer en justice son patron ou l'Etat"
S'il s'intéresse aux affaires criminelles, c'est pour rétablir l'égalité des armes : "J'ai pris conscience que la victime était laissée pour compte, que l'accusé attirait à lui la lumière." D'où sa défense des faibles parmi les faibles qui a fait sa réputation : les enfants. "Certes, n'importe qui doit être défendu mais je ne suis pas prêt à défendre n'importe qui. Il y a dans le métier une clause de conscience. Dès 1992, je me suis interdit de défendre des auteurs de crime sur des enfants mineurs, par souci de cohérence." Ne parlez pas à Philippe Vignon de judiciarisation à l'américaine de nos mœurs : "Il est normal de faire valoir ses droits. Autrefois, on n'osait pas attaquer en justice son patron ou l'Etat. Dans les cas de harcèlement ou de violences conjugales, les gens se résignaient. Il est bon que les mentalités changent, il reste des efforts à faire en matière d'indemnisation des victimes."
De la justice et de sa profession, il a une conception qui dépasse l'action des tribunaux : "C'est un régulateur qui contribue à la paix sociale. Avocat, c'est le meilleur observatoire de la société, ce qui explique que beaucoup se sont engagés en politique, dès la IIIème République." La politique, nous y voilà : Philippe Vignon y est entré en même temps que dans le droit, fidèle depuis trente ans au Parti radical, peu connu et pourtant le plus ancien de France. Ce n'est pas une organisation d'extrême gauche comme le nom peut le laisser croire mais de centre droit, actuellement membre de la majorité macroniste, de sensibilité sociale, laïque et européenne, à l'origine de la République parlementaire.
Edgar Faure, que Philippe Vignon admire, a longtemps été sa figure emblématique.
Pourquoi pas gaulliste, comme nombreux de sa génération ? "J'admire le de Gaulle de 1940 et de 1944, saint-cyrien comme mon père, beaucoup moins celui de 1958 et sa façon de procéder à la nécessaire décolonisation. La Vème République a le mérite de la stabilité mais elle a été un peu dénaturée avec l'élection du président au suffrage universel." En avocat épris de parlementarisme, maître Vignon n'est pas loin de regretter la désignation du chef de l'Etat par l'Assemblée nationale. Ses ancêtres radicaux étaient anticléricaux, pas lui, catholique non pratiquant d'esprit voltairien : "Je respecte toutes les religions mais elles n'ont pas leur place dans la sphère politique." Il a le bon profil pour être franc-maçon : "J'ai été approché, je respecte leur démarche mais je n'ai pas le goût du secret." Ce petit-fils d'ouvrier n'est-il pas devenu un bourgeois ? "Non, je n'aime pas l'entre-soi qui caractérise cette classe sociale."
La politique, Philippe Vignon s'y investit concrètement en étant candidat aux élections municipales à Saint-Quentin en 1989 sur une liste de centre gauche qui réunit des centristes et des socialistes. Mais c'est en 1995 qu'il est élu pour la première fois conseiller municipal sur la liste de Pierre André, fêtant cette année ses trente ans de mandat. Philippe Vignon est également vice-président de la communauté d'agglomération, chargé de la politique de la ville et de la prévention de la délinquance. Rétablir l'égalité entre les quartiers est sa préoccupation. Cette politique de la ville a été relancée par Jean-Louis Borloo, avocat lui aussi et président un temps du Parti radical. Philippe Vignon a-t-il eu d'autres ambitions ? "La députation m'aurait intéressé mais je n'ai pas besoin de reconnaissance ; surtout, je n'ai pas voulu sacrifier mon métier." Mais maintenant qu'il est jeune retraité, disponible et toujours autant hyperactif ? "Je n'exclus rien, je veux être utile." A bon entendeur, salut !