24/07/2025
Gaza, aujourd’hui.
Un peuple privé de tout. Des enfants qui meurent de faim. Un silence européen assourdissant.
Dans cette tribune implacable, notre directeur Rocco Femia signe un j’accuse contre l’horreur en cours, mais aussi contre l’indifférence, l’hypocrisie et la complicité diplomatique.
À lire. À partager. Parce que se taire serait déjà une forme de renoncement.
SI C'EST UN GOUVERNEMENT
Ces derniers jours, j'ai écrit sur la censure et la liberté, sur des orchestres muselés, des théâtres fermés pour des raisons géopolitiques, des chefs d'orchestre disparus de la programmation pour le simple fait d'appartenir à un pays devenu indésirable. Cela me semblait urgent, et ça l'était. Mais aujourd'hui, nous sommes au-delà. Au-delà du tolérable. Au-delà de la mesure. Au-delà même de l'indignation. Nous sommes entrés dans l'indicible.
Alors il ne suffit plus de dénoncer. Il faut accuser. Il ne suffit plus de montrer. Il faut choisir. Parce que nous sommes entrés dans cette zone obscure de l'Histoire où l'horreur est documentée en temps réel, sans que cela suffise à l'arrêter. Et l'impuissance que je ressens — même en écrivant ces lignes — ne m'absout pas : elle m'oblige.
Les images publiées aujourd'hui, 24 juillet 2025, à la une du Fatto Quotidiano et dans les pages suivantes, font déjà partie de notre Histoire — même si beaucoup feront tout pour les oublier. Des corps d'enfants réduits à presque rien, des mères qui serrent le vide entre leurs bras, des regards venus d'un autre temps, d'un autre enfer, d'une faim qui ne trouve de justification que dans la cruauté. Et ce n'est pas un dommage collatéral. C'est une stratégie.
C'est ce qu'a dit avec une clarté implacable Francesca Albanese, rapporteuse de l'ONU pour les territoires palestiniens occupés, dans l'entretien publié le même jour dans ce même journal. Elle a dit ce que beaucoup savent mais que peu osent énoncer : "C'est un crime scientifiquement calculé, voulu et planifié par Israël pour convaincre les Palestiniens que leur seule chance de survivre est de partir. C'est l'un des génocides les plus cruels de l'Histoire, car perpétré avec les moyens et la technologie du XXIe siècle."
Et encore : "Des enfants mangent de la terre et des cailloux. Ils pleurent des heures avant de s'endormir d'épuisement. Les dommages seront irréversibles, même pour ceux qui survivront." Puis cette phrase, qui devrait être gravée à l'entrée de chaque chancellerie européenne : "La distribution de l'aide humanitaire est confiée à l'État même qui commet le génocide."
Face à cela, il n'y a plus de place pour le silence, ni pour les déclarations d'équilibriste, ni pour l'ambiguïté qui sent la lâcheté. En Italie, aucune voix institutionnelle n'a eu le courage de nommer les choses comme elles sont. Aucune. Sauf Albanese. Et c'est pourquoi — comme par hasard — on cherche à la réduire au silence, à la délégitimer, à la mettre hors jeu. Sa voix solitaire est devenue un obstacle pour ceux qui négocient, commercent, s'inclinent, signent des protocoles "top secret" avec ceux qui affament des enfants.
C'est pourquoi il ne suffit plus de parler de "complicité morale". Ceux qui, ces derniers mois, ont continué à soutenir sans distinction le gouvernement israélien, ceux qui ont banalisé une violence systémique, ceux qui ont transformé le peuple palestinien en variable négligeable de la diplomatie, ne représentent plus nos valeurs. Et peut-être ne les ont-ils jamais représentées.
Si un gouvernement — le nôtre — serre la main de ceux qui bloquent 952 camions d'aide, qui laissent mourir de faim quinze personnes par jour, qui utilisent la famine comme une arme de destruction, alors ce gouvernement ne nous représente pas : il incarne le crime lui-même. Si toute une Europe assiste sans réagir, si elle continue à peser les tragédies avec la balance de ses intérêts, si elle fait semblant de ne pas voir lorsque les morts ont le mauvais nom, la mauvaise langue, la mauvaise religion, alors elle a perdu le droit de parler des droits. Et la mémoire — celle des camps, des génocides, des persécutions — devient un alibi pour les cérémonies officielles.
Ce à quoi nous assistons n'est pas un conflit. C'est un projet d'annihilation. Un laboratoire de déshumanisation méthodique, et non un "fragile équilibre géopolitique". Et pendant que tout cela se produit, nos dirigeants politiques, médiatiques, diplomatiques — au mieux — se taisent, ou bien bégazent. Ils butent sur les mots, se réfugient dans les formes, s'abandonnent à l'indifférence. Et ce faisant, ils signent leur propre faillite éthique.
Ce n'est pas seulement Gaza qui meurt. C'est aussi notre idée même de civilisation. C'est l'humanisme européen. C'est la force du droit contre le droit du plus fort. C'est la possibilité de regarder un enfant qui souffre sans baisser les yeux.
En 1944, Primo Levi écrivait : "Si c'est un homme."
En 2025, nous sommes forcés de demander : "Si c'est un gouvernement."
Et plus encore : "Si c'est encore une Europe."
Pas celle des discours, des commémorations, des journées mémorielles. L'autre. Celle qui devrait réagir quand la dignité humaine est piétinée sous nos yeux.
Que ceux qui ont encore une voix s'en servent. Pas par pitié, mais par vérité.
Que ceux qui ont encore une conscience la réveillent. Pas pour sauver leur âme, mais pour ne pas perdre le sens.
Que ceux qui ont encore un lambeau d'humanité l'exposent. Pas pour se consoler, mais pour rendre justice.
Même s'il est trop t**d.
Surtout parce qu'il est encore trop t**d.