23/07/2024
DOSSIER SPECIAL BILAN A MI-PARCOURS DU CTRI
10 QUESTIONS à Anicet BONGO ONDIMBA
« Il est essentiel de tourner la page des BONGO et
construire le nouveau Gabon par des contributions positives »
A quelques jours du 30 Août 2024 marquant la première année aux affaires du CTRI, notre journal a réalisé un dossier spécial sur le bilan des chantiers réalisés à mi-parcours. Quoi de plus normal que de prendre les avis d’un expert sur des questions de gouvernance politique, économique et sociale ayant effectué de nombreuses missions auprès des chefs d’Etat africains. En 10 questions, Anicet Bongo Ondimba va s’exprimer sur l’opportunité ou non des chantiers engagés par le CTRI après une année d’exercice du pouvoir. Lisez plutôt !
Propos recueillis par Dongmo Toutsop Simon,
Journaliste indépendant (Douala)
Croissance + : Bonjour Monsieur Anicet !
Le départ d’Ali Bongo à la tête de l’Etat est perçu par certains gabonais comme étant l’échec de la famille BONGO, du clan BONGO, du système BONGO, bref tous les qualificatifs négatifs accompagnent désormais le nom de la famille BONGO. Comment le vivez-vous individuellement et avez-vous le sentiment d’avoir échoué ?
Anicet Bongo Ondimba : Vous avez raison, cette stigmatisation des BONGO est à la mode. Elle peut être perçue comme étant la conséquence des frustrations subies durant ces quinze dernières années. Puisque pour être honnête, il existe plusieurs familles Bongo. Il y’en a au Gabon, au Congo Brazzaville, en RDC. Par contre, nous appartenons à une famille élargie appelée « Bongo Ondimba » nous, les enfants, faisons partie. . Cette famille élargie « Bongo Ondimba » n’a jamais exercé un quelconque pouvoir au Gabon. Il y a eu deux membres de cette famille qui ont exercé le pouvoir au Gabon. D’abord feu Omar Bongo Ondimba considéré comme l’un des pères de la nation aux cotés de Léon Mba. La plupart des gabonais ont été les enfants d’Omar Bongo. On a vu les témoignages, les pleurs et les regrets tout au long de ces obsèques. C’est un fait indiscutable !
L’arrivée d’Ali Bongo, on a bien vu qu’il a mis le pays dans une situation peu enviable. Durant ces quinze dernières années, les frustrations étaient ressenties par l’ensemble des Gabonais y compris chez les enfants de la famille élargie « Bongo Ondimba ». Je pense qu’il est temps de comprendre qu’il n’existe pas de famille Bongo ayant exercé le pouvoir, pas de clan Bongo. Il faut placer les BONGO si c’est de la famille élargie « Bongo Ondimba » dont il s’agit dans le passé. L’époque du pouvoir exercé par un membre de la famille Bongo Ondimba est révolue à jamais. Il faut se retourner vers l’avenir symbolisé par le CTRI afin d’apporter des contributions positives à la construction du Gabon. C’est ce à quoi je m’attelle chaque jour.
La page des Bongo au pouvoir étant tournée définitivement, parlons à présent de l’avenir notamment du Président de la Transition, le Général Brice Clotaire Oligui Nguema. Cela fait bientôt un an qu’il est à la tête de l’Etat. Comment trouvez- vous son style de gouvernance ?
C’est un homme de confiance, il tient ses promesses et n’hésite pas à dire les vérités en face. C’est un homme qui a la volonté d’aider le peuple gabonais. Il doit éviter de tomber dans les travers du pouvoir précédent en choisissant des collaborateurs capables de partager les mêmes ambitions que lui. Il doit continuer à consulter au lieu de limiter ses rencontres à certaines personnes. S’il ne peut pas rencontrer tout le monde, qu’il mandate des collaborateurs de confiance poursuivre des rencontres et lui ramener les informations cruciales. Je parle de rencontrer des personnes ayant occupé des postes de responsabilité stratégiques en dehors des caméras ou du palais. Je prends le cas de ma personne et de bien d’autres personnes connues qui avons travaillé en off en côtoyant de nombreux hommes d’Etat africains. Le pouvoir précédent a payé le lourd tribut de la rupture avec le peuple. L’entourage et le protocole ont rendu le Chef inaccessible. Etant coupé de la réalité, il a travaillé avec de faux éléments et s’est réveillé tout seul. L’autre piège que devra éviter le nouveau président, c’est cette facilité à divulguer ses stratégies en public ; il a des réflexes de militaire. En politique, il faut éviter d’être réactionnaire. Il doit apprendre à se contenir au plan politique.
Dans le chapitre des actes posés pour l’amélioration du climat politique, le CTRI a récemment décidé de ramener l’organisation des élections au ministère de l’Intérieur comme dans la plupart des pays. Votre réaction !
