03/09/2025
La Nouvelle Route de la Soie, entre héritage historique et enjeux géopolitiques
Par Abdoul Gadiri Wagué
« La BRI est un projet de paix, de prospérité et d’ouverture. » — Xi Jinping
Aux environs du IIᵉ siècle av. J.-C. et jusqu’au XVe siècle, un réseau historique de routes commerciales terrestres et maritimes reliait l’Asie, le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Europe. Appelée la route de la soie, elle doit son nom à la marchandise précieuse et emblématique produite en Chine et exportée vers l’Occident.
Aujourd’hui, pour affirmer son influence mondiale, la Chine s’inspire de cette histoire commerciale à travers l’initiative contemporaine des Nouvelles Routes de la Soie (Belt and Road Initiative, BRI), lancée en 2013. JEM INFOS propose un zoom pour comprendre : continuités, ruptures, enjeux et perspectives de la BRI.
La Route de la Soie historique
Après la chute de la dynastie Qin au IIᵉ siècle av. J.-C., la dynastie Han, fondée par Liu Bang (ancien paysan devenu empereur sous le nom de Gaozu), unifie la Chine. C’est sous les Han que la soie devient la principale marchandise exportée vers l’Ouest, très recherchée par les élites romaines.
En échange, la Chine importait des chevaux de Ferghana, des pierres précieuses, du verre et des épices. Ce commerce était à la fois économique et culturel, favorisant la diffusion du bouddhisme, des technologies et des idées.
Avec l’apparition des routes maritimes européennes, liées aux grandes découvertes du XVe siècle, ainsi que les guerres, l’insécurité et le morcellement politique en Asie centrale, la route de la soie décline progressivement.
La Nouvelle Route de la Soie (BRI)
Sous l’impulsion du président Xi Jinping, la Chine initie en 2013 un vaste programme de coopération internationale, inspiré des anciennes routes commerciales reliant la Chine à l’Europe, au Moyen-Orient et à l’Afrique. Aujourd’hui, plus de 150 pays et organisations internationales ont signé des accords de coopération dans le cadre de la BRI.
Cette initiative est perçue à la fois comme une opportunité de développement (financement d’infrastructures, croissance économique) et comme une source de dépendance économique et géopolitique à l’égard de Pékin.
Objectifs principaux de la BRI :
• Développement des infrastructures
• Intégration financière
• Coopération politique
• Dialogue culturel
• Accès aux ressources naturelles
Depuis 2013, la Chine a investi plus de 1 000 milliards USD (données 2023). Ces investissements sont financés via :
• Des prêts concessionnels et crédits des banques chinoises (Exim Bank of China, China Development Bank)
• Le Silk Road Fund (40 milliards USD au départ)
• L’AIIB (Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures), dotée de plus de 100 milliards USD de capital
Les enjeux majeurs de la BRI
• Économiques : croissance, infrastructures, accès aux marchés, sécurisation des approvisionnements
• Géopolitiques : expansion de l’influence chinoise, contestation de l’ordre dominé par l’Occident, redéfinition des routes commerciales, soft power (langue, culture, gouvernance chinoise)
• Environnementaux : impact écologique, critiques des ONG, risques pour le climat
• Socio-politiques : création d’emplois, mais aussi endettement, tensions foncières et déplacements de populations
Regards croisés des acteurs
• Occident (États-Unis, UE) : Les États-Unis voient la BRI comme un outil d’expansion géopolitique, rendant certains pays (Sri Lanka, Pakistan, Zambie…) dépendants. En réponse, ils lancent le Build Back Better World (B3W) en 2021, puis le Partenariat pour les infrastructures et investissements mondiaux (PGII) avec le G7.
L’UE oscille entre coopération sélective (Italie, Grèce, Hongrie) et méfiance (transparence, dettes, normes sociales et environnementales). Bruxelles propose l’alternative Global Gateway (300 milliards d’euros, 2021–2027).
• Afrique : Le continent considère la BRI comme une aubaine pour combler le déficit d’infrastructures. À ce sujet, Uhuru Kenyatta (Kenya) déclarait : « Sans la BRI, nous n’aurions pas pu bâtir ce chemin de fer. »
Cependant, beaucoup redoutent l’endettement et l’impact environnemental. Entre 2012 et 2020, dans le cadre de la BRI, la Chine a fourni à Djibouti environ 1,2 à 1,4 milliard USD de prêts et investissements pour financer les infrastructures clés (ports, chemins de fer, zones économiques). Aujourd’hui, on estime que 57 à 70 % de sa dette nationale proviennent de la Chine.
• Asie centrale : Zone stratégique, interface entre Chine, Russie et Europe. La BRI y est vue comme une opportunité de modernisation et de diversification économique, mais aussi comme un risque de dépendance. Les pays cherchent donc à équilibrer leurs partenariats.
En Asie centrale, le premier pays à signer un mémorandum d’accord BRI a été le Pékin. En 2011, le Tadjikistan a cédé environ 1 100 km² de son territoire à la Chine dans le contexte de contentieux de dette.
• Institutions internationales (FMI, Banque mondiale) : Reconnaissent le potentiel de la BRI, mais alertent sur les dettes insoutenables et la gouvernance opaque. Contrairement à la BRI qui investit massivement mais rapidement, Global Gateway mise sur la durabilité et la transparence, tout en respectant les consensus multilatéraux, mais avec un rythme plus lent.
En Gambie, le projet Gambia Electricity Restoration and Modernization Project a été financé conjointement par la Banque mondiale, l’UE et la Banque européenne d’investissement à hauteur de 36 M€ par la BM sur un total de 152,8 M€. Ce modèle repose sur subventions, cofinancements et garanties, avec un faible risque d’endettement insoutenable. Le projet se fait dans la transparence des contrats et en phase avec les normes environnementales internationales.
• ONG et société civile : Critiquent les impacts sociaux et environnementaux (expropriations, destruction d’écosystèmes). Greenpeace avertit : « Les projets BRI risquent d’enfermer des pays dans une dépendance aux énergies fossiles. »
Perspectives d’avenir
La Nouvelle Route de la Soie est une opportunité pour le développement d’infrastructures colossales et favorise une intégration régionale durable.
Cependant, des impacts négatifs persistent, notamment en termes d’endettement, de dépendance économique et financière, et surtout de perte de souveraineté des nations.
Les pays du Sud (Guinée, Gambie, Sénégal, Tadjikistan…) doivent diversifier leurs partenariats avec l’Occident, la Russie, l’Inde et négocier intelligemment pour maximiser les bénéfices et réduire les risques.
Dans le cadre du projet Belinga, Marc Ona Essangui, président de l’ONG gabonaise Brainforest (réseau des ONG environnementales), déclarait :
"Le projet Belinga, évalué à 3,5 milliards USD, a été négocié secrètement. Les communautés locales n'ont pas été consultées et ignorent les impacts que le projet entraînera sur leur environnement."
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