Le CGE avait pour unique mission d’organiser le scrutin. En dehors de cela, l’ensemble des opérations liées à l’organisation des élections se faisaient à partir du ministère de l’intérieur. C’est une bonne décision puisque l’Etat va faire des économies et cette suppression réduit la chaine de traitement des opérations électorales. Cette décision permettra aussi de donner vie aux directions générales qui étaient devenues presque des coquilles vides.
Dans l’optique de relancer l’économie nationale, le CTRI a opté pour des partenaires financiers capables de financer totalement des projets d’envergure pour ensuite être remboursé progressivement. Bonne ou mauvaise stratégie ?
Il s’agit d’une stratégie qui vise à mettre moins de pression sur les caisses de l’Etat. En s’appuyant sur des investisseurs prêts à financer intégralement, cela donne le décalage d’au moins un an sur la gestion du budget de l’Etat. Durant cette année de décalage, l’Etat planifie avec moins de pression afin de mieux respecter ses engagements. Dans cette stratégie l’Etat a un délai d’un an pour commencer à rembourser à l’investisseur. Mais il faut être honnête de dire que cette stratégie fonctionne plus pour des petits et moyens projets. Elle peut s’avérer très dangereuse pour le cas des grands investissements. Tous les économistes vous diront que dans le cas des grands investissements, il est important d’avoir un apport de l’Etat parce que c’est colossal et on ne peut pas toujours prédire l’avenir.
Que pensez-vous de l’initiative des nouvelles autorités visant à inciter les gabonais à s’investir dans le secteur des industries extractives notamment le pétrole ?
Il faut être honnête de dire que les industries extractives sont un secteur à grands capitaux d’investissements. La réalité, c’est qu’au Gabon les banques n’accordent pas des prêts pour les gros projets ou des investissements à gros capitaux. Cela s’expliquerait par le risque de retour sur investissement élevé. C’est ce qui explique la forte présence dans le secteur uniquement des partenaires étrangers. Si l’Etat se limite à donner des permis d’exploitation aux Gabonais sans prendre des dispositions pour les accompagner avec des capitaux risque, ce sera très difficile. C’est une très bonne initiative d’inciter les gabonais à s’investir dans le secteur du pétrole. Mais il ne faut pas se limiter au discours incitatif. L’Etat doit s’impliquer et trouver au préalable des partenaires vers qui ces Gabonais ayant un permis devraient aller pour consultation. Ce rôle de partenaires peut être attribué aux banques comme BGFI BANK. L’autre alternative, c’est de créer un cabinet qui dressera un fichier national des retraités des industries extractives. Il y a de nombreux ingénieurs retraités dans ce domaine du pétrole et du manganèse qui se tournent les pouces alors que l’Etat pourrait en faire des leviers de lancement de vastes projets. Ces retraités ont la capacité d’accompagner à la fois les entreprises gabonaises et les jeunes intéressés par la filière. En somme, l’Etat doit mettre en place un cadre pour la bonne marche de cette initiative louable.
Le ministère de l’Economie a lancé l’opération « Un gabonais = une boutique » visant à inciter les jeunes gabonais à se lancer dans le secteur de la distribution des produits alimentaires afin de ne plus laisser le secteur entre les mains des étrangers. N’est-ce pas une opportunité pour réduire le chômage des jeunes ?
On pourrait aussi adresser le problème d’une autre façon. Par exemple demandons nos d’où proviennent les produits alimentaires consommés au Gabon. La plupart viennent de l’étranger. Au lieu de se limiter à importer et à inciter nos jeunes à commercialiser pour créer des emplois dans les pays de production, pourquoi l’Etat ne pourrait-il pas lancer des projets agricoles pour réduire notre dépendance vis-à-vis de l’extérieur. Je prends le cas du manioc fortement consommé dans notre pays, dont une grande partie est importée. Pourquoi ne pas lancer un projet de culture du manioc et mettre en place des usines de transformation de manioc en pâtes ? On pourrait multiplier ce type d’exemple pour plusieurs produits à forte consommation au Gabon. Notamment dans le domaine de l’élevage des bœufs dont la viande est fortement prisée au Gabon. Dans le domaine de l’élevage des poules, puisque le Gabon a suspendu l’importation des poulets de chair. Ce qui ouvre un boulevard d’investissement pour l’Etat et pour les nationaux. L’Etat pourrait penser à encourager les éleveurs gabonais par un accompagnement avec des experts du ministère dans le domaine via un partenariat public-privé bien ficelé.
A côté des efforts du ministère de l’économie qui sont louables, il faut s’orienter vers la création des entreprises parapubliques capable de parvenir aux grosses productions alimentaires. Il s’agit d’un partenariat public-privé à fort capitaux publics. Le partenaire privé serait un partenaire technique avec pour obligations de transfert des techniques aux gabonais pour assurer une bonne reprise en main par les nationaux. Voilà des initiatives à la fois rentables pour l’Etat et capable d’absorber une main d’œuvre considérables des jeunes Gabonais sans emplois.
La tendance dans les pays africains est à la recherche d’une indépendance véritable, selon vous quel modèle d’indépendance devrait choisir les autorités de la Transition pour montrer la voix au prochain dirigeant du pays issu des élections ?
C’est une problématique assez délicate. Puisque le danger, c’est de quitter un colon pour un autre. Il faut retenir que tous les pays du monde sont colonisateurs. Tout pays aspire à coloniser un autre. Les relations entre pays ne sont basées que sur des intérêts, rien d’autre. Les procédés peuvent changer, mais l’objectif reste très souvent le même. La France exploite les matières premières des pays et leur reverse des miettes. La Russie utilise l’argument sécuritaire pour prendre pieds dans certains pays et exploiter leurs matières premières en échange de la protection par les armes. La Chine offre des infrastructures de développement en échange des ressources dont elle a besoin pour son économie. L’Inde passe par la mise à disposition des technologies en échange des ressources. Ainsi donc, tous les pays du monde ne pensent qu’aux intérêts ; c’est l’un des fondements du capitalisme.
La solution idéale serait de regarder à travers le monde pour voir la situation des pays ayant été dans la même situation que nos pays et qui ont réussi à émerger. Quelles ont été leurs recettes ? Il faut analyser et ensuite adopter leurs stratégies pour parvenir à une indépendance. Voilà les ingrédients capables de poser les bases d’un modèle de société. Je prends le cas du Vietnam, un pays auparavant détruit et ruiné, mais qui a pu se relever en s’appuyant sur leur culture notamment leur langue. Le Vietnam a aujourd’hui sa monnaie, le pays produit tout sur place ; C’est ce type de modèle que notre pays doit observer de près et mimer pour l’adopter à nos cultures, nos cultuels, nos traditions, nos mœurs, nos habitudes.
Dans un an, le CTRI organisera les élections présidentielles au Gabon dans un climat on l’espère beaucoup plus détendu. Comment entrevoyez vous cette échéance d’Août 2025 ?
Vous avez raison, les seules élections à venir au Gabon sont présidentielles. Après le référendum de décembre, l’élection présidentielle est prévue pour le mois d’Août 2025. Il est fort probable qu’il y ait des élections anticipées c’est-à-dire avant l’échéance d’Août 2025. Le Chef de l’Etat l’a laissé entrevoir lors d’un récent discours dans lequel il s’impatientait de la fin de la Transition en vue de rassurer les investisseurs. La probabilité des élections avancées a été aussi mise sur la table dans le rapport du dialogue national qui recommande la possibilité de prolonger le mandat du CTRI d’un an en cas de force majeure. Nous avons donc deux options pour ces élections présidentielles. Qu’elles soient anticipées ou avancées, dans tous les cas, le CTRI choisira une des deux options. Le plus important selon moi, c’est de remettre le pouvoir à une personne fiable ou s’y maintenir du moment qu’on puisse aider les populations gabonaises à parvenir au mieux-être
L’arrivée du Général Brice Clotaire Oligui Nguema à la tête de l’Etat gabonais dévoile aussi une autre image d’une nouvelle première Dame, beaucoup plus discrète que ces prédécesseurs
Je ne pense pas que la première dame est très discrète. Elle remplit déjà le devoir premier qui est celui de soutenir les actions de son époux, on la voit auprès de lui et lors de ses sorties publiques. Je suis persuadé que l’étape suivante sera la mise en valeur de son rôle de mère de la nation par des actions pour la consolidation du bien-être social des populations gabonaises.
Par contre je milite pour une codification du rôle de la première dame au Gabon. Il faudrait placer cela dans la constitution afin de donner à ce rôle un aspect légal. Et d’autre part, nous devons tenir compte des formations académiques de nos premières dames, au lieu de les cantonner à l’exercice des activités sociales.
Puisque le temps d’une transition est toujours limité, s’il vous avait été donné d’être le conseiller du Président du CTRI, à quoi résumerez vous la stratégie de développement du Gabon ?
J’aurai dit au Président une chose simple à savoir que dans un pays, tout ce qui favorise le déplacement des populations dynamise le développement. Il faut se lancer dans la mise en place des infrastructures routières, aériennes, ferroviaires, maritimes. Il faut faciliter les circulations des biens et des personnes pour poser les bases du développement.
Et penser dès à présent à la diversification de l’économie pour réduire la dépendance au pétrole. L’avenir économique du Gabon reposera sur le manganèse, une ressource très prise sur le marché international dont Dieu nous a fait grâce